Why not ?
Quand on approche le nouvel album de Leprous, Pitfalls, on voit en filigrane une tête de Bouddha sur l’artwork et on se dit que les Norvégiens ont voulu apporter une touche zen et méditative à leur sixième album. Mais on voit aussi les couleurs grises et le titre, Pitfalls, ces pièges dans lesquels on ne veut pas tomber car on n'en voit pas le fond. On se retrouve donc face à un premier paradoxe, voire un dilemme conceptuel et musical. Mais on peut se reposer sur des bases solides : Leprous c'est du progressif dans le sens presque expérimental de la définition. On passe d'un monde à l'autre, des sons électroniques, des touches pop, de la saturation prenante. Du coup, on se plonge dans Pitfalls avec une certaine impatience. L'impatience de savoir s'ils sont en mesure de garder la barre aussi haute qu’à leur habitude.
La structure de l'album donne une impression de spirale, comme un crescendo où des parties d'un titre sont portées vers le suivant jusqu'à un climax. Si on remonte le fil à partir de Alleviate, on retrouve de la douceur dans Observe The Train (on a l’impression de retomber en enfance en revivant un moment de quiétude rassurante avec une figure paternelle la main sur notre épaule qui nous murmure que tout va bien), un peu de pop désespérée dans I Lose Hope et son refrain presque murmuré mais qui porte un sens lourd et quelque chose de plus léger et aérien sur By My Throne. Tout cela mélangé se retrouve donc sur Alleviate : légèreté, douceur mais un peu de désespoir, de tristesse et surtout d'incroyables explosions musicales. On se retrouve porté par une émotion dont le porte-étendard est le chanteur, Einar Solberg, dont le timbre aigu puis doux et parfois éraillé peut repousser ou séduire mais ne laisse jamais indifférent.
On sent de la finesse à tous les niveaux. Leprous rentre rarement dans le lard et préfère découper façon dentelle sa musique. Écoutez ces petites touches de charleston sur Below, premier titre de l'album, qui impose un groove simple et pourtant plaisant après un départ plus que calme, voire solennel. La finesse s’exprime aussi dans les sons choisis. Ils étendent la palette au delà des instruments classiques. Les touches électroniques apportent un plus, une vrai plus-value dramatique avec les cordes dans I Lose Hope, un soutien aux lignes vocales sur By My Throne. Les atmosphères s’en trouvent valorisées sans que cela devienne trop baroque.
La seconde moitié de l’album est tout aussi variée et parfois plus musclée. Même si l’aspect Metal de Leprous est moins présent sur Pitfalls, on a des morceaux plus pêchus comme Foreigners qui viennent apporter de l’équilibre dans le kaléidoscope de l’album. On notera que le groupe a volontairement bâti l’ensemble en deux parties autour du thème de la bataille contre la dépression, expérience vécue par le chanteur, qui donne encore plus de profondeur et d’intensité à l’ensemble.
Et comme tout bon groupe de progressif, un morceau plus long se place au moment le plus opportun. Et ici Leprous le place à la fin. Douze minutes de transpiration intense car The Sky Is Red va nous asséner le mot « fire » un grand nombre de fois avec une rythmique très serrée et nerveuse, dynamique et hachée. Jusqu'au moment où ils lâchent la musique pour plomber l'ambiance avec un son qui s'apparente à une sonnerie, une alarme incendie distante comme un avertissement du plomb qui va s'abattre sur nous. L'instant est plus qu'angoissant si l'on se laisse prendre au jeu jusqu'au retour des instruments, pas franchement plus rassurants. Leprous nous fait la démonstration de leur talent de storytelling encore une fois et boucle la boucle avec un ciel qui ne laissera que des cendres et une couleur sombre, comme celle que l'on voit sur la pochette.
Difficile d'être objectif en écoutant Pitfalls, tant on sent le mot de chef-d'œuvre pointer son nez au fur et à mesure de l'écoute. Rarement il m'a été donné d'écouter un tel concentré d'émotions. Et ce qui est fort, c'est la capacité du groupe à transmettre ces émotions, à les graver au fond de nous, les faire vibrer. Si vous êtes fan du genre, vous vous êtes déjà jeté dessus, mais pour les curieux, je vous promets un voyage chez Leprous que vous ne regretterez pas.
Tracklisting :
1. Below (05:53)
2. I Lose Hope (04:44)
3. Observe The Train (05:08)
4. By My Throne (05:45)
5. Alleviate (03:42)
6. At The Bottom (07:21)
7. Distant Bells (07:23)
8. Foreigner (03:52)
9. The Sky Is Red (11:22)