Créatures
Sparda
"Les vrais savent, les vrais font".
Fort d'un premier album fort réussi, Sparda, la tête pensante du one-man band Créatures a bien voulu lever le voile sur quelques secrets du Noir village.
1 – Est-ce que tu peux te présenter en quelques mots pour nos lecteurs ?
Je suis Sparda, unique membre de Créatures, projet d’horror black metal théâtral (influences : King Diamond, Tartaros, Notre Dame). Je viens présenter mon premier album « Le Noir Village » sorti en octobre 2016. Il narre l'histoire d'un village paysan au XIIème siècle en proie à d'horribles monstres. Tel un opéra, tous les personnages du récit sont interprétés par des chanteurs différents qui s’expriment à la première personne, la musique appuyant l’intrigue.
J’officie également à la basse dans le groupe de folk black metal Breton Hanternoz, et je cogère le label Antiq qui a produit mon album.
2 - Le Noir Village semble être un projet que tu muris depuis des années. Outre le fait que la composition, les arrangements et l’exécution ont du te prendre des mois et des mois, qu'est ce qui à fait que ce projet s'est inscrit dans la durée ?
Effectivement, j’ai travaillé 7 ans pour composer et enregistrer Le Noir Village. C’est avant tout dû au fait que je suis un perfectionniste maladif, et dans un projet solo où personne ne m’a fixé de limites, j’ai pu exprimer ce caractère à l’outrance, la moindre note faisant l’objet d’un choix conscient où j’ai pesé le pour et le contre.
La sortie physique de l’album a demandé également beaucoup de temps puisque Le Noir Village se présente en un digipack avec un livret 16 pages qui expose une peinture et six dessins d’inspiration médiévale réalisés spécialement pour cet album par l’artiste Simon Hervé et mis en cohérence par le designer Roy de Rat. Il a aussi fallu travailler longuement le son avec I Luciferia (Reverence, Ende) qui a mixé et masterisé l’album.
3 - Créatures est un one-man band. Dans quelle mesure tes nombreux invités ont pu faire profiter de leurs idées au projet ?
A vrai dire, les invités ont surtout été à la base des exécutants, puisque tout a été pensé et composé à l’avance. J’avais des idées très définies sur ce que je voulais en termes de mélodies et d’interprétations, mais certains invités m’ont vraiment surpris en proposant des choses différentes qui ont finalement été bénéfiques à l’album.
4 - Le concept de l'album est celui d'un homme qui se fait harceler par des monstres et des démons. Comme tu as l'air d'être documenté sur le sujet comment et pourquoi as-tu choisi les créatures présentes dans l'album dans le sens où tu aurais pu parler de beaucoup d'autres ?
Pour la démo de 2008, j’avais créé un orchestre grotesque de monstre : avec un zombi au chant, un loup-garou à la basse, la faucheuse et le diable aux guitares, un vampire au synthé, et un fantôme à la batterie. Chacun de ces monstres avait sa chanson et son histoire dédiée sur la démo. J’ai gardé ce concept sur l’album en les intégrant dans une même grande intrigue et en y ajoutant d’autres personnages humains. Le tout reste assez crédible car j’ai utilisé des créatures issues du folklore européen ou de la religion catholique.
5 - Pourquoi à ton avis cet historique et cet imaginaire si riche est si peu utilisé dans notre société contemporaine ? Pourquoi ne se réfère-t-on pas davantage aux horreurs de nos campagnes ?
Au contraire, toute la fantaisie et l’horreur que l’on trouve dans la littérature, le cinéma ou les jeux vidéo du dernier siècle est héritée de différents folklores (majoritairement européens mais également plus éloignés). Les vampires, zombis, loups garous, démons, trolls, nains et autres elfes pullulent dans la culture populaire moderne et sont profondément ancrés dans l’imaginaire collectif. Je trouve ça très positif que ces contes et croyances anciennes soient sauvegardées et réappropriées au travers de ces œuvres. A l’inverse on peut se désoler que la société contemporaine, elle, ne crée que peu de nouvelles figures imaginaires, telles que la Dame Blanche ou plus récemment le Slender Man.
6 - Comme je l'ai dis dans la chronique, j'ai grandi dans un univers où j'ai entendu pas mal d'histoires autour du diable, des possessions et de mystères. Bien qu'objectivement les villes voient bien plus d'horreurs se perpétrer en leur sein que les campagnes, pourquoi la ruralité conserve-t-elle cette aura où semble encore "possible" d'imaginer des scénarios surnaturels ?
Quand on est né et qu’on a grandi en ville, qu’on apprend la vie au sein d’une école laïque et d’une famille athée, on devient très pragmatique. On ne croit pas, voir même souvent on méprise, ces croyances, ces contes, et ces traditions. A la campagne la nature a une emprise beaucoup plus grande sur notre quotidien, et le savoir se transmet davantage directement des anciens aux jeunes. On n’apprend pas le climat par la science ou la morale/la justice par la république, on est éduqué par des contes ludiques racontés par nos parents, qui eux-mêmes les héritent de leurs parents. Je m’attriste vraiment de voir qu’en une ou deux générations seulement, des langues et des traditions disparaissent (d’ailleurs tu dis avoir grandi avec des histoires mystérieuses, mais en racontes/ras-tu à tes enfants ?). D’où l’urgence de faire des études de collectes et de référencements de tout ce qui peut toucher à ces cultures de campagne.
7 - Nous en parlons plus haut, le travail de recherche que tu as du effectuer autour de ce projet doit être important. Est ce que tu peux nous en parler et conseiller des lectures à ceux que cela intéresse ?
J’ai avant tout commencé par lire quelques livres d’histoires sur le Moyen Âge à la période à laquelle se déroule l’intrigue du Noir Village. Je voulais savoir comment j’aurai vécu si j’étais né à cette époque : quelle serait ma journée type, comment travaillerais-je, à quoi ressemblerait ma maison et mes possessions, comment vivrais-je en famille, quels seraient mes droits et devoirs, etc. C’était moins simple que ce à quoi je m’attendais car finalement la vie des gens du quotidien est assez peu étudiée. Les histoires des grands Rois et Seigneurs et leurs épopées guerrières sont à la fois mieux documentées et intéressent davantage le public. Pourtant la très grande majorité des hommes étaient des agriculteurs ou des artisans, et les femmes des mères au foyer.
En ce qui concerne les monstres, je me suis assez peu renseigné. Je connais évidemment les grands noms de l’horreur tels que Dracula de Bram Stoker ou les films de la Hammer, mais j’ai préféré me laisser porter par l’image qu’évoquaient ces créatures dans mon inconscient plutôt que de respecter scrupuleusement une œuvre ou une croyance particulière. Pour le prochain album je vais essayer de coller davantage aux contes populaires qui traitent de ces monstres. Je peux par exemple vous conseiller les ouvrages de Claude Seignolle ou Roland Villeneuve.
8 - Quel est la créature que tu préfères personnellement ?
Le Loup Garou. C’est celui qui me semble le plus crédible et qui présente de nombreuses histoires référencées. Il peut s’agir d’une créature surnaturelle (un homme qui se transforme en loup), ou bien d’une espèce animale hybride entre l’humain et le loup, ou encore juste d’un tueur déguisé.
J’aime aussi beaucoup le vampire pour les mêmes raisons, mais c’est une figure surreprésentée dans la culture actuelle et assez galvaudée.
9 - Si tu devais retenir une légende d'horreur française tu citerais laquelle ?
Je suis fasciné par l’histoire de la Bête du Gévaudan. Car on a ici la genèse d’une légende populaire à partir de faits divers. Des gens qui meurent ou disparaissent, des témoignages et des rumeurs, des théories plus ou moins fantastiques, et un mystère qui reste toujours entier puisque la dépouille de la bête a disparu.
10 - La musique de "Le noir village" est particulièrement variée passant du Black Metal, à la musique ambiante et médiévale. Comment s'est opéré ce travail s'apparentant à un opéra ?
C’est l’histoire qui a complètement guidé la composition. A chaque acte je cherchais à créer une ambiance qui colle à la personnalité des personnages ou à l’action qui s’y déroule. Par exemple en jouant en triolet (pour rappeler la cavalcade du cheval) lorsqu’Alaric chevauche vers la forêt d’Eberulf ; en utilisant la violence du blast lors du combat entre le cadavre de Rodéric et le Vampire ; en ajoutant de l’orgue et des trompettes lors des interventions divines ; en alternant un riff très simple et incisif avec un riff rythmiquement déstructuré pour opposer le Prêtre inquisiteur au pauvre Grimoald accusé à tord etc. Je ne me suis tout simplement donné aucune limite de style.
11 - De nombreux instruments que je ne connaissais pas peuplent les chansons. Peux-tu nous parler d'eux ?
En plus du combo classique guitare-basse-batterie, j’ai ajouté de nombreux instruments que l’on n’a pas l’habitude d’entendre dans le Metal. Il y a du piano ; de l’orgue d’église (car je suis organiste) et des trompettes ; de nombreuses guitares acoustiques ; du violon et du violoncelle ; de la thérémine qui est l’un des premiers instruments électroniques (il ajoute cette touche typique des vieux films d’horreur) ; et tout un panel de percussions et instruments asiatiques et orientaux (dont je fais la collection) pour un passage de ritual ambient (en vrac zarb, daf, dap, udu, darbuka, dung chen, tingsha, bols chantants, gongs, ocarina). Tout comme pour le style de musique, je ne me suis donné aucune limite dans le choix des instruments lors de la composition, et tant pis si ça allait être compliqué à mettre en place lors des enregistrements ou si ça risquait d’aliéner les puristes du black.
12 - Pourquoi ne pas avoir choisi de mettre plus les voix en avant ? Parfois il faut prêter l'oreille pour comprendre ce que les paroles racontent.
Les compositions ont avant tout été réalisées pour les guitares, et j’avais envie de faire honneur aux mélodies et harmonies que j’avais créées. Dans le black et le death les paroles sont rarement intelligibles, donc je ne trouve pas grand intérêt à surmixer les voix, surtout si ça doit être au détriment des autres instruments. De plus, cette démarche pousse l’auditeur à écouter l’album en lisant le livret, ce dernier ayant été conçu comme un livre de conte, un peu comme les livres sonores que l’on avait dans notre enfance.
13 - De nombreux camarades d'Antiq sont présents sur la galette. Peux-tu nous dire un mot sur cette collaboration ?
Les camarades d’Antiq comme tu les appelles sont avant tout des amis proches. Cela me faisait plaisir de les faire participer à un projet aussi personnel (et j’espère que le plaisir a été partagé, même si je suis parfois un peu exigeant) et d’avoir pu profiter de leurs talents. Pour certains instruments ou types de chant qui n’étaient pas pratiqués dans mon entourage, j’ai dû faire appel à des connaissances éloignées ou poser des annonces, et je suis content d’avoir pu ainsi apprendre à connaître des gens exceptionnels et extrêmement doués.
14 - Je connais le label quasiment depuis les débuts. Je l'ai vu grandir, amorcer sa chrysalide pour finalement proposer des albums absolument géniaux. Quel regard portes-tu sur le chemin que vous avez fait jusqu’à présent ?
Je suis très fier du chemin accompli. Depuis plus de 7 ans qu’Antiq existe, nous n’avons cessez de produire des albums, d’augmenter notre distribution, d’améliorer la qualité du son et du design de nos productions, de fédérer toujours plus de personnes autour de notre Art, le tout en restant fidèles et cohérents au concept initial.
15 - Y aura t il un jour un autre Créatures et, si ce n'est le cas, participeras tu à un autre projet ?
Oui, il y aura un autre album de Créatures, et j’espère maintenant que le projet est lancé qu’il ne mettra pas 7 ans à sortir également, ahah. Pour le prochain album je vais davantage travailler le concept et me concentrer sur un unique monstre et quelques personnages humains. Je vais pour ça me faire aider d’un ami écrivain et conteur. Nous allons probablement co-écrire une nouvelle qui accompagnera l’album. Avant cela, car c’est un concept album qui risque de prendre des années, j’espère réaliser un EP sur des contes traditionnels. Mais tout ça n’est pour l’instant qu’à l’état de projet.
A côté je continue de faire la basse dans Hanternoz, et je monte un nouveau projet de ritual dark ambient (par l’impulsion du passage ambient de « A l’Orée du Mal, le Pacte Interdit » de Créatures) nommé Dormin. Je travaille d’ailleurs actuellement avec l’ami écrivain/conteur que j’évoquais précédemment sur des séances de contes horrifiques asiatiques que j’accompagnerai musicalement en direct.
16 - Qu'est ce qu'Antiq vas nous proposer dans les mois qui arrivent ?
Nous avons sorti peu de temps après Créatures la réédition des deux premières démos de Grylle (projet de musique médiévale teinté de black metal) en CD. Nous sortons fin mars en CD l’EP d’Hanternoz qui avait été produit en cassette chez Werewolf promotion en 2013 : Mallozh d'Ar Zistrujerien Kastell Ankiniz.
En mai-juin devrait sortir un second split pour Hanternoz avec deux autres groupes.
Et en automne-hiver arrivera un nouvel album de Grylle, bien plus abouti et ambitieux que les précédents.
17 - Un denier mot pour nos lecteurs ?
Tout d’abord merci à toi et à Horns Up pour la chronique et l’interview de Créatures, et merci aux lecteurs qui seront arrivés jusqu’ici. Je vous invite chaleureusement à écouter l’album en entier (et gratuitement) sur bandcamp, et à acheter la version physique si vous désirez soutenir un projet original et ambitieux. A bientôt.
https://creaturesfr.bandcamp.com/ / http://antiq.bigcartel.com/