Non.
Alors que les 70s sont indéniablement l’une des tendances musicales actuelles, Hail Spirit Noir ne semble pas réussir à atteindre le devant de la scène. Avec déjà trois albums pourtant, les Grecs (anciens membres de Transcending Bizarre? notamment) proposent un Black Prog/Psyché tout à fait unique, sans doute la caractéristique principale du groupe. N’étant à l’époque pas très friande des ambiances Prog/Rock seventies, « Pneuma » a mis du temps à me convaincre. Néanmoins, une fois prise dans le tourbillon, et la sortie du suivant « Oi Magoi », en 2014, je me suis rendue compte à quel point ce premier jet n’avait été qu’un brouillon. Un mélange d’influences un peu inattendu, une composition sympathique mais toujours très rock’n’roll bien qu’empruntant à divers univers des musiques amplifiées. « Oi Magoi » proposait un jeu de textures et d’atmosphères, de couleurs et d’intentions si intenses et variées qu’il en devenait un chef-d’œuvre.
« Mayhem in Blue », bien que comme habituellement ouvert par un des titres les plus rock’n’roll du groupe, est de la même trempe. Hail Spirit Noir assume plus que jamais de sortir des riffs accrocheurs et des déclamations à Satan, pour continuer à jouer sur les ambiances avec des sons nouveaux, extérieurs aux instruments habituels. Entre l’intro hypnotique de « Lost In Satan’s Charms », et les synthés de fond de la plupart des riffs de l’album, on est servis en expériences de fumée et de spirales acidulées. Bon, le projet joue toujours sur une tension constante entre des boucles de guitare groovy, des textes violents tant dans le ton que le chant (« I Mean You Harm », « The Cannibal Tribe Came From The Sea »). Mais les expérimentations sont plus ancrées et subtilement insérées dans l’ensemble, que cela passe par des sonorités aquatiques de fond, des mélodies délirantes ou même des formats plus classiques, telle la presque-ballade à la King Crimson de « How To Fly In Blackness ».
Si globalement l’album me marque moins que son prédécesseur « Oi Magoi », on ne peut pas leur retirer qu’ils ont mûri sur bien des points. J’insiste notamment sur la mise en place du chant, déjà saisissante auparavant, mais qui joue encore plus sur les contrastes à présent et profite toujours d’une production merveilleuse pour être valorisé. Je pense au titre éponyme, « Mayhem In Blue » où la tension et la saleté s’établissent en crescendo, entre couplets désabusés et refrain scandé de cette voix Black rauque, grave et éraillée, plus poisseuse que jamais. On peut également parler du chant sur « Lost In Satan’s Charms », la pièce-maîtresse de l’album déjà évoquée pour son intro. Le chant s’y fait plus maîtrisé et mature, si on compare aux deux opus précédents qui misaient plus sur les mélodies entonnées par le chanteur que par leur placement et leur intention véritable.
Revenons à ma problématique d’introduction : pourquoi est-ce qu’Hail Spirit Noir peine à se retrouver sur le devant de la scène ? Bien que l’écho 70s soit omniprésent aujourd’hui, il semblerait que le groupe joue la carte de l’originalité mais aussi de la pente glissante. Quand on pense à toute la tendance actuelle, les groupes qui fonctionnent jouent sur plusieurs terrains : plutôt Stoner, plutôt « occult rock à prêtresse chanteuse », entre autres.
Hail Spirit Noir propose, lui, quelque chose de bien plus extrême. Le chant lui-même, me rappelle constamment les voix Black des groupes d’Europe de l’Est comme la scène polonaise ou russe, certaines compositions sonnent comme un Black’n’roll légèrement ralenti et incantatoire. Lorsque ces éléments ne sont plus en première ligne, on passe à des sonorités ambiantes, étranges, aquatiques. « Riders To Utopia » ou encore « The Cannibal Tribe Came From The Sea » illustrent à merveille ce propos.
En réalité, Hail Spirit Noir ne propose aucun repère, que ce soit pour un amateur de Black, de Prog ou de Rock Psyché. Bien que le mélange stylistique emprunte à des styles existants, bien définis, ayant chacun leur sphère et leurs fans, j’ai tendance à songer que le groupe se rattache plus à la niche d’Avant-Garde Black qu’autre chose, pour son aura incompréhensible et difficile d’accès. Ou même, comme j’ai pu le lire parfois, il s’insère dans une vague rétro-avant-gardiste.
Reste que le groupe propose à nouveau un album complètement barré, où très peu de défauts peuvent être montrés du doigt. Peu de renouvellement ? En effet, le groupe continue dans la lignée directe du précédent album en prenant un peu de maturité au passage, gardant son format habituel d’album (bien qu’un peu plus court cette fois, avec seulement 40 minutes). Les titres sont toujours globalement de durée moyenne, marqués par le temps fort d’une pièce dépassant les 10 minutes. Les compositions sont toujours extrêmement équilibrées entre la dominante Rock, Black Metal, et les sonorités plus ambiantes, même plus que sur l’album précédent qui avait pris quelques libertés. Reste cette pochette, inédite pour le groupe qui avait préféré rester loin de la réalité de la photographie pour stimuler l’imagination de ses auditeurs. Si, à première vue, celle-ci m’a choquée pour cette raison, elle est encore une fois entièrement représentative de l’aura mystérieuse et noire de l’album, de la tribu cannibale venue de la mer dans son chaos bleuté.
1. I Mean You Harm
2. Mayhem In Blue
3. Riders To Utopia
4. Lost In Satan's Charms
5. The Cannibal Tribe Came From The Sea
6. How To Fly In Blackness