"The sound of falling, when the pictures are moving"
Toujours sur le front 32 ans après sa formation en 1988, Paradise Lost est une entité dont la carrière inspire le respect. Quelque soit votre sensibilité en matière de Metal, difficile de reprocher quelque chose au parcours des Anglais, tant celui-ci transpire tout ce qui fait le statut «culte» chez un groupe : L’esprit innovant et pionnier, d’abord comme initiateurs sur ses deux premiers efforts d’une certaine forme de Doom/Death, puis comme acteurs du développement du Metal Gothique avec Icon (1993) et Draconian Times (1995). Vient ensuite l’expérimentation osée, prenant à contre pied toute une scène, via les mutations Rock Gothique et Synthpop de One Second (1997), Host (1999) et Believe in Nothing (2001). Avant de retourner progressivement sur ses pas, vers un Metal Gothique teinté de Doom à partir de In Requiem(2007), puis en rentrant dans le rang sur Faith Divides Us - Death Unites Us (2009) et Tragic Idol (2012), albums certes plus conformes mais de très bonne facture, trouvant ainsi une formule fixe et un certain rythme de croisière. Précurseur, audacieux, et conscient de ses racines : les trois termes adéquats pour décrire l’ensemble de l’œuvre de nos Britanniques goths jusqu’à l’os. Mais le retour en arrière ne s’arrête pourtant pas ici.
Il faut croire que ces vieux briscards ont de la suite dans les idées. Galvanisés par les infidélités Death Metal de Greg Mackintosh avec Vallenfyre, puis la participation (encore très controversée) de Nick Holmes dans Bloodbath, Paradise Lost poursuit sa quête d’un retour aux sources plus poussé. Déjà avec The Plague Within (2015), qui voyait un retour des éléments Doom/Death dans la formule Goth Metal, avec à la clé la présence de chant death pour la première fois depuis Shades of Gods (1992), aboutissant à un méfait dense et diversifié. Une sorte de best of, retraçant la majorité du panel sonore exploré par le quintet depuis ses débuts, dans un emballage résolument old school. Mais les envies nostalgiques des doomeux d’Halifax sont allées encore plus loin dans le passé. Medusa (2017) enfonça le clou, poussant l’aspect rétro à son paroxysme de par les clins d’oeil faits à Lost Paradise (1990) et surtout Gothic (1991), en présentant un Doom/Death dominant et très appuyé, où lenteur accablante et atmosphère boueuse demeuraient au centre du débat. Seul quelques incursions plus gothiques, indissociables du groupe, permettaient d’alléger un ensemble majoritairement opaque. Le point culminant de l’entreprise régressive de Paradise Lost fut donc atteint avec ce dernier né, si bien qu’il posait un doute sur la voie à suivre à l’avenir. Vers le recyclage d’un son Doom/Death typé 90’s ; ou poursuivre sa route sans pression, s’appuyant sur le rétropédalage graduel depuis In Requiem d’un retour au premier plan de la composante Metal, démontrant avec certitude l’existence d’une marque de fabrique, d’une patte reconnaissable entre tous, assurant la continuité du projet parmi ses autres collègues de la scène.
Car c’est finalement ce que Obsidian, nouvel et seizième album dans cette prolifique carrière, semble nous signifier en bloc. Dans un premier temps du moins. Ce constat est en effet plus que palpable. Paradise Lost fait du Paradise Lost,avant toute chose, et certains gimmicks inhérents aux récentes productions (et à une bonne partie des autres aussi) le démontrent : toujours cette ambiance douce amère typiquement goth, ces mélodies déchirantes qui mènent une dernière danse avant la chute, et ce ton résigné qui transpire de chaque parole prononcée par Nick Holmes. Tout va bien, tristesse et apathie sont toujours un leitmotiv pour nos cinq âmes névrosées. Qui se ressent parfois plus qu’il n’en faut, tant certains morceaux (les plus classiques), semblent (sans être mauvais), tout droit sortis du moule du « parfait morceau de Doom Gothique ». On pense à « Forsaken » ou « Ending Days », qui sont des morceaux types de PL, ainsi qu’à certaines lignes de chant qui peuvent paraître bien timides et mollassonnes, en comparaison des prestations vocales habitées présentes sur d’anciens albums récents. Certes, ces paramètres sont à prendre en compte. Mais cela soulève avant tout l’essence principale de ce disque. Le propos de Obsidian penche davantage vers la face Goth Metal de la balance, plutôt que sur la face Doom/Death de son grand frère. L’équilibre entre la lourdeur pesante du Doom et la finesse du Metal Gothique demeure, mais sans être envahissant. La mesure et le romantisme sont donc les facteurs dominants de cette équation obsidienne, une noirceur morose en première ligne, retranscrite par cette omniprésence des motifs influencés Post-Punk. On pense à ces arpèges de guitare réverbées, caresses d’une couleur cristalline et clinique à la The Cure parcourant l’ensemble avec élégance. Ces finitions métronomiques donnent le ton, d’ordinaire froid et intime, mais parfois plus entraînant à l’image de « Ghosts » et son côté Sisters of Mercy, dont les leads dansants et le refrain entêtant retranscrivent une mélancolie enivrante, ce parfum de fausse euphorie névrosée si chère à leurs références Post-Punk.
C’est un fait, Obsidian est en terrain déjà connu et depuis longtemps défriché. Cependant, il ne renie pas cette diversité et cette exploration musicale rendant la musique de Paradise Lost si riche et si fournie. Une volonté d’emmener son art vers plus de versatilité n’est pas sans rappeler The Plague Within. Le cru 2015, outre ce retour aux racines, présentait en effet un large éventail stylistique. Chose que l’on retrouve cinq ans plus tard, incarnée par des morceaux charnières qui portent l’album vers des horizons plus ambitieux : plus grandioses sur « Darker Thoughts » et cette progression guitare sèche - violons allant crescendo, jusqu’à atteindre un climax tragico-dramatique sur son refrain, où l’envolée de nappes de violons et des mélodies de Mackintosh se mêlent dans un tumulte aérien quasi psychédélique. Plus nobles et raffinés sont les titres de ce seizième manifeste, de par l’ajout de nombreux arrangements de cordes, de piano et de claviers aux teintes baroques, renforçant l’esthétique classieuse et séraphique d’un « The Devil Embraced », entre autres. « Serenity » demeure quant à lui la petite curiosité de cet exercice 2020, son rendu très martial et up tempo dénotant avec le reste, cette intensité guerrière, assez inédite, qui ferait presque penser à du Rotting Christ gothique. Imaginez des choeurs scandés sur le refrain et la voix de Sakis à la place, et cette comparaison quelque peu hasardeuse aura de suite plus de sens. Le poids du Doom semble enfin plutôt maigre, de par la production (très) lisse et claire, à l’opposé du son gras et âpre qui parcourait Medusa. Ce grain rugueux subsiste pourtant dans l’ombre, se montrant parfois au grand jour. Pour entretenir les liens des origines, matérialisés par la couleur plaintive de « Fall From Grace » et le monolithe de clôture « Ravenghast », dernier soupir étouffant comme pour enterrer une longue et lente négativité. Comme le ferait si bien une pierre obsidienne.
Moins traditionnel que son prédécesseur, plus proche de The Plague Within dans son approche équilibrée entre Doom et Gothique, Obsidian est malgré tout un disque moins atypique que son aîné de 2015, se posant à la fois comme contraste de Medusa et continuité d'un style longuement ciselé et poli tout au long du chemin. Une enième pierre noire venant garnir l'édifice d'un groupe serein et épanoui. Paradise Lost respire la serenité ; il sait qu'il n'a plus rien à prouver depuis fort longtemps.
Tracklist :
01. Darker Thoughts
02. Fall From Grace
03. Ghosts
04. The Devil Embraced
05. Forsaken
06. Serenity
07. Ending Days
08. Hope Dies Young
09. Ravenghast