"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Le Black Friday 2019 aura généré, rien qu’aux USA, 7.4 milliards de $ grâce aux ventes en ligne. Un beau symbole de la surconsommation à laquelle je suis sûr que vous avez participé, bande d’irresponsables. Mais peut-être avez-vous dépensé de manière responsable pour un seul CD, celui sorti ironiquement le jour même du vendredi noir, le troll ultime, le message caché dans la masse, Death Atlas le 8ème méfait des Américains de Cattle Decapitation. Le groupe qui pose le plus violemment possible le message écologiste, comme une incarnation Metal extrême de la Greta Thunberg la plus remontée. Celui qui n’était alors qu’un groupe estampillé « vegan » avec une musique et des images bien mordantes pour faire passer le message d’une manière bien sauvage est passé en quelques années à un tout autre niveau. Musicalement, Cattle Decapitation a commencé à exploser avec Monolith Of Inhumanity (2012) où il a posé son style plus moderne, Deathgrind blackisant presque progressif notablement porté par l’incroyable versatilité du chanteur Travis Ryan. Le discours anti-humain pro-animal a ensuite évolué de manière plus globale, s’élargissant à la déliquescence de notre planète pour The Anthropocene Extinction (2015), album qui confirmait Monolith Of Inhumanity avec panache et posait Cattle Decapitation comme une des plus grosses sensations en termes de Metal extrême, même au-delà du Deathgrind. Groupe de tous les superlatifs depuis quelques années, Cattle Decapitation n’en a pas fini, tant que notre planète restera viable en tout cas. Ce n’est que 4 ans après The Anthropocene Extinction qu’un des groupes les plus sauvages du Metal non-underground revient en bacs, et une chose semble claire, il est bien énervé, tel encore une fois une Greta devant un parterre d’industriels et de politiciens. Et à l’image de la pochette de Death Atlas, des noms des premiers singles dévoilés ("One Day Closer to the End of the World", "Bring Back the Plague"), il sera plus apocalyptique que jamais, bien décidé à nous faire comprendre l’urgence de la situation planétaire devant les changements climatiques, la société de consommation et tout le manuel de la collapsologie. Et pour cela, il va devoir aller plus loin, plus fort, agresser encore, le dialogue ne marchant plus, place à l’action. Et ceci après un The Anthropocene Extinction déjà bien offensif. Attention, encore une fois, j’espère que vous avez le cœur bien accroché, c’est une véritable boucherie à l’intérieur…
Plus violent que The Anthropocene Extinction qui était déjà lui-même plus violent que Monolith Of Inhumanity ? Mais comment faire ! Enfin, disons plutôt que Death Atlas sera déjà, tout simplement, l’album de la maturité pour Cattle Decapitation, désormais à son apogée que ce soit pour le fond ou la forme (avec une très, très grosse production, peut-être trop pour ceux qui en étaient restés à The Harvest Floor voire ce qu’il y avait avant). Et si Monolith Of Inhumanity et The Anthropocene Extinction étaient davantage des suites de morceaux, Death Atlas sera un album plus construit, avec une structure étudiée : une intro, trois interludes, des séquences de 3 morceaux et un grand final. Cela nous donne d’ailleurs l’album le plus long de leur carrière, 55 minutes, et autant dire qu’il va falloir se farcir une telle violence. Pour autant, le groupe ne va absolument pas se réinventer, ce qui me faisait dire qu’il devait faire attention à ne pas déjà s’engager dans une voie de garage. Mais son style est tellement singulier désormais qu’il peut tout se permettre, sans prise de risque. Toutefois, Death Atlas va être l’occasion pour Cattle Decapitation de vraiment poser une ambiance apocalyptique. Et quoi de mieux pour commencer qu’une introduction futuriste, "Anthropogenic: End Transmission", sidérante et prenante et en sus composée par Riccardo Conforti de Void Of Silence et produite avec l’aide de Igorrr ? Cattle Decapitation montre une ambition insoupçonnée et qu’il n’est pas là pour bourrer sans réfléchir. Quoique… on embraye directement sur le départ de "The Geocide" qui est à la fois un des moments les plus violents et les plus épiques de toute la carrière de Cattle Decapitation. Ça défouraille d’emblée et autant dire que même si niveau « Metal » il n’y aura strictement aucune nouveauté au menu, Cattle est en grande, en très grande forme, et est vraiment vénère. Travis Ryan crie, growle, nous propose déjà un refrain en « chant clair » très réussi ; et les compos dégomment méchamment, toujours entre trémolos presque Black, riffs Deathgrind tranchants et/ou pesants, et très gros blasts. Avec toujours en toile de fond, cette ambiance pessimiste, mélancolique à sa manière, qui est une des marques de fabrique de Cattle Decapitation depuis Monolith Of Inhumanity et qui fonctionne du tonnerre. Un départ formidable, extrêmement agressif mais aussi monumental, qui va signer un Death Atlas du feu de Dieu. Le vengeur des animaux et du climat est de retour, et l’humanité va prendre cher.
Certes, Death Atlas s’échine surtout à reproduire tous les codes des deux précédents albums un à un, mais l’efficacité est au rendez-vous. Mieux encore, grâce à sa construction un peu plus particulière, Death Atlas ne prend pas le temps de lasser et va s’avérer être parfaitement homogène. Si l’enchaînement frénétique de morceaux de Monolith Of Inhumanity et The Anthropocene Extinction produisait un peu de déchet (et produire du déchet, c’est pas très écolo), sur Death Atlas il n’y aura rien à jeter, et les interludes "The Great Dying" vont faire respirer et vivre cet album tel une œuvre cinématographique, sans pour autant faire chuter l’intensité. Et de l’intensité, il y en aura dans cet album, qui va être encore plus dévastateur qu’un The Anthropocene Extinction. Il y aura certes toujours ici et là des ralentissements, des growls bien rauques et gras, des moments plus sombres, histoire de montrer toute la palette de Cattle Decapitation, mais c’est bien l’agression et la sauvagerie qui prime. A l’image de morceaux comme "Vulturous" ou "Finish Them" qui démarrent de manière bien écrasante avant de foncer tout droit ; le premier cité comprend même un des passages en voix Black les plus monstrueux de toute l’œuvre de Travis Ryan. Un Travis Ryan qui est encore une fois l’attraction principale de Cattle, livrant finalement sa meilleure performance globale jusque-là. Que ce soit dans les growls porcins, le chant Black sauvage et démentiel, ou les inénarrables chants « clairs » que l’on commence à bien connaître (mention spéciale à des morceaux comme "One Day Closer to the End of the World" ou l’incroyable "Time’s Cruel Curtain" avec une mélancolie ultime en son genre), le vocaliste prouve s’il fallait encore le faire qu’il est probablement le meilleur chanteur de Metal extrême en activité. Death Atlas, c’est donc du pur Cattle jusqu’au bout des ongles noircis par la cendre, mais après un déjà exceptionnel The Anthropocene Extinction, on en redemandait et on va en avoir, et pas qu’un peu. Plus puissant, plus agressif, presque jusqu’au-boutiste dans l’ensemble de la démarche, Death Atlas est à nouveau un monstre, un grand album de Deathgrind et plus généralement de Metal extrême.
Il y a donc de quoi faire parmi les 10 véritables morceaux que constituent cet album très fignolé, et il va même être dur de trouver un tube à la "Forced Gender Reassignment" ou "The Prophets of Loss". Pas que l’album soit trop linéaire, bien au contraire, c’est que là les brûlots s’enchaînent vraiment et sévèrement ! Du bien gras et bouillonnant mais toujours épique "Be Still Our Bleeding Hearts" au fantastique "Time’s Cruel Curtain" qui passe d’une violence absolue à des chants libérateurs et fédérateurs, en passant par les deux excellents singles "One Day Closer to the End of the World" et "Bring Back the Plague", les plus contrastés et du coup passionnants "Vulturous", "Absolute Destitute" ou "Finish Them", ou encore l’agression ultime qu’est "With All Disrespect", Death Atlas est une véritable collection de tueries, qui s’emboîtent parfaitement. Avec des passages Blackisants d’une sauvagerie à toute épreuve, des moments plus gras ou plus épiques remarquables, une inspiration de tous les instants portée par un son qui décoiffe et bien évidemment un Travis Ryan plus cinglé que jamais, Cattle Decapitation impressionne encore. Sans surprendre le moins du monde certes, mais avec Death Atlas, il est au firmament de sa forme et de ses capacités. Et va terminer cette épopée apocalyptique par une tradition et un sacré pavé, à nouveau un interlude de luxe ("The Unerasable Past" en sus co-interprété par Dis Pater de Midnight Odyssey) suivi d’un grand final, un morceau-titre particulièrement complet de 9 minutes qui regorge une dernière fois d’agression Black-Deathgrind ultime et ce dès les premières secondes, et bien sûr d’epicness mélancolico-apocalytpique à la Cattle qui se conclut d’ailleurs de manière grandiose grâce au dernier guest de choix qu’est Laure de Öxxö Xööx (et, pour les détenteurs du digipack, par une reprise presque méconnaissable de "In the Kingdom of the Blind, the One-Eyed Are Kings" de Dead Can Dance). Même "Kingdom of Tyrants" et "Pacific Grim" sont largement dépassés et en cela, je dois répondre à la question que tout le monde se pose : oui, Death Atlas est meilleur que The Anthropocene Extinction. D’un petit cran, mais Cattle Decapitation va encore plus loin, est encore plus mature, et son précédent opus n’était que la première partie de son manifeste. Tant pis si la plupart des compos ont un air de déjà-entendu et que seuls les interludes amènent du neuf et posent une ambiance mieux amenée, tant pis si le groupe utilise toujours un répertoire de deux riffs et demi pour toutes les mosh-parts de l’album, Death Atlas est jouissif de bout en bout. Une grosse branlée pour terminer l’année, c’est ce qu’on désirait et qui de mieux que Cattle Decapitation pour se pointer le jour du Black Friday et agrémenter nos fêtes de fin d’année. Mais on ne rigole pas, le changement climatique c’est du sérieux, et grâce à une musique aussi délicieusement sauvage, Cattle Decapitation nous donne envie de militer à coups de Deathgrind plus offensif que jamais. Assez de palabres, place à la violence !
Tracklist de Death Atlas :
1. Anthropogenic: End Transmission (2:15)
2. The Geocide (3:42)
3. Be Still Our Bleeding Hearts (3:54)
4. Vulturous (4:59)
5. The Great Dying (1:12)
6. One Day Closer to the End of the World (3:47)
7. Bring Back the Plague (4:28)
8. Absolute Destitute (4:35)
9. The Great Dying II (1:05)
10. Finish Them (2:55)
11. With All Disrespect (4:31)
12. Time's Cruel Curtain (5:31)
13. The Unerasable Past (2:50)
14. Death Atlas (9:14)