Punkach' renégat hellénophile.
Si le Canada est connu pour son death technique, du côté du black metal, il est plus difficile d'identifier une scène nationale. Depuis l'Europe francophone, on a d'ailleurs la mauvaise habitude de se focaliser sur le métal noir québécois, alors qu'il s'agit d'un microcosme composé de quelques groupes seulement. Ils ont leur mérite, entendons-nous bien, mais ils ne sont représentatifs ni du black metal canadien ni même de celui de la Belle Province – oui, on peut faire du black metal au Québec, même chanté en français, sans appartenir à la mouvance métal noir.
Ce contexte socioculturel particulier, Horns Up a pu le découvrir durant une sympathique interview avec les membres de Spectral Wound au Rock in Bourlon 2023. Ils nous avaient évoqué les rites spécifiques de la côté ouest, où l'on aiguise son war black, ou encore ce groupe mystérieux de Terre-Neuve, qui représente à lui seul, disons, la moitié d'une scène.
Le groupe de Montréal (du Québec donc, mais pas francophone de naissance à l'exception d'un membre – vous suivez ?) fait partie de ces formations qui estiment que l'encens et le mysticisme, ça va bien cinq minutes, mais que le black gagne à redevenir une musique de punks radicalisés en cuir noir qui craque de partout. Et de nombreuses tournées outre-Atlantique, associées à un troisième album, A Diabolical Thirst, qui a ébranlé bien des trônes dans l'Ancien Monde, ont taillé à Spectral Wound une solide réputation de groupe de scène de premier plan.
Ce Songs of Blood and Mire, je l'attendais donc au tournant. Et bien que dire ? Spectral Wound est un de ces groupes pour lesquels j'ai vraiment du mal à rendre honneur à la musique par écrit, mais on est sans conteste devant un album qui ne peut s'écouter que d'une seule manière ; d'une traite. Le style ne surprendra pas qui connaît au moins l'album précédent des Canadiens, leur alchimie est arrivée à maturité, mais ça n'est pas pour autant qu'on est préparé face à l'intensité de ce black metal pas exempt de mélodies, mais percutant comme le blizzard matinal sur la gueule de bois.
« At Wine-Dark Midnight in the Mouldering Halls » pose le cadre, la déchéance en pleine conscience d'un esprit torturé, avant que « Aristocratic Suicidal Black Metal » ne vienne y adjoindre un nihilisme... et bien, tout punk – j'insiste, écoutez ce riff – qui vire à la chevauchée romantico-dramatique. Jonah se permet même une petite autoréférence dans son texte (« Honor, glory scorned ; Grace by sin adorned ; Resplendent in diabolic thirst ») pour rappeler que nous restons bien dans le même contexte de chandeliers renversés et de taches suspectes sur la nappe en soie noire. Nappe qu'on arrachera d'ailleurs pour s'en draper le temps d'une dernière valse contondante sur un « A Coin Upon the Tongue » aux grattes pertinentes tant sur la piste de danse que sur le champ de bataille – on notera le solo au passage. Si tout se passe bien, vous devriez terminer l'album à tournoyer dans la forêt avant de vous effondrer sur le nid d'humus le plus proche.
Avec Songs of Blood and Mire, Spectral Wound nous offre une sale hostie amère, un champignon douteux qu'on avalera quand même, dans l'espoir de prolonger encore un peu la nuit et la défonce. Et, accessoirement, une leçon de ce que doit être un black metal furieux, qui éructe son pinard sur l'autel et se fout pas mal des volutes d'encens. Dans le genre, on a là un candidat sérieux à l'album de l'année.
Setlist
Fevers and Suffering
At Wine-Dark Midnight in Mouldering Halls
Aristocratic Suicidal Black Metal
The Horn Marauding
Less and Less Human, O Savage Spirit
A Coin upon the Tongue
Twelve Moons in Hell