Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
Olympia, capitale de l'Etat de Washington, n'est pas ce que l'on peut appeler une ville touristique : tournée sur l'industrie (dé)forestière, elle subit de plein fouet la raréfaction des matières premières, se transformant, comme nombre de villes secondaires des Etats-Unis, en zone désaffectée et post-industrielle. Par ailleurs, dans un registre plus culturel, Kurt Cobain a suivi quelques cours dans un collège de la ville, mais surtout, pour ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est ici que réside Yianna Bekris, multi-instrumentiste, compositrice et tête pensante de Vouna, un projet fascinant s'il en est. C'est également dans cette petite ville, où finalement il se déroule plus de choses qu'on ne pourrait s'y attendre, que Bekris a rencontré les fers de lance du Black Metal américain, les frères Weaver (Wolves In The Throne Room). Les frangins ayant une oreille assez aiguisée, il ne leur a pas fallu très longtemps pour percevoir le potentiel de Vouna et d'ouvrir grand les portes de leur Owl Lodge pour enregistrer ce premier album éponyme, puis de le sortir sur leur propre label, Artemisia Records.
Autant vous dire qu'avec des parrains de ce calibre, le projet de Bekris m'a fortement intrigué. Et après l'avoir écouté un bon paquet de fois, je reste profondément bouleversé par ce premier opus. Vouna fait partie de ces groupes assez inclassables dont l'art se déploie dans des espaces difficiles à cerner où plusieurs styles s'entremêlent sans que jamais l'un d'entre eux ne prime. Dans le cas de Vouna, on erre dans des landes froides et tristes et mélancoliques où le Black, le (Funeral) Doom et le Folk se rencontrent dans une osmose parfaite et magnifique. Dès les premières secondes de A Place To Rest, la voix a capella (ou presque) de Yianna Bekris vous envoûte avant que ne la rejoignent guitares, synthés et batterie dans un parfait équilibre, aussi beau qu'il est glaçant. Ce premier titre est sans doute celui où le penchant Black Metal est le plus marqué, avec cette merveilleuse séquence en blast qui vous filera à coup sûr la chair de poule tant les émotions sont exacerbées. Mais dans sa globalité, l'album s'approche plus volontiers de tempos lents qui vous laisseront le temps de vous embarquer dans ces sonorités à la fois rétro et modernes.
Le travail des Weaver sur le son se fait sentir dans cette approche subtile où les aspects modernes servent à créer une sensation passéiste, et vice et versa. Dans son utilisation des claviers, avec des mélodies entêtantes et des nappes à la beauté éthérée, Vouna rappelle parfois Falkenbach, ce côté médiéval sans l'être, ce regard distant sur un passé fantasmé et irrémédiablement révolu. L'album traite d'un groupe d'humains se découvrant comme les derniers survivants de l'espèce (ou du moins persuadés de l'être, on ne le saura jamais), et c'est ce sentiment d'avoir assisté à la Fin que Vouna transcrit dans ses morceaux. Mais jamais Bekris ne cède à une lamentation stérile, il se dégage toujours de la musique quelque chose qui fait aller de l'avant, un je-ne-sais-quoi qui invite au dépassement d'une situation désespérée. Sa voix, certes souvent élégiaque, donne néanmoins une chaleur à l'ensemble, avec un côte Jex Thoth dont je parviens difficilement à pointer l'origine (la dernière partie de Drowning City est peut-être l'exemple le plus probant) mais qui est sans aucun doute là. Du fond d'un désespoir noir et gluant, Vouna offre la lueur, pâle et incertaine, d'un autrement.
Avec une finesse et un raffinement prodigieux, Vouna synthétise une multitude d'influences dans un son unique et novateur. Contemplatif autant qu'émotionnellement chargé, ce premier album est une totale réussite : pas une seconde d'ennui, seulement de la beauté à l'état pur, tour à tour sinistre et porteuse d'espoir. L'une des sorties de l'année, assurément.
Tracklist de Vouna :
01. A Place To Rest
02. Cattle
03. Last Dream
04. Drowning City
05. You Took Me