"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Souvenez-vous, c’était il y a 10 ans… Un duo britannique nommé Anaal Nathrakh explosait à la face du monde Metal avec Eschaton, album révolutionnaire mêlant Black-Metal et Grindcore de la plus belle et de la plus violente des manières. Certes, les connaisseurs s’étaient déjà penchés sur ce groupe qui faisait à ses débuts du Raw Black à sa manière, avec Domine Non Es Dignus (2004) premier album du groupe sorti chez Season of Mist, voire et surtout The Codex Necro (2001), leur tout premier full-length qui est pour certains encore considéré comme inégalable. Mais c’est bien Eschaton et sa pochette toute rouge qui a révélé le sanglant Anaal Nathrakh, a fait définitivement adopter sa brutalité à pas mal de monde, pour un groupe resté unique en son genre (on ne trouve quasiment pas de clones malgré leur succès). Leur référence et peut-être meilleur album qui a été la base de 10 ans d’histoire, une histoire mouvementée ? Pas vraiment, et on ne peut pas vraiment dire que de l’eau a coulé sous les ponts pendant 10 ans. Certes, nous avions eu d’emblée eu le droit à un album plus orienté Deathgrind, Hell Is Empty And All The Devils Are Here (2007). Mais In The Constellation Of The Black Widow (2009) a « fixé » le style d’Anaal Nathrakh, qui n’a quasi-absolument pas évolué depuis. Quitte à devoir poser un constat accablant : à force de stagnation et de redondance, le duo s’est un peu perdu, lasse, ce qui lui a fait perdre de sa superbe et de son efficacité. Anaal Nathrakh, Anaal Attaque, Anaal Matraque, Anaal Foutraque, Anaal Patraque, Anaal Détraque, Anaal Arnaque.
Je vois venir la défense : « on s’en fout tant que ça poutre ». Comme le dirait un noble moyen-âgeux perdu dans les couloirs du temps, « certes ». Est-ce que Anaal Nathrakh peut devenir le Amon Amarth, le AC/DC ou le Motörhead du Black/Grind ? C’est possible, mais avec le temps leur recette ne fonctionne plus vraiment. Pour un style aussi brutal et agressif, on se désensibilise vite, et la claque d’il y a 10 ans ne fait plus vraiment mal aujourd’hui. S’appuyant sur des schémas de composition bien codifiés, jusque dans les lignes de chant criées et claires, Anaal Nathrakh n’a depuis dix ans (exception faite de Hell Is Empty And All The Devils Are Here) fait que copier Eschaton à l’infini, ajoutant çà et là deux-trois petites choses qui ne font pas franchement évoluer le bouzin. In The Constellation Of The Black Widow, Passion (2011), Vanitas (2012) et Desideratum (2014) sont autant de photocopies tentant vainement d’égaler leur mètre-étalon d’antan. A force d’enchaîner les albums sans trop réfléchir, le combo anglais n’a plus franchement de jus. De l’énergie certes, mais bien peu d’inspiration pour pondre quelque chose d’autre que des « nouveaux morceaux d’Anaal Nathrakh » à chaque nouvelle fournée. Passion et Vanitas se maintenaient grâce à quelques bons moments mais avec le médiocre Desideratum, Anaal Nathrakh n’était franchement pas loin de toucher le fond et de sortir l’album de trop. Arrive alors deux ans plus tard The Whole Of The Law, 9ème album du duo et 5ème copie d’Eschaton, à la pochette dans les mêmes tons de couleur que celle de Vanitas, c’est dire l’inspiration…
Anaal Contre-Attaque ? C’est ce qu’on pourrait se dire avec cet album qui, disons-le tout de suite, est nettement meilleur que Desideratum, c’est déjà ça de pris et ça ne sera pas encore le chant du cygne d’Anaal Nathrakh. Mais pour quel résultat ? Toujours le même, du Anaal Nathrakh jusqu’au bout des ongles de pied. Je ne vais pas faire l’injure de redécrire les éléments du style Black/Grind des Anglais, tout y est. La seule nouveauté, qu’on a pu entrevoir sur le single "Depravity Favours the Bold", ce sont quelques effets sympho. Mais au final il n’y en a que très peu sur l’ensemble de l’album (un peu pour "We Will Fucking Kill You", "And You Will Beg for Our Secrets", "On Being A Slave" et "Of Horror, and the Black Shawls"), et ce nouvel apport est loin d’être significatif. On retrouve également quelques moments industriels issus de Desideratum, grâce à Gore Tech qui a rempilé ("Hold Your Children Close and Pray for Oblivion", le début de "We Will Fucking Kill You", "In Flagrante Delicto", un peu encore pour "The Great Spectator"), et puis c’est tout. Le reste dégueule de clichés Anaal Nathrakhiens, jusque dans les détails comme le morceau au chant plus grave ("In Flagrante Delicto") ou les incursions de riffs plus syncopés et modernes qui font toujours bondir de leur chaise certains puristes ("We Will Fucking Kill You", "In Flagrante Delicto" qui a juste le mérite de rappeler un tantinet Hell Is Empty And All The Devils Are Here, "Extravaganza!", "The Great Spectator").
Toutefois, The Whole Of The Law a un point positif qui lui fait légèrement se démarquer : il s’agit tout de même de l’album le plus violent d’Anaal Nathrakh depuis un moment, à l’image de Vitriol qui se donne un max sur certains cris apocalyptiques. Des morceaux comme "Hold Your Children Close and Pray for Oblivion", "…So We Can Die Happy" ou encore les accélérations et blasts de "On Being A Slave" et "Of Horror, and the Black Shawls" décalottent un max, et que dire de l’ultime "And You Will Beg for Our Secrets" au départ de folie, qui est assurément le morceau le plus extrême que le groupe ait pondu depuis "Castigation and Betrayal". La sensation de cet opus qui côtoie les habituels « hits » Anaal Nathrakhiens avec mélodies et refrain en chant clair. Si "Depravity Favours the Bold" s’en sort bien en guise d’opener à la "Forging Towards the Sunset", pour le reste c’est plus difficile et je dois dire que cette fois les chants clairs et accès mélodiques commencent franchement à me gonfler et à friser le ridicule à mes oreilles. Des morceaux comme "Hold Your Children Close and Pray for Oblivion" ou "We Will Fucking Kill You" seraient bien mieux sans les chants clairs, et Anaal Nathrakh gagnerait à rester dans la pure violence, d’ailleurs "And You Will Beg for Our Secrets" est là pour le prouver. Résultat, "We Will Fucking Kill You" est assez infect, "In Flagrante Delicto" est même assez nul, et "On Being A Slave" et "Of Horror, and the Black Shawls" n’apportent rien, font remplissage, tout comme la majorité de Vanitas et Desideratum en leurs temps, les énièmes copies des tubes de Eschaton, du vu et revu qui ne fonctionne absolument plus. On retiendra encore "Extravaganza!" et son chant plus décadent et original, mais c’est encore une fois bien maigre pour un groupe si délicieux par le passé… il n’y a plus de plaisir Anaal.
Donc, et même si The Whole Of The Law reste tout à fait correct surtout par rapport à son prédécesseur, le problème avec chaque nouvel album d’Anaal Nathrakh passé In The Constellation Of The Black Widow est le même : nous aurions affaire à une grosse tuerie si l’album en question était sorti en 2006, et The Whole Of The Law ne déroge pas à la règle. C’est malheureusement encore et toujours une question de contexte. Pour des oreilles bien préparées, qui ont encaissé 8 autres albums de violence pure, Anaal Nathrakh ne fait plus d’effet. On bouge la tête comme tout bon metalleux mais c’est tout, il n’y a plus rien qui ne nous donne envie de devenir sauvage et tout casser. Le côté défouloir est toujours un minimum présent, mais c’est décevant pour un groupe qui avait tant innové il y a 10 ans, qui avait même su déjà se renouveler un an après avec Hell Is Empty And All The Devils Are Here, mais qui depuis s’est contenté de peu. Un morceau comme "…So We Can Die Happy" résume bien le Anaal Nathrakh actuel : c’est extrême comme pas permis mais inoffensif à souhait. Puis tous les morceaux à chant clair deviennent plus kitsch qu’autre chose, car ce qui était une révolution il y a 10 ans n’en est plus une aujourd’hui. Et même au niveau des compos, Eschaton reste inégalable et le duo anglais ne semble plus être en mesure de refaire quelque chose de la trempe d’un "Between Shit and Piss We Are Born", qui semble d’ailleurs toujours servir de conclusion à ses concerts, comme un symbole… Hélas, Anaal Nathrakh lasse et j’en suis las, c’est un peu toujours le même refrain depuis Passion et c’est plus triste qu’autre chose, un groupe qui a sacrifié son inventivité sur l’autel de la productivité. Bref, si vous n’espériez rien d’autre qu’un « nouvel album d’Anaal Nathrakh », The Whole Of The Law et son petit regain de violence bienvenu vous suffira, sinon, laissez tomber… jusqu’au prochain album en forme de nouvelle lueur d’espoir pour un quelconque renouvellement, ou qui sera au moins un peu meilleur que le précédent. Ou pire.
Tracklist de The Whole Of The Law :
1. The Nameless Dread (1:11)
2. Depravity Favours the Bold (3:07)
3. Hold Your Children Close and Pray for Oblivion (3:35)
4. We Will Fucking Kill You (3:54)
5. ...So We Can Die Happy (4:05)
6. In Flagrante Delicto (3:38)
7. And You Will Beg for Our Secrets (3:20)
8. Extravaganza! (4:12)
9. On Being a Slave (5:39)
10. The Great Spectator (3:45)
11. Of Horror, and the Black Shawls (5:41)