"Les vrais savent, les vrais font".
J'ai eu la chance pendant mon enfance de passer pas mal de temps à la campagne. Outre des moments de solitude où le terme ennui prenait tout son sens, j'ai entendu pléthore d'histoires effrayantes, certaines saupoudrées de mysticisme et de surnaturel, d'autres de haches et d'hémoglobine. Je me rappelle de beaucoup de ces histoires, car elles étaient suffisamment implantées dans un paysage familier pour paraître plausibles mais aussi suffisament extraordinaires pour capter l'attention. Des histoires de meurtres, de possession, de malédiction, de pactes avec le diable, de bêtes étranges et de revenants j'en ai eu mon lot et quand la nuit venue je passais à côté de la sombre et vieille bergerie, je me disais qu'effectivement, il pourrait se passer des choses horribles là dedans. Dans ces moments là, j'avais vraiment les chocottes.
Nous avons aujourd'hui perdu le goût de ces peurs. Nous préférons le visuel, le choquant et le spectaculaire... cependant quand l'angoisse de l'inconnu remonte à la surface, il n'est pas rare qu'elle défonce la porte de la cave. Un paisible décorum bucolique peut radicalement changer d'apparence si on le sait hanté par le malin où jadis ensanglanté par une terrible vengeance. Ça vous parle ce que j'écris ? Alors allons faire un tour au Noir village pour y découvrir ses monstrueuses créatures.
Le label Antiq Records est coutumier des sorties étranges. De l'incroyable et unique Yele Solma à l'inquiétant Cathédrale de Glace, Antiq propose des disques parfois difficiles d’accès mais raisonnant avec le mot audacieux. Et si je vous dis ça, c'est qu'a mon sens, Créatures fait partie des toutes meilleures sortie du label, ce qui n'est pas peu dire...
Créatures est un one man band créé à la fin des années 2000. Après une première démo, Sprada s'est attelé à la composition des six chansons de l'album qu'il a pensé comme une sorte d'opéra horrifique. Plusieurs chanteurs et chanteuses interviennent afin de donner de la variété au champ d'expression des voix et afin de répondre à la myriade d'instruments qui jouent sur ce disque. Guitare, basse, batterie, piano, orgue, darbouka, ocarina, violon, violoncelle, gong, chœurs célestes, zarb, daf, dap, udu, gong et bols chantants... la liste est dodue !
L'histoire narre les horribles et violents assauts que subit un paysan en proie à une affreuse galerie de monstres. Loup garou, vampires, démons, revenants, prêtres et anges se télescopent dans des textes écrits en français, le tout accompagné par un Black Metal teinté d'ambiances médiévales, de Doom et d'ambiant.
Ambitieux, le projet avait de nombreuses raisons de se casser la gueule. Outre le fait que de s'attaquer à l'horreur est toujours délicat, le faire sur fond de Metal bizarroïde et sans des effets de production assortis de billets verts était risqué. Mais comme vous vous en doutez surement cela marche. Et foutrement bien en plus.
Les contextes liés au rural et au médiéval doivent être sensitifs et épidermiques, nul besoin d'essayer de styliser son propos de manière abusive.
Si "Martyre d'un tanneur" fonctionne, c'est que l'on sent l'humidité de la cellule, la folie du prisonnier qui en est réduit à compter les pierres qui l'entourent, l'odeur méphitique de sa couche souillée, l’âpreté de la toux qui lui déchire les poumons. "Le noir village" baigne dans une ambiance poisseuse, terreuse et inquiétante qui fait que même les chants d'oiseaux, les arpèges de guitare classique et les chants féminins ne sont pas apaisants.
On peut très bien s'imaginer se faire dévorer les entrailles en apercevant au loin la lumière rougeoyante de sa chaumière ou se faire torturer sur fond de musique et de chants sacrés. Cet album a le goût de l'herbe froide et humide, la dissonance d'une chanson sacrée fredonnée par une vieille folle et l'hostilité d'un orphelin qui ne rève que de se venger du reste du monde.
Dés "L'horreur des lunes pleines", la personnalité du projet déploie ses sombres ailes décharnées. La guitare acoustique, les mélodies vocales et la voix récitatrice... puis d'un coup tombe le couperet d'accords poisseux qui invectivent les menaces d'un Black Metal agressif et menaçant. Parfois à la la frontière du Punk Rock, le propos reste cependant très mélodique. Cet équilibre délicat où il s'agit de laisser s'exprimer une agressivité primaire et des mélodies chiadées est intéressant à écouter. Mais derrière cette apparente évidence, ce cache bien entendu un travail titanesque et une belle source d'inspiration. L'imagination se libère assez facilement à l'écoute de ce disque, les moments oniriques et mystérieux répondant aux descriptions narrées dans les monologues ou dans les paroles. Et comme dans les sombres histoires rurales, Dieu et ses ouailles ne sont jamais très loin, les nombreuses résonances religieuses se muent en chants et en oraisons funéraires. A de nombreux moments, le disque nous rappelle que Dieu et ses hommes étaient finalement bien plus dangeureux que le diable.
J'ai été charmé par cet album, à tel point que je l'ai classé dans mon top 2016 sans l'ombre d'une hésitation. Comme je le disais plus haut, pas étonnant qu'Antiq Records soit de la partie, l'audace, la force et l’étrangeté du propos rejoignant bon nombre de belles productions du label. Offrez vous donc un peu de repos à la campagne...
Tracklist :
- L'horreur de lunes pleines
- Cadavre Abandonné
- Martyre d'un Tanneur
- A l'orée du mal le pacte interdit
- Il était un monstre assoifé de coeur
- Sous le visage avenant de la mort