"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Alors qu’il avait surgi le jour du très capitaliste Black Friday en 2019, Cattle Decapitation se présente cette fois-ci au cœur du printemps. Peut-être avait-il espéré se pointer au début d’une très précoce canicule, mais par chez nous, il débarque ironiquement au milieu des saints de glace. Gel, pluie, chaleur, sécheresse, de toute façon, le dérèglement climatique est bien là, et nos chers écoterroristes californiens seront toujours là pour bien dénoncer la responsabilité de l’espèce humaine. Et toujours de façon ultra-offensive, sans retenue, balançant nombre de cocktails molotov musicaux. Bref, presque sans surprise, Cattle Decapitation sort un nouvel album, et on sait à quoi s’attendre, on sait qu’on va s’en prendre plein la tronche mais on en redemande. Groupe de tous les superlatifs depuis Monolith Of Inhumanity (2012), formation peut-être la plus impressionnante et la plus convaincante du deathgrind contemporain - voire même du metal extrême tout entier, Cattle Decapitation est toujours attendu. Quand se renouvèlera-t-il ? Quand lassera-t-il ? Nul ne le sait et ça ne sera peut-être pas avant l’apocalypse (ou avant la mort de leurs membres, pour rester réaliste). Donnons-le donc en mille, Terrasite est un nouvel album de Cattle qui fait du Cattle, ni plus ni moins. Mais d’une, ça fonctionne toujours, et de deux, le groupe a toujours la capacité d’aller un peu plus loin dans sa sauvagerie, outre le fait de rester toujours inspiré et de pondre de grands morceaux. Terrasite aura déjà été mal jugé par sa pochette pour le moins particulière, moi j’aime bien et surtout pour le léger concept qu’il y a derrière. Cela tranche tout de même avec l’apparat très travaillé de Death Atlas et Cattle Decapitation va ici revenir à l’essentiel, dans le fond comme dans la forme. Ce qui est une mauvaise chose ? Non, car Cattle va regagner en efficacité, tout en ne baissant pas en intensité, bien au contraire même. Alors comme toujours, je vais citer la réplique culte : « j’espère que vous avez le cœur bien accroché, c’est une véritable boucherie à l’intérieur »…
On prend donc les mêmes et on recommence, avec bien sûr l’inimitable Travis Ryan, monsieur je me ressemble pas d’un clip à l’autre. Et après une petite minute de mise en ambiance, « Terrasitic Adaptation » plonge la tête la première dans de la plus pure brutalité. Une accélération ultra vénère dont presque Cattle Decapitation a seul le secret. Tout y est déjà, entre alternance de riffs rangés et de blasts, mosh parts punchy, compos blackisantes travaillées, et bien sûr la panoplie de vocaux nous offrant déjà ce chant « clair » si particulier, unique en son genre et sortant de la gorge de l’incroyable mister Ryan. La recette ne change pas, on retrouve d’ailleurs directement l’atmosphère désenchantée héritée de Death Atlas à des moments cruciaux, mais ça fonctionne immédiatement et le collectif Cattle est en grande, très grande forme. Ce qui est déjà confirmé par le plus classique « We Eat Your Young » mais qui nous balance d’emblée un nouvel assaut à 200 à l’heure absolument tonitruant et imparable. Cattle Decapitation a déjà atteint son extremum niveau production sonore, il n’y a rien de plus que pour Death Atlas (et même The Anthropocene Extinction avant lui), mais autant dire que ça décoiffe et défouraille toujours autant, le paradoxe demeurant que le plus conceptuellement organique de tous les groupes de deathgrind ait une sonorisation aussi blockbusteresque. Groupe qui d’ailleurs assume et n’hésite pas à capitaliser (huhu) sur ses oripeaux les plus modernes dès un « Scourge of the Offspring » au riffing plus syncopé, pour un morceau d’ailleurs plus structuré avec un vrai refrain. C’est un tube, mais un tube de Cattle Decapitation, et cela fait toute la différence. Et des tubes, il y en aura encore. On retrouvera d’ailleurs plus tard dans la lignée plus moderne de ce « Scourge of the Offspring » le phénoménal « A Photic Doom », le hit de ce Terrasite avec des riffs percutants formidables, des enchainements absolument jouissifs et surtout en bout de course ce qui est une des meilleures interventions de chant « clair » de Travis Ryan, avant un final monumental. S’il n’évolue et ne triture son art que très légèrement, Cattle Decapitation tente des compos un peu plus enjouées et cela marche encore et toujours, et s’il fallait encore le démontrer les Américains sont tout simplement au sommet de leur art.
Même s’il fallait presque en passer par des anicroches car je dois avouer qu’à mes premières écoutes, Terrasite présentait un peu de déchet, avec en milieu de course des morceaux un peu moins bons et un peu plus poussifs. Mais au fil du temps, tout passe pour le mieux et Terrasite sera finalement un album plus varié qu’il n’y paraît. « The Insignificants » joue sur un tempo un peu plus pesant - enfin tout est relatif - et sombre, et tire son épingle du jeu grâce à un final désenchanté du plus bel effet. « The Storm Upstairs » est également un peu plus soutenu et demeure classique mais on appréciera le touché technique des musiciens à chaque instant ainsi que les beaux ponts mélodico-apocalyptiques. « …And the World Will Go On Without You » joue lui bien la gamme d’un deathgrind plutôt gruik-gruik avant une deuxième partie très épique qui porte bien la signature Cattle, avec bien sûr un Travis Ryan toujours au top. Et même si ce ne sont pas les morceaux les plus remarquables de la discographie de Cattle Decapitation, la fin de l’album va se trouver un dernier souffle grandiose et remettre tout le monde d’accord. « Dead End Residents » est un fabuleux morceau plus « mélancolique » où Ryan excelle encore sur tous les points et où les passages les plus sauvages sont encore une fois dévastateurs. « Solastalgia » est monstrueux de brutalité avant que sa dernière partie n’aille très loin dans l’épique avec un Ryan qui en rejouerait presque sa prestation prenante et inoubliable d’un « Time’s Cruel Curtain ». Et pour ce Terrasite qui va droit au but, pas d’interlude de luxe avant la conclusion ultra complète qu’est « Just Another Body », 10 minutes de grand Cattle, la piste la plus longue de sa carrière d’ailleurs. Sans surprise certes, pour un album qui de toute façon ne fait pas vraiment plus que The Anthropocene Extinction et Death Atlas, mais qui est vraiment dans la quintessence de ce que le groupe peut faire à la fois en termes de violence metallique et d’ambiance apocalyptico-désenchantée. Cattle Decapitation a donc fini par aller très loin, tutoyant même par moments le pompeux et le grotesque, ce qui ne plaira pas à certains qui trouveront peut-être que tout ceci frôle l’indigestion (surtout sur 53 minutes). Mais tout jusqu’au-boutiste qu’il est, Cattle est en forme de compétition et Terrasite est tout simplement une bonne tuerie des familles. Leur meilleur album, difficile à dire, en tout cas il synthétise bien l’esprit de ses deux prédécesseurs et continue à proposer des morceaux magistraux, dans des humeurs un peu variables. Cattle Decapitation ne faiblit pas, sans vraiment se renouveler, mais Terrasite est un album jouissif de sauvagerie qui fait bien sûr toujours un peu réfléchir, et on en attendait pas moins. Un nouveau monstre est sorti du cocon…
Tracklist de Terrasite :
1. Terrasitic Adaptation (5:02)
2. We Eat Our Young (3:55)
3. Scourge of the Offspring (4:28)
4. The Insignificants (4:43)
5. The Storm Upstairs (5:28)
6. …And the World Will Go On Without You (4:14)
7. A Photic Doom (4:26)
8. Dead End Residents (5:09)
9. Solastalgia (4:56)
10. Just Another Body (10:16)