hell god baby damn no!
On ne va pas se mentir, dans le vaste et hétéroclite monde labelisé “Post-Black”, il y a ceux qui osent et ceux qui suivent. Non pas que ces derniers fassent mal les choses, ils proposent même sûrement des riffs inspirés, des moments pleins d’émotions, et il n’y a rien de péjoratif à vouloir jouer une musique que l’on aime sans chercher à proposer quelque chose de novateur. Seulement, toute personne tentant de suivre de près l'actualité musicale le sait, on est autant surchargé de sorties de ce genre que de nouvelles démos de one man band de black metal typé 90s postées sur Black Metal Promotion. Il est si facile de perdre le fil, et d’avoir l’impression d’entendre la même déclinaison du même groupe.
Alors ceux qu’on retient, souvent, ce sont ceux qui innovent, d’une manière ou d’une autre, dans une direction ou dans l’autre. On ne va pas forcément parler d’un bon dans l’avant-gardisme pur ou d’une révolution musicale, mais simplement de quelque chose qui sort de la pure superposition de chant black clair et puissant sur riff mélodique. Et parmi ces petites pépites qui ont très vite appris à nager à la surface de l’océan post-black, il y a, bien sûr, White Ward. Après un Futility Report qui avait déjà fait grand bruit mais ne m’avait personnellement pas plus touchée que cela, c’est en 2019, avec Love Exchange Failure, que les ukrainiens sont entrés dans mon coeur à coup de mélodies à la guitare et au saxo peignant un spleen urbain doux et amer.
Trois ans plus tard, voici donc False Light. Enregistré avant la guerre, ses textes, son chant clair grave et ses airs de piano de fin du monde font pourtant une bande son adéquate au ressenti que l’on en a, bien en sécurité dans nos foyers français, face aux actualités qui ont défilé sur nos écrans. Bien que False Light soit musicalement plus doux que ses prédécesseurs, il s’en dégage quelque chose de plus dépressif, une tristesse toujours plus profonde et mouvante. Comme si ce spleen, le groupe nous le déclinait dans toutes les visions, dans toutes les tessitures trouvables.
Car on retrouve bien d’emblée la marque de fabrique White Ward, ces riffs bien clairs et puissants d’un Black Metal moderne comme peut le faire un Der Weg Einer Freiheit et ces passages darkjazz tout droits sortis d’un Bohren. Mais là où White Ward ne se repose pas sur ses lauriers, ne refait pas un autre Love Exchange Failure, c'est avec tous les autres passages ajoutés, juxtaposées avec grande justesse pour que cela ne fasse pas du racollage. Les Ukrainiens s’aventurent plus en avant dans le chant clair, dans différentes tessitures. Jay Gambit (Crowhurst) vient poser des voix graves sur “Soft Paradise” essai darkfolk, tandis que “Cronus” et certains passages de “Phoenix” vont jouer avec des voix goth-rock dignes d’un bon Beastmilk; mais on a droit à des voix plus éthérées, superposées au chant Black pour un effet plus proche d’Enslaved.
False Light fait aussi la part belle au saxophone, encore plus que ses prédécesseurs, que celui-ci prenne la place des guitares pour les leads mélodiques, qu’il sorte de nulle part pour des interludes suspendus dans le temps, ou qu’il prenne des tournures distordues pour des sons dissonants. Doux ou perçant, White Ward exploite la versatilité de l’instrument qui a démarqué le groupe dès ses débuts, aussi bien qu’il apprend à le faire avec le chant. Quitte à ce que les guitares, l’aspect plus classique du style, soit mises en retrait, ne deviennent qu’une part de l’album au même niveau que le reste au lieu d’en être l’élément principal. Cela fonctionne, grâce à des transitions agiles, biens faites et au bon moment, basées sur l’émotion que procure la musique malgré toute sa richesse technique. Les guitares sont en retrait au final, les riffs loins d’être primordiaux. “Leviathan” ou “Phoenix” savent tout de même leur faire la part belle, avec de vrais passages qui raviront les fans du genre ; un riffing mélodique des plus classiques mais des plus efficaces… Tandis que des pistes comme “Silence Circles” jouent entre black metal, doom dénué de toute mélodie, passages soudainement rythmés avec des harmonies à la limite du heavy.
De surprise en surprise, False Light décline les genres et les influences sans jamais se perdre, sans jamais relâcher toute l’émotion qui se meut de la première à la dernière note. Un exercice difficile, exécuté avec grande finesse et grande justesse. White Ward perd peut-être son étiquette de metal extrême ou même de groupe “post-black”, mais pas son identité. Et c’est tout ce qui importe.
Tracklist :
1. Leviathan
2. Soft Paradise
3. Phoenix
4. Silence Circles
5. Echoes in Eternity
6. Cronus
7. False Light
8. Downfall