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jeudi 15 août 2024

Zeal & Ardor : "Si on montait notre propre festival, il ressemblerait beaucoup à Bourlon"

Manuel Gagneux, Tiziano Volante

Matthias

Punkach' renégat hellénophile.

Le Rock in Bourlon, ça n'est pas seulement un petit festival du nord de la France à l'accueil aussi chaleureux que sa programmation est pointue - et dont le report de la dernière édition est ici. C'est aussi, pour nous, l'occasion de rencontrer quelques artistes en profitant qu'ils sont peu ou prou contaminés par la bonne humeur ambiante. L'année dernière, Horns Up avait ainsi pu interviewer les Belges de Brutus et les Canadiens de Spectral Wound. Cette fois-ci, nous avons eu l'occasion d'échanger un moment avec Manuel Gagneux (chant, guitare) et Tiziano Volante (guitare) de Zeal & Ardor. L'occasion d'évoquer la prochaine sortie du projet avant-gardiste fondé en 2013, la première véritablement créée collectivement, comme un groupe, et non un projet solo. Mais ça ne nous a pas empêchés, ni eux ni moi, de nous éparpiller dans tous les sens au gré de la conversation.

Avant cette tournée, vous avez annoncé la sortie de votre nouvel album, Greif, le 23 août prochain. Ce nom fait référence à une créature bien particulière du folklore de Suisse, et de Bâle en particulier, le Vogel Gryff - un nom que je prononce sans doute très mal et avec des intonations très flamandes. Vous pourriez m'en dire un peu plus, sur cette créature et sur ce folklore ?

Manuel Gagneux : Non non, tu le prononces très bien ! C'est une tradition vieille de 800 ans, il y a cette personne dans un costume d'oiseau, accompagnée par deux autres créatures qui, en gros, vont danser, et c'est toute une cérémonie, mais l'essentiel, c'est qu'il va tourner le dos à la partie la plus riche de la ville.

Donc on peut y voir un message social ?

Tiziano Volante : Oui, ces créatures représentent les différentes guildes des travailleurs, donc c'est plutôt un folklore des quartiers ouvriers de Bâle. C'est une manière créative et amusante de faire passer un message.

C'est assez proche de certains éléments du folklore belge, en fait. Nous avons beaucoup de géants par exemple, des personnages faits d'osier et d'autres matériaux très légers, et qu'on parade dans certaines villes.

MG : Ah oui, sympa. Et ça n'est pas là que vous chassez les chats ? Non, c'est peut-être un autre événement ?

[Notre reporter est un peu décontenancé] Hein ? Ah oui, je vois de quoi tu veux parler. Ce n'est pas du tout à ça que je pensais, mais en effet, ça existe vraiment. Mais ça ne se fait plus avec de vrais animaux...

MG : C'est vraiment drôle en fait, parce qu'au lieu de vous dire « En fait, cette idée de tuer des chats est quand même assez malsaine », vous vous êtes vraiment dits : « Non, en fait l'idée est plutôt cool, on va juste continuer de le faire, mais avec des animaux en peluche » ! [Rire]

[NDLR : Manuel évoque en fait le Kattenstoet, un cortège de la ville flamande d'Ypres qui a lieu tous les trois ans, et où la figure du chat est mise en avant. C'est une réminiscence moderne d'un rite médiéval où, effectivement, des chats étaient jetés du beffroi de la ville. De nos jours, c'est plutôt un hommage au félin et à sa place dans l'histoire.]

 

C'est vrai, le folklore belge est plutôt étrange ! Mais il a aussi la particularité d'être très local. Avant de nous définir comme des Belges, ou même des Wallons ou des Flamands, nous avons cet attachement très particulier à une ville, son histoire et son folklore. C'est très médiéval, et je suppose que c'est quelque chose qu'on retrouve aussi en Suisse, d'une certaine manière.

TV : Et bien oui, vraiment. Je veux dire, si tu parles du Vogel Gryff à quelqu'un de Suisse, il est très possible qu'il n'ait aucune idée de quoi tu parles. C'est vraiment une figure attachée à Bâle, et d'ailleurs ça va dans les deux sens, je ne reconnaîtrais pas forcément tout ce qui vient de Zurich, par exemple.

Revenons à l'album ; c'est quand même un peu difficile pour moi de l'aborder, sur le plan musical, car je n'en connais que les deux singles qui ont été révélés, « Clawing out » et « To my ilk ». Et ce sont deux morceaux vraiment très différents l'un de l'autre. « To my ilk » est vraiment tout en velours, tandis que dans l'autre, j'ai cru entendre des sonorités plus industrielles, des touches d'un death metal assez moderne aussi, un peu mélodique, comme au début des années 2000. Je me trompe ?

MG : Eh bien, j'ai toujours été un grand fan de groupes comme Mors Principium Est, et des trucs comme ça. Mais oui, avec ces deux singles, nous voulions véritablement dire « OK, voici le plus doux ; voici le plus brutal », et entre les deux, tout est possible sur l'album.

« To my ilk », c'est aussi la dernière chanson sur Greif, pourtant, c'est plutôt sur « Clawing out » que se terminent vos concerts de cette tournée. Je suis un peu surpris que vous terminiez sur ce morceau assez rugueux, plutôt que sur quelque chose de plus doux.

MG : Oui, il y a toute une réflexion derrière ce choix. Je n'aimais pas le feeling que les gens partent de notre concert sur un mood « Ooh je veux allez dormir, et eux, sur scène, ils sont sur le point de pleurer », Je préférais terminer le show sur une sorte de point culminant.

TV : Peut-être que c'est nous qui nous y sommes trop habitués... On avait l'habitude de terminer nos concerts sur « Baphomet », avec ce grand break à la fin, et ça faisait une sorte de très beau point final à la setlist. Mais je pense que « Clawing out » fait ça aussi très bien, c'est un nouveau morceau, pour faire les choses différemment et partir sur un « bang » final encore plus puissant. Je rejoins Manuel dans sa manière de décrire l'album, il y a tout un spectre de sonorités entre ces deux morceaux, et à la fin, toutes ces couleurs et ces éléments composent la palette qui fait l'album.

Zeal & Ardor, c'est d'abord un projet très personnel, pour Manuel. Mais J'ai cru comprendre que Greif serait le premier album composé d'une manière plus collégiale ; composé en tant que groupe, par l'ensemble du groupe.

MG : J'écris toujours l'ensemble des morceaux, mais le processus d'enregistrement a impliqué tout le monde. C'est comme ça que nous sommes sur scène, et c'est comme ça que nous sommes à notre meilleur niveau, tous ensembles. Donc cela a du sens de mêler tout le monde au processus créatif. C'est un gros changement, évidemment.

TV : c'était quelque chose que nous devions essayer, ça n'avait pas encore été tenté, donc pourquoi ne pas s'y mettre ?

MG : Et jusqu'ici, tout va bien ! [rire]

Cette implication, c'est aussi un gros changement pour les musiciens ; j'imagine que cela implique aussi un line-up stable pour Zeal & Ardor, ce qui n'a pas toujours été le cas.

TV : Je pense que la nature du projet, c'était en quelque sorte « suivre le courant et réagir à la situation du monde extérieur », c'était comme si chaque nouvel album n'était pas pris pour acquis. Non pas que celui qui va sortir était particulièrement pris pour acquis ; pour chaque sortie, c'était déjà tellement étrange que ça se concrétise, et maintenant je pense que c'est la première fois que nous nous trouvons vraiment dans une position où nous pouvons réellement agir librement, et essayer de nouvelles choses. Je pense qu'en termes de processus, il s'agit en fait d'intégrer la phase que nous avions habituellement avant le travail sur le live dès le processus d'enregistrement, ce qui nous permet de bien mieux connaître les morceaux, d'avoir pu réellement nous familiariser avec eux plutôt que de seulement travailler dessus juste avant une tournée. Maintenant nous connaissons vraiment ces morceaux, cette sortie ça sera vraiment notre bébé !

Le visuel de Greif, dont les singles déjà sortis sont à écouter ici.

Revenons un peu en arrière. Ce n'est pas la première fois que Zeal & Ardor sort un opus avec un sous-texte politique derrière, c'est le moins qu'on puisse dire. Je pense en particulier à Wake of a Nation, avec des titres comme « Tuskegee », mais ça n'est qu'un exemple parmi d'autres. Pour moi, ça paraissait clair dès le début, mais apparemment des gens ont été surpris devant un message aussi explicite. Ca vous avait étonné, qu'ils soient si surpris ?

MG : [Rire] Oui ! Si je me souviens bien, à ce moment-là, ils étaient vraiment en mode « Quoi !? Ils sont putain de politisés maintenant ?? » Mais merde, vous écoutiez vraiment, avant ? Mais ça montre juste que si tu veux faire une déclaration politique, tu dois vraiment être très clair à ce sujet, et j'ai tendance à être très obscur, je suis juste comme ça, en tant que personne créative. Mais ouais, tu dois vraiment avoir une grande affiche derrière toi avec « Voici ce que je pense » !

TV : Je pense que c'est une question philosophique très difficile de savoir comment la communication devrait fonctionner. En général, tu veux rendre les choses compréhensibles, y compris pour qui n'a pas ton jargon ou tes références, quoi qu'elles soient. Mais en même temps, jusqu'à quel point tu dois rendre quelque chose clair pour que le message passe ? Dans le domaine artistique, où tu as d'autres manières de communiquer, sans pour autant devoir les clamer aussi explicitement... Je veux dire, si c'est ça ton but, alors écris plutôt un livre, parce que ça, c'est linéaire, c'est même le plus linéaire des médias. Nous, on ne travaille pas de manière linéaire, en général.

Zeal & Ardor est actif depuis un peu plus de 10 ans, maintenant – dont 7 ou 8 en tant que groupe de live. Au début, c'était un projet très underground. Depuis, vous êtes de plus en plus haut dans la programmation, dans des festivals de plus en plus grands. Est-ce que vous avez vu le public changer ?

MG : Il s'est plutôt diversifié, je dirais. Au début c'était effectivement un public très underground, les snobs élitistes de la musique je dirais, mais maintenant on a beaucoup de jeunes queers, de jeunes de couleur, et c'est super à voir. Et puis, ce festival, c'est un peu « notre scène ». Si on avait le temps et l'énergie de monter notre propre festival, il ressemblerait beaucoup à Bourlon.

TV : Oui, c'est à la fois très spécifique et très varié. Quant au public, de ce qu'on peut en voir, ça dépend bien sûr de si c'est tout un festival, ou si nous sommes sommes là comme headliner. Quand nous sommes en tête d'affiche, on voit le public que décrivait Manuel, mais si c'est nous qui soutenons un autre groupe, c'est tout de suite plus varié. Et c'est de plus en plus mélangé, ce qui est important, pour nous.

Pour revenir à votre public originel, le projet Zeal & Ardor a plus ou moins émergé en marge de la scène black metal, qui n'a pas le public le plus... Disons inclusif ? [Rire] Est-ce que vous avez vu des gens tout d'un coup prendre leurs distances, quand ils ont réalisé quelles étaient vos sensibilités politiques ?

MG : Et bien les gens qui ne nous aiment pas, ils ne viennent pas à nos concerts. Et donc nous sommes un peu dans notre bulle. On ne sait pas trop.

TV : Je pense que nous avons jusqu'ici été plus tôt chanceux, en tout cas c'est mon impression – Touchons du bois, mais c'est assez intéressant de voir que nous n'avons jamais subi de backlash de la part d'extrémistes de droite. Dans un sens, nous prendrions cette question au sérieux, ou en tout cas nous devrions la prendre au sérieux. Mais à part sur d'obscurs forums cachés sur le Web, peut-être... Mais je n'irai pas chercher à les découvrir. Je surveille un peu nos réseaux sociaux, et on a des critiques occasionnelles sur la musique, mais ça c'est très juste, et je peux comprendre d'où ça vient en général, d'autant que ça a toujours été très amical, jusqu'ici. C'est plutôt chouette qu'on semble s'adresser effectivement au public qu'on vise, sans devoir véritablement le verbaliser. Manuel n'étant pas du genre à se lancer dans des discours sur scène...

MG : c'est implicite, mais effectivement ce n'est pas dit à haute voix.

TV : Et c'est intéressant de voir que ça semble marcher !

[NDLR : ce n'est qu'après l'interview que je m'en suis rendu compte, donc je n'ai pas pu aborder le sujet, mais Zeal & Ardor n'est toujours pas répertorié sur Encyclopedia Metallum. Par contre, on peut aisément trouver des échanges internes à la plateforme, dont il ressort que la question a été posée, mais que pour certains, Zeal & Ardor n'est tout simplement pas assez metal pour figurer dans la base de données. Bon, ça se discute, mais ces échanges, eux,suggèrent un certain blocage (cf. capture d'écran). D'autant qu'on pourrait argumenter qu'il y a des projets moins affiliés au metal que Zeal & Ardor sur ce site. Cette affaire est assez intéressante, prise au prisme de ce que nous évoquait Tiziano.]

Allez, on a juste le temps pour une dernière question : qu'est-ce que voous écoutez, en général, dans votre tour bus ?

MG : Ce qu'il y a de pire !

TV : Généralement oui, le pire. D'habitude c'est un mix de hardstyle, d'Europop des 90's et du début des années 2000, peut-être quelques trucs folks vraiment bizarres, des trucs un peu arty.

MG : et de la Meme Music !

TV : Et certaines démo de metal qui entrent aussi dans cette catégorie !

MG : Ouais, c'est plutôt fun ! [Rire]

TV : On n'est pas vraiment des fêtards, mais on aime beaucoup les quiz musicaux !

MG : Et on est très bon ! C'est une bonne équipe !

***

Merci à Manuel Gagneux et Tiziano Volante d'avoir pris un peu de temps pour mes questions.

Merci à Lucas et à toute l'équipe de Rock in Bourlon pour avoir rendu cette rencontre possible.

Photo d'illustration : Michaël Perche.