
Cult of Fire + The Great Old Ones + Caronte @Paris
La Machine du Moulin Rouge - Paris

"The sound of falling, when the pictures are moving"
Nouveau live report et nouvelle incursion dans l’univers du black metal. Après le propos rude et violent de Gorgoroth, ce sont des contrées plus contemporaines et ritualistes que nous explorerons pour ce premier concert du mois d’avril. Les aghoris de Cult of Fire se joignent aux cultistes de The Great Old Ones pour défendre ensemble leurs derniers albums respectifs. Pour les aider, ils se sont entourés d’autres apôtres de l’occulte, les thélémites enfumés de Caronte. Trois visions du metal ésotérique qui se sont succédées en cette soirée du 1er avril.
Crédits photos : Matthieu Lelièvre/Acta Infernalis
Caronte
L’organisation avait anticipé qu’il y aurait encore des places disponibles à l’ouverture des portes. C’est le cas de le dire, car c’est devant un parterre très éclaté que s’apprête à jouer Caronte. Des Italiens, je connais surtout l'album Wolves of Thelema, que j’avais vu passer au milieu d’une multitude d’autres groupes de rock occulte à tendance psyché et doomy. Parce qu'on peut sans conteste l’affirmer : la musique de Caronte n’est qu’une sempiternelle resucée de ce que l’on peut entendre dans le style depuis le milieu des années 2010, aux côtés des Year of the Goat, Sabbath Assembly et autre hard rockeurs pseudo satanistes et psychédéliques. Mais avec une esthétique beaucoup plus black metal.
Son intérêt en concert est en revanche plus prononcé. Grâce à l’immédiateté d’une configuration live, il est plus facile de se laisser happer par les diableries du quintet. On reste sur des éléments musicaux propres à cette esthétique : mélodies de guitares planantes à la The Devil’s Blood, riffs poussiéreux porteur de l’âme doom d’un Black Sabbath et lignes de chant aux intonations cryptiques. Chaque titre est plus ou moins calqué sur ce modèle, et on a même droit au speech bien ringard du chanteur sur « cette chanson qui parle de sexe et de magie !!!! ». Tout un programme, qui ne peut m’empêcher d’esquisser un sourire face à l’absence de second degré de la situation. Caronte nous a donné ce que nous attendions : de la sombritude, du psychédélisme, le tout saupoudré d’une savoureuse pointe de mauvais goût.
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The Great Old Ones
De mauvais goût, il n’en sera pas question avec The Great Old Ones. Depuis 2010, les Bordelais nous dispensent, sur fond de post black atmosphérique, leur vision si personnelle et onirique de l’univers de H.P. Lovecraft. Après des débuts dans lesquels les atmosphères étouffantes et hallucinées menaient la danse, EOD et surtout Cosmicism nous ont montrés un visage plus dur et incisif des Grands Anciens. Comme si la violence d’Azatoth avait pris le pas sur les rêveries du grand Cthulhu. Une évolution que j’ai eue du mal à appréhender au départ. Avant d’en comprendre toute la pertinence sur le nouvel album, Kadath, qui fait le lien entre l’intensité de ses prédécesseurs et une dimension progressive et lumineuse beaucoup plus prégnante.
La salle s’est depuis bien remplie pour accueillir Benjamin Guerry et ses acolytes. Promotion du dernier album oblige, c’est Kadath qui est majoritairement représenté dans le set. Les morceaux, qui font la part belle aux mélodies éclatantes et aux progressions alambiquées, nous permettent de constater le nouveau palier franchi par le groupe en termes de niveau scénique. C’est maîtrisé et professionnel, à tel point que les petits soucis techniques rencontrés en début de concert ne semblent pas perturber plus que cela. Benjamin Guerry, en bon maître de cérémonie, éructe ses incantations avec toujours autant de force évocatrice. Une force qui imprègne les extraits de Cosmicism (« The Omniscient » et ses allures de profonde rêverie indicible, « Dreams of the Nuclear Chaos » et sa fureur tempétueuse), mais qui se mue aussi en une masse rampante sous la forme du classique « Antarctica ». Acclamés par une Machine du Moulin Rouge conquise, les cultistes de The Great Old Ones ont montré, en plus de leur indéniable qualité artistique, la nouvelle dimension que ce nouvel album leur a fait prendre. Celle, avec Regarde les Hommes Tomber, d’un autre fer de lance d’un black metal toujours plus actuel et aventureux.
Setlist :
Me, The Dreamer
In the Mouth of Madness
The Omniscient
Antartica
Dreams of the Nuclear Chaos
Under the Sign of Koth
Cult of Fire
Le rideau se ferme, afin de laisser les techniciens préparer la scénographie de Cult of Fire. Les jours précédents le concert, je n’ai pu m’empêcher de me poser la question : que va nous réserver le groupe tchèque ? Et surtout, jusqu'où ira-t-il cette fois dans la surenchère ? Car depuis les premières bougies et capuches, il y a une dizaine d'années, les Tchèques n’ont cessé d’aller toujours plus loin dans la démesure, quitte à se vautrer gentiment dans le kitsch (on se souvient de ce live au Hellfest 2022, qui avait « marqué » notre bon vieux Sleap). J’avais pour cette raison autant de craintes que d’attentes. Des attentes nourries par l’impact indéniable qu’a eu le groupe sur une bonne partie de l’équipe d’Horns Up, avec le monumental Ascetic Meditation of Death, pour sa puissance mélodique, sa profondeur ésotérique et son approche sénestre des mystères de l’hindouisme.
Mais aussi des craintes, suite à des retours mitigés que j’ai pu glaner çà et là : spectacle trop outrancier au détriment de la musique, nombreuses approximations techniques, son exécrable. Alors, qu’en est-il réellement ? Eh bien, si certaines choses qui me furent rapportées sont constatables, elles ne sont pas aussi problématiques que je le pensais pour la qualité et l’intérêt du concert. Oui, la scénographie fut encore plus outrancière, avec sa table recouverte de fleurs et de statues, les classiques cobras servants de trônes pour les deux guitaristes, et le chanteur et sa tenue avec un énorme masque. Mais les quelques mimiques rituelles, à base de libations sur les idoles de Kali furent assez mesurées, et ne prirent pas (trop) le pas sur l’aspect musical. Et puis, il est finalement admis que tout ce folklore très référencé fait partie de ce qui démarque Cult of Fire. Ensuite, si le son ne fut pas toujours d’une parfaite limpidité, il demeura tout de même très correct, et ne fut en rien un frein à l’immersion dans les riffs hypnotiques et les mélodies transcendantes des titres.
Malgré la dimension éthérée et illuminée de leurs mélodies, les deux guitaristes n’en oublièrent pas d’y insuffler une intention sauvage inhérente à l’essence du black metal. Et c’est là où quelques petites parties furent jouées d'une manière plus lâche, pour contraster avec l’effet de bourrinage compact produit par les rythmiques. Un aspect du show plus discutable fut les lumières roses et jaunes dignes d’une salle des fêtes municipale, ainsi que ces espèces de lights aux rythmes épileptiques qui ne collaient vraiment pas avec l’identité mystérieuse du groupe, et frisait la débilité à certains moments. Mais malgré ces petits bémols, les éléments forts du combo ressortaient. L'aura transcendantale et hallucinée des mélodies du dernier album a fait mouche à chaque fois, tandis que la noirceur des extraits d'Ascetic Meditation of Death dégoulinait toujours pour nous envelopper et nous porter ("Khanda Manda Yoga", à jamais une énorme tuerie !). Restant sur un équilibre fragile entre maîtrise, spectacle hollywoodien et solennité rituelle, Cult of Fire nous a prouvé qu'il demeure, malgré ses défauts, l'un des groupes les plus originaux et pertinents, dans une scène black metal occulte désormais désuète.
Setlist :
Dhoom
Zrození Vyjimecného
Joy
Anger
Kali Ma
Kala Bharaiva
Blessing
Khanda Manda Yoga
Buddha 5
There is More to Lose
Un grand merci à Garmonbozia pour l'organisation de ce concert et pour l'accréditation !
Et à Matthieu Lelièvre pour avoir permis l'utilisation de ses photos !