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lundi 18 novembre 2019

Up-Tight + Geography of Hell @ Strasbourg

X - Strasbourg

Hugo

Les lecteurs les plus attentifs du site se souviendront de mon live-report d’Alcest et Vampillia, premier de mes concerts en tant que néo-Strasbourgeois. En l’espace d’un an, j’ai eu l’occasion de fréquenter plusieurs des hauts-lieux alternatifs de la capitale du Grand Est, d’un côté à l’autre de l’Ill. Pour autant, et assez curieusement, je n’avais jamais entendu parler de ce club privé, niché au fond d’une rue située à une quinzaine de minutes en tram du centre (ndr : pour des raisons évidentes, ce club privé restera, dans cet article, tout aussi privé) où je me rendis ce soir-là.

J’apprenais donc il y a quelques mois, au détour de posts sur facebook, qu’Up-Tight allait se produire dans notre belle ville. D’informations, alors, il n’y eut que la date du fameux concert. Même si je n’avais jamais entendu une seule note d’un album d’Up-Tight, et aucune idée d’où le concert se déroulerait, la perspective assez snob de partir à l’aventure pour découvrir un groupe psyché japonais, tout à fait underground, me ravissait au plus haut point.
Une autre belle surprise, fut l’annonce d’une tournée européenne pour Geography of Hell. Ce groupe-là, en revanche, je le connais. Composante de l’illustre label Hospital Productions, la formation (ou plutôt, le collectif), annonçait également une tournée européenne pour novembre 2019. À ma grande stupéfaction, le groupe était, lui aussi, programmé à Strasbourg en ce 11 novembre.

Que deux concerts aussi spécialisés, aussi inédits pour un undeground strasbourgeois qui me semblait plus fade d’ordinaire, se déroulent la même soirée, ne semblait pas être une coïncidence. Je me mis donc en quête d’informations sur cette mystérieuse date, oscillant entre affiches cryptées, et pages facebook d’assos obscures, jusqu’à recevoir un message… qui m’amena à la salle du concert.
 

C’est au fond d’une rue, après avoir tourné deux fois à gauche, puis une à droite, et à nouveau à gauche, que le lieu apparut devant nos yeux. On a donc d’abord la curieuse impression de se rendre à un concert interdit de Death In June, avant de constater qu’il s’agit plutôt d’un petit local associatif tendance autogestion, où les vieux canapés s’imbriquent au milieu d’expositions un peu lunaires. On passe donc le pas de porte de la salle de concert, après avoir adhéré à l’asso et être allé chercher une Meteor (que l’on sert en bouteilles de 75cl, pour moins cher qu’un döner falafel), au-dessus de laquelle figure comme la croix du Temple of Psychick Youth… Le ton de la soirée est donné.

Up-Tight

Malheureusement, on arrive trop tard pour voir le (les ?) premier acte bruitiste, où l’on retrouve notamment ce qui ressemble à une Vielle à Roue (ça) passée sous pédales d’effets. C’est dommage, car ça avait l’air super top, mais Up-Tight va commencer après un changement de plateau, ce qui nous ravit malgré tout. Une fois de plus, je ne connaissais rien du groupe il y a quelques semaines. Mais les quelques titres découverts sur youtube en amont me ravirent, tant le groupe, bien qu’inconnu au bataillon, semblait revêtir toutes les qualités qu’on attend d’une formation psyché orientée drone/stoner/noise.

Ainsi, le power trio investit les planches sur les coups de 22h, mené par un frontman chanteur/guitariste qui me fait penser, sans que je l’explique vraiment, à un Julian Casablancas portant des lunettes de soleil noires trop grandes. Lui sera très expressif comme plus statique, enchaînant mouvements presque boogie-woogie et effondrements maîtrisés sur la scène. Une attitude scénique très japonaise, en somme, qui me rappelle dans une certaine mesure celle de Mongoloid de Vampillia. Cela contrastera magnifiquement avec l’impassibilité et la concentration des deux autres membres du groupe.

Mais surtout, musicalement, Up-Tight n’a vraiment pas à rougir face aux formations à la mode en occident. Le tout est puissant, techniquement ultra-maîtrisé, le son est excellent, et les montées en puissances frénétiques et fuzz-dronesques ponctuent efficacement le set. Si les cinq (six ?) titres joués par le groupe ce soir suivent globalement le même schéma, commençant par des structures rythmiques simples et catchy, et progressant de manière plus alambiquée, ils mélangent agréablement et chacun à leur manière un paquet d’influences. Ainsi, j’ai parfois l’impression d’entendre Black Sabbath comme Sonic Youth, la puissance d’un Yob, comme des élans plus Earthiens, rendant le tout très hypnotique. Parfois même, avec le titre « Falling In Love » dans sa version live, le groupe semble voguer vers des horizons plus shoegaze tout à fait bienvenus.

Véritablement, ce fut une excellente surprise que ce concert d’Up-Tight. Le set prouvant, une fois de plus, que l’underground mondial regorge de petites pépites aux discographies riches, pourtant bien inconnues par chez nous. Un excellent moment, donc, qui donne envie de se perdre dans les rues de Tokyo à la recherche des accords saturés qui feront vibrer nos cœurs.

Geography of Hell

Changement (quasi-)radical d’ambiance avec le collectif international et anonyme Geography of Hell, s’étant fait un petit nom chez les fans de musique bruitiste, notamment ceux suivant attentivement les dernières sorties Noise/Indus.

La scénographie est ici très intéressante. En fond, un grand écran sur lequel seront projetées simultanément des dizaines d’images de guerres, de catastrophes, de marches militaires… Et, au-devant, quatre tables accolées pour n’en former qu’une, sur laquelle de drôles d’instruments bruitistes côtoient les nombreuses pédales d’effets. Musicalement, on a donc affaire à un genre de Power electronics tout à fait hypnotique, duquel émergent des passages plus formellement ambient ou martial industrial. Je retrouve ici tout ce qui me séduit avec ce genre de musique, soit des paysages bruitistes, où la violence est savamment et ponctuellement utilisée au service des montées en puissance, transpercés parfois par de rares mélodies entêtantes. Les différentes variations rendent le tout beaucoup moins monolithique que certaines productions studio du groupe, donnant ainsi toute sa puissance au show. On repère aisément l’influence d’un Prurient et de l’école Hospital Productions, dans la construction de ces panoramas apocalyptiques, où les larsens sonnent comme tant de sirènes d’alarme.

Après près d’une heure de lumières rouges et noires en compagnie d’Up-Tight, du blanc s’ajoute à ces nouveaux tableaux, comme pour mieux en dépeindre les horreurs. On a des frissons, quand le groupe reproduit les sifflements des bombardiers d’Hiroshima. Une fois de plus, le son est excellent, et permet véritablement d’apprécier tous les détails, d’observer toutes les couches, de cette musique très riche et d’une rare intensité. Par la suite, les images de Potsdam et autres portraits de dirigeants, côtoient alors les défilés (para)militaires, où le rythme est donné par les musiciens tapant au marteau sur des bidons de fer. Ceux-ci sont d’ailleurs encapuchonnés et masqués, tout à fait déshumanisés, pour davantage nous entraîner dans un concert qui semble s’accélérer, et où la montée en puissance est autant musicale que visuelle. Pendant près d’une heure, impossible donc de quitter la scène des yeux, sans jamais pour autant réussir à analyser tout ce qui se passe. En outre, on a l’impression en sortant de la salle, que tous ces flashs, ces images subliminales emmagasinées, auront bien du mal à quitter nos esprits durant la nuit.

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Il fait bien froid, alors, en prenant le tram pour rentrer chez soi. Après un Up-Tight dansant et haut en couleur, Geography of Hell nous guida au travers de l’enfer du XXe siècle (comme des dernières décennies), mettant en exergue comme une poétique de l’horreur.
Cette soirée fut de celles qui nous marquent, tant elle fut riche en ambiances inédites, et permit de découvrir sous d’autres angles une ville que l’on croyait pourtant connaître si bien. Merci aux organisateurs, et à la prochaine.