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dimanche 15 mai 2022

Au temple du youth crew : Break Down the Walls 2022 @ Paris

ESS'PACE - Paris

Raton

Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.

Les amateurs et amatrices de hardcore et à fortiori de youth crew européen le savent : pour trouver de bons nouveaux groupes, il faut souvent fouiner sur Bandcamp parmi une palanquée de projets oubliables et parfois interchangeables. Seuls quelques groupes parviennent à conjuguer la force de frappe, l'aisance référentielle et l'efficacité moderne. Pourtant, tous (ou presque) sont à l'affiche du Break Down the Walls 2022, date unique qui se tenait à l'ESS'pace le 7 mai dernier.

Après un "A World to Win 2021" étincelant avec le très haut du panier du metalcore straight edge européen (report complet toujours dispo ici), la joviale et déterminée équipe d'Arak Asso revient avec le zine Time Is Now pour l'affiche youth crew de l'année. Sept groupes, dont quatre straight edge, pour six pays différents, dans une salle blindée de stands associatifs et militants, avec un zine fait spécialement pour l'occasion, le tout à seulement 13€. Il semblerait qu'Arak soit déterminé à faire de ces dates-festivals des moments de cohésion historiques pour notre scène.

Le succès de la soirée ne peut que leur donner raison. Plus de 230 personnes, françaises et européennes, se sont réunies pour rendre hommage au youth crew et à la force politique d'une jeunesse sobre, résumée par la grande barrière derrière la scène : "Pas de guerre entre les peuples ! Pas de paix entre les classes !". Le public ne s'y trompe pas : exit les accoutrements metalcore du "A World to Win" pour laisser place aux tee-shirts Youth of Today, H2O et Have Heart.

Au delà de l'approche partisane qui ne parlera pas à tout le monde, je ne peux que vous inviter à assister à ces dates et à vivre la ferveur hardcore qui marque les concerts Arak. Je n'ai que rarement vu autant de visages épanouis, parfois même émerveillés, de discussions spontanées entre inconnu.e.s et d'énergie positive dans le pit. Il ne s'agit pas que de punk hardcore, mais aussi d'une façon de faire et de vivre, d'un sens aigu de la communauté et du rassemblement, qui me rappelle toujours le cri de ralliement "united strong" d'Agnostic Front.

 

Care

Ce sont les Polonais de CARE qui ouvrent le bal. Le groupe est le projet des membres du label polonais Youth 2 Youth qui coordonne une belle partie des sorties hardcore polonaises et limitrophes. Aussi youth crew que straight edge, les Polonais sont aussi d'émérites représentants du positive hardcore, nom qui était donné à la scène, d'abord américaine, qui, à partir de la deuxième moitié des années 80, refusait le virilisme violent jusqu'alors majoritaire et faisait la promotion d'une scène unie, non-violente et consciente des enjeux sociaux d'inclusion. Le chanteur profite d'ailleurs du concert pour annoncer qu'une caisse de dons est disponible sur la table de merch et que les profits seront reversés à des assos d'accueil des réfugié.e.s ukrainien.ne.s en Pologne.

Dans son unique démo, publiée fin 2020, CARE prend un parti-pris plus old school que les autres groupes. Choix confirmé lorsque le groupe reprend avec fracas le "No More" de Youth of Today. Avant le début du concert, les membres du groupe proposent au public de leur dessiner les croix du straight edge sur les mains. Celles et ceux qui sont arrivé.e.s sans arborer les symboles de leur sobriété acceptent avec plaisir et donnent à voir toute la dimension positive et communautaire de la scène.

Le mosh s'ouvre avant même la première note et CARE sait en jouer en enchaînant les passages fédérateurs de two-step et de side to side. Les musiciens essuient quelques plâtres au niveau de la balance avec une voix trop en avant et avec peu de retours (donc manquant quelque peu de justesse), mais ça semble se caler sur les premiers morceaux. Le groupe, encore récent, avec seulement cinq morceaux à son actif, manque encore de véritables hymnes et d'une tracklist solide, mais a définitivement quelque chose à dire et le dit avec un sourire jusqu'aux oreilles.

 

Make x Peace

Les Tchèques de Make x Peace succèdent à CARE mais conservent la même énergie youth crew / positive hardcore / straight edge, avec des influences qui vont de Gorilla Biscuits à Have Heart. Tout aussi fédérateurs, ils sont toutefois bien plus groovy que leurs prédécesseurs avec des influences à la Bane dans le chant. Le chanteur, très solide, fédère une nouvelle fois un public qui ne montre pas un signe de fatigue, dans une salle qui ne désemplit pas. Sans fioritures ni effets de style, Make X Peace livre un show extrêmement carré, frais et exaltant. Les Tchèques sont un rayon de lumière à l'ESS'pace, avec autant de générosité que de passion.

Pour la deuxième partie du show, le chanteur appelle un de ses camarades et explique que Maxe x Peace est constitué des mêmes membres que Lifelike, à l'exception du chanteur à qui il laisse la place. Le style change radicalement et passe du youth crew léger au metalcore influencé par la scène américaine straight edge des années 90, de Unbroken à Earth Crisis. Pendant trois morceaux impeccablement envoyés, la foule durcit son mosh et rappelle à la scène les instants fiévreux du "A World to Win".

 

Worth It

Dans ce grand ballet international(iste), c'est au tour des Basques (espagnols) de Worth It. A première vue, on pourrait croire que c'est un énième projet de posicore à l'emballage traditionnel, mais quand on y regarde de plus près Worth It incorpore plein d'éléments modernes dans ses riffs et accompagnements. Plus particulièrement, le groupe mélange des riffs à la Turning Point, des passages groovy en mid-tempo très bien sentis et surtout des breaks ultra efficaces.

Leur set commence d'ailleurs sur l'imparable "Conviction", au break brûlant qui convainc immédiatement la salle. Les Basques ont également la particularité de donner une place centrale à la basse qui souligne autant qu'elle donne le ton. Sa plus-value se ressent particulièrement sur "Approval", morceau tout aussi excellent. Les finesses de composition ne trompent pas le public qui continue à se foutre joyeusement sur la tronche lors du break obligatoire par morceau. Probablement ma meilleure surprise de la journée.

 

Insecurity

Seul groupe français de l'affiche, Insecurity ne vient pas trahir la ligne éditoriale du concert-festival. C'est peut-être même le groupe le plus viscéralement youth crew à l'ancienne, les Français cédant même à l'appel de la reprise de Youth of Today ("Slow Down"). Initiative payante, la voix du chanteur étant assez proche de celle de Ray Cappo, en moins grinçante.

Après le vent de fraîcheur de Worth It, j'ai du mal à ne pas être un peu déçu par l'approche classique d'Insecurity. Mais le groupe fait tout pour maintenir la chaleur à l'ESS'pace et y parvient sans trop de difficultés. C'est même le pit le plus violent depuis le début des concerts (mais qui sera surpassé par le show de Speedway). Insecurity finit son set par une deuxième reprise, cette fois de The First Step, groupe de hardcore straight edge début 2000s de Caroline du Nord, avec le morceau "Something Inside" (je remercie la vivacité et la connaissance d'un fan qui m'a permis de le savoir, n'ayant pas du tout reconnu le titre moi-même).

 

Spark

Le tour d'Europe du youth crew straight edge se poursuit et s'attarde en Allemagne pour Spark. Le groupe officie dans le même style que ses camarades mais se différencie par une grande variété de composition avec d'excellentes idées de riffs à chaque morceau. Le jeu de guitare est lancinant, assez éclatant avec cette petite pointe mélodique qui faisait le sel du hardcore straight edge des années 2000. On sent en effet que Spark a bossé ses albums de Verse ou de Bane. À l'instar de Worth It, Spark donne aussi une grande place à la basse, dans les leads comme dans les mid-tempo ravageurs.

Malheureusement, alors que le groupe est habituellement composé de cinq lascars, deux sont absents pour cette date. Un ami du groupe remplace le bassiste au pied levé. Pour ne rien arranger, la technique pèche également avec un ampli de basse qui saute et quelques pains de batterie faute de retours corrects. Mais il en faut davantage pour distraire les Allemands qui reprennent de plus belle, avec un son plus dur que les groupes précédents et en multipliant les 2 steps de voyous et les refrains fédérateurs. Grâce à des morceaux tous reconnaissables (ce qui n'est pas gagné dans le youth crew) et des structures constantes qui marchent à chaque titre, Spark gagne aisément la palme du groupe le plus sing along de la soirée.

 

Speedway

Il est probable que, 8 jours plus tard, l'ESS'pace se rappelle encore du passage de Speedway tant les Suédois ont retourné la salle. Dans un style assez proche de Spark, entre l'énergie youth crew, le côté fédérateur du hardcore mélodique et l'entrain de la scène suédoise, Speedway a rendu le public complètement zinzin avec une formidable et brûlante énergie.

Il faut dire que les Suédois semblent avoir tout compris et avoir parfaitement digéré leurs influences, à tel point qu'ils ont réussi à être signé chez Revelation Records après seulement un EP. Avec des leads de guitare habités, une batterie implacable et versatile et les appels au boxon du chanteur, Speedway a fait oublier l'espace d'une petite trentaine de minutes que cinq groupes étaient passés avant eux. C'est même le seul show qui m'a fait quitter mon petit spot d'observation pour aller rejoindre les camarades dans la grande mêlée générale d'avant scène.

 

Protein

Protein est le deuxième groupe polonais de l'affiche et avait fait pas mal de bruit dans la scène youth crew / sXe européenne avec la publication de son EP "The Things I Cannot Hide". Preuve en est, je vous l'avais inclus dans le top straight edge 2020, que vous pouvez toujours retrouver ici.

Comme les groupes précédents, vous ne serez pas surpris de lire que Protein évoque autant le positive hardcore des années 2000 que le youth crew plus ancien, notamment en étant influencé par les excellents et trop souvent oubliés Bane. Les Polonais font honneur à cette tradition en haranguant la foule, avec la présence charismatique du chanteur. Tout est bien en place, notamment la batterie parfaitement calée, et la moitié de show que j'ai pu voir confirme la réputation grandissante du groupe. Malheureusement, la foule accuse le poids des six concerts précédents et se fait plus clairsemée l'heure avançant. Peut-être une leçon à apprendre pour les prochaines dates ?

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Qu'à cela ne tienne, cette édition 2022 du Break Down the Walls semble avoir été un triomphe à tout point de vue. Des sets puissants qui ont tourné en moments de liesse communautaire, des prises de parole pertinentes, un véritable sens de la camaraderie et du vivre-ensemble et un amour palpable du youth crew. De quoi donner grand espoir dans les scènes à venir et dans le futur du hardcore européen.

Une tonne de merci à Arak Asso et Time Is Now pour l'organisation, à l'ESS'pace pour la salle, aux groupes et à Val de Violent Motion pour la vidéo récap . Merci également au public et à la formidable énergie de la jeunesse straight edge.