Yob + Wiegedood + Dopethrone @ Paris
Petit Bain - Paris
Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.
Yob est probablement, pour moi, le meilleur groupe de doom du moment. Et par moment, j’entends des dix dernières années. Aucun groupe n’est parvenu à se hisser à un tel niveau de créativité et d’intensité dans la chapelle des musiques plombées (non, je vous entends là-bas dans le fond, même pas SubRosa et Bell Witch !).
Alors quand l’opportunité se présente de les voir dans une excellente salle parisienne dont la programmation se raffine de saison en saison, le Petit Bain ; avec deux groupes supports pas piqués des hannetons, Wiegedood et Dopethrone, l’hésitation n’est pas présente.
D’autant plus que leur « Our Raw Heart » est tout à fait édifiant (chronique à venir quand j’arriverai à trouver autre chose à dire à son propos que « c’est merveilleux ») et que l’ultime album de la trilogie « De Doden Hebben het Goed » de Wiegedood, paru cette année, est également très réussi (je ne vous parlerai pas du dernier Dopethrone car je n’en ai pas grand-chose à carrer, toutes mes excuses).
Cela étant dit, je me suis déplacé uniquement pour Yob. Les deux autres groupes auraient pu être inaudibles, mon excitation n’aurait pas été diminuée. Fort heureusement, Wiegedood et Dopethrone ont été bien loin d’être mauvais.
De plus, le son de la salle s’est avéré irréprochable sur les deux premiers shows avec un léger bémol sur le concert final, j’y reviendrai.
Dopethrone
C’est donc Dopethrone qui lance les hostilités sur la péniche. La dernière fois que je les avais croisés date un peu, c’était au Motocultor 2015 et je n’avais pas été transcendé.
Le groupe bénéficie d’un réel vent de sympathie en France, sentiment que j’ai du mal à partager et à comprendre. Non pas que le groupe soit médiocre, mais l’engouement dont ils bénéficient me laisse dubitatif. En les revoyant, je comprends mieux : un power trio québécois qui n’hésite pas à utiliser son accent pour haranguer les foules, le public français y est rarement hermétique. De là à dire qu’un « tabarnak » et un « calisse » suffisent à acheter le cœur des metalheads français, il n’y a qu’un pas. Il faut également admettre que leur identité de pochtrons du Nord-Ouest et leur « drunk’n’roll » a largement de quoi séduire.
Si je comprends mieux les élans d’amour du public français à l’égard du groupe, j’ai un peu de mal à changer d’avis sur leur musique.
Je ne suis pas un grand amateur de ce pan des musiques lourdes, trop monolithique et pas assez chargé émotionnellement. Malgré la dose inconditionnelle de groove que les Québécois intègrent dans leurs compositions, je les trouve trop sages en début de set. Pourtant, la balance est impeccable (même sur les premiers morceaux, ce qui est suffisamment rare pour être souligné), la batterie évoque une grosse artillerie et le chant demeure parfaitement maîtrisé ; mais le stoner/sludge à shrapnels de Dopethrone me laisse de marbre.
À partir du 4e titre et jusqu’à la fin du show, Julie Unfortunate (guest récurrente tant en live que sur album) se met derrière le micro. Ses capacités vocales renversantes donnent de l’épaisseur à la prestation. Les deux voix se mélangent bien et l’énergie positive du groupe n’en est que renforcée.
Je serais d’ailleurs très intéressé d’entendre ce que la voix de Julie donnerait sur un album de black bien crade.
Mais le meilleur guest est encore à venir. Comme il s’agit du dernier show de la tournée de Dopethrone, c’est le colosse Mike Scheidt qui arrive sur scène pour la dernière chanson. Ce final devient vite anthologique, à base de gros grumeaux et de groove lubrique, et parachève un set efficace et loin d’être hors de propos.
Wiegedood
Wiegedood est un groupe qui tient une place particulière dans mon estime. Leurs trois albums sont tous pertinents, bien composés et équilibrés mais je suis parfaitement incapable de m’investir dans leur musique. Je ne réussis pas véritablement à expliquer cette impression, c’est peut-être dû à la prolifération de projets de black atmo ; une saturation totale qui tire vers le bas même les groupes les plus talentueux qui se contentent de faire un black atmo simple et sincère.
C’est pourquoi Wiegedood est un groupe à voir en live, afin de prendre pleine conscience de leur passion, de la flamme qui les anime et de la générosité absolue de leur démarche.
Dès la première note, c’est une déflagration instantanée. Deux guitares, une batterie, un t-shirt kalashnikov, un autre treillis et le dernier de Bohren & der Club of Gore (je fais partie de ceux qui pensent que les visuels des tee-shirts sont un avant-goût du show), on comprend vite que ça ne va pas rigoler.
Le black atmo de Wiegedood est une éruption solaire, une rafale de décibels parfaitement exécutée.
Le mur de son qu’ils nous offrent est stupéfiant et j’ai pu enfin réaliser toute la maestria de leurs compositions : des introductions toujours claires comme de l’eau de montagne (pour des Belges c'est paradoxal) qui s’écoulent dans des explosions de tremolo picking, des vagues de passion, de plaies à vif et de contemplation béate.
C’est une heure de déferlante sans un seul temps mort, rarement une prestation de black a été aussi immersive pour moi. C’était d’ailleurs la durée parfaite et les musiciens l’ont très bien compris (je ne les remercierai jamais assez de faire des albums d’environ 35 minutes) car une chanson de plus aurait probablement été superflue. Ainsi, tout a été dit et magistralement dit.
Je vais donc leur faire honneur et ne pas m’étaler en dithyrambes. Wiegedood est totalement digne d'être le support de Yob : tant dans l'intensité que dans la prestation, les Belges offrent un show aussi puissant et investi que la musique de leurs compères de l'Oregon.
Yob
Pour parler de la prestation de Yob, je me retrouve face aux mêmes impasses que pour la chronique de leur dernier né. Seules des images me viennent à l’esprit et je peine à disséquer leur musique, à analyser sa structure et prendre du recul sur leurs morceaux.
La musique de Yob est purement sensorielle, elle parle aux tripes ou ne parle pas du tout. C’est une musique de trance, d’introspection et tomber dans l’écueil de la dissection de leur œuvre lui enlève toute substance.
Bien que leurs albums soient extrêmement denses et riches, Yob est un groupe simple qui ne s’encombre pas d’artifices inutiles. Mike installe lui-même son matériel et malgré la popularité affirmée de Yob, pas de simagrées à l’horizon. En revanche, l’excellente nouvelle est, qu’au Petit Bain, on sert de la Parisis aux artistes, sympathique brasserie artisanale parisienne dont je vous recommande l’American Pale Ale.
Le seul regret que j’ai à formuler serait le manque de voix dans la balance. Quand on connaît toute la palette vocale de Mike Scheidt, dont le growl est aussi saisissant que le chant clair, c’est sacrément dommage. D’autant plus qu’on se rend vite compte que Yob c’est Scheidt. Non pas que les deux autres larrons soient des manchots, mais c’est Mike Scheidt, compositeur-guitariste-chanteur, qui incarne pleinement l’élégance astrale de Yob.
Je me permettrais aussi de reprocher un set un poil trop long, deux titres en trop je dirais, mais ça c’est surtout parce que je suis de plus en plus intolérant avec les shows de plus d’une heure, privilégiant la qualité à la quantité.
La tracklist enchaîne subtilement morceaux du dernier album et succès passés (ne comptez pas sur moi pour vous donner la liste, je suis une totale biquette pour reconnaître les morceaux en live).
La musique de Yob, très ternaire dans son approche, prend une autre dimension en concert. Elle sait se faire aussi bourrine que céleste et sans jamais se défaire d’une immense bonté, d’une complexité et d’une transcendance uniques.
Même lorsque Mike se permet une intro ultra minimaliste, toute la salle se tait, preuve de l’aura mystique dont bénéficie le groupe. Yob c’est un peu un monde en soi ; le début et la fin, le mal et le remède, le repos et la sueur.
Sur le dernier morceau, c’est cette fois Levy Seynaeve, le chanteur-guitariste de Wiegedood, qui est invité sur scène. Alors que je ne le sens pas extrêmement à l’aise au début, il livre une performance déchirante et complètement en adéquation avec le reste des musiciens.
Puis les guitares gémissent, jusqu’au silence. Ça y est, la comète est passée.
Car s’il y avait du son dans l’espace, Yob en serait l’auteur.
J'adresse des remerciements tout particuliers aux trois groupes de la soirée ainsi qu'à Kongfuzi Booking pour l'invitation et au Petit Bain pour cette soirée.