Wardruna + Dayazell
La Cigale - Paris
Non.
L’annonce de la venue de Wardruna à Paris était l’occasion parfaite pour planifier un petit weekend parisien, entre visites culturelles et boissons entre copains. Ne connaissant que le Glazart et le Klub à Paris, il faut avouer que l’ambiance apparaîtra totalement différente puisque le concert est prévu à la Cigale. Pour les provinciaux qui, comme moi, ne connaissent rien aux salles parisiennes, il s’agit d’un très bel espace, aspect théâtre du XIXème siècle, ambiance balcon et colonnes à moulures et teinte rouge dominante.
Un lieu qui prévoit donc une belle expérience pour Wardruna, mais également pour Dayazell qui ouvre la soirée. Bien qu’ils aient ouvert également l’an dernier, à la même période de l’année, pour Wardruna déjà, le groupe ne semble pas être très connu du public. Si le centre de la salle acclame Dayazell à la fin de chaque titre, toute la partie externe, près des portes, mérite clairement toute ma colère. Est-il possible de profiter d’un concert acoustique sans devoir supporter les 200 personnes qui prennent l’apéro en discutant bien fort autour ? Un énorme manque de respect pour un groupe exceptionnel, qui aura réussi à s’approprier l’espace avec maîtrise à travers un set presque parfait. C’en est désolant car Dayazell est un projet plein d’ambition et de talent, et même si le style diffère un peu, les intentions collent assez bien à la tête d’affiche qui suit. Est-ce le public parisien ou est-ce partout pareil ?
En effet, pour ceux qui ne connaissent pas, les Français jouent une musique folklorique, disons, plus ancrée dans le Sud. Méditerranée, Proche-Orient, un peu d’Asie également, toutes ces influences sont mêlées dans un ensemble presque chamanique, à travers percussions, mélodies et chants. On se souviendra tous (sauf ceux qui conversaient gaiement, évidemment) du timbre si particulier de la chanteuse, similaire à un instrument à vent, empreint d’une délicatesse et d’une précision rares. L’ensemble est chaud et envoûtant, dansant, avec un fond traditionnel mais assez fusionné et modernisé à leur manière.
Cela reste agréable de voir qu’une bonne partie du public apprécie la musique de Dayazell, car j’ai l’impression que beaucoup sont présents car ils connaissent la série Vikings seulement, ou parce que Wardruna est affilié à la scène metal d’une certaine manière. Je regrette qu’ils n’aient pas joué « Sareri Hovin Mernem », qui reste selon moi leur pièce maîtresse. Mais la présence de « Ah Nice Bir Uyursun » rattrape le coup, et semble avoir fait l’unanimité dans le public. J’ai également versé une petite larme sur le final de « Dyngyldaj » avec ses chants superposés. 45 minutes de bonheur, merci.
21h, la salle est bien pleine (la soirée est complète !), c’est environ 1600 personnes qui sont là pour les Norvégiens qui prennent une ampleur croissante, d’année en année. Je me souviens encore du petit festival des 15 ans de Garmonbozia, à Rennes, où le public n’était pas bien dense, et où les têtes connues prenaient l’air « parce que je connais pas / c’est pas mon style ». Les mêmes qui, aujourd’hui, sont devenus bien fans ! Wardruna a l’avantage de toucher un public très varié, entre les amateurs de metal, le public plus medieval-fantasy, et ceux qui ont découvert grâce à la série Vikings. Toujours est-il qu’il est au rendez-vous ce soir.
Comme à leur nouvelle habitude, depuis la sortie du dernier opus, le concert s’ouvre sur « Tyr ». Einar et un autre membre du groupe tiennent chacun un lur en bronze en symétrie, leur silhouette impressionnante et majestueuse rapportée sur l’arrière de la scène comme deux personnages mythologiques. Si la mise en scène fait son petit effet, je suppose qu’il s’agit du sample joué en fond car la mélodie semble vraiment similaire à ce qu’on entend sur album. Néanmoins, les instruments ont été réellement utilisés sur l’album, confectionnés pour l’occasion, alors il se pourrait qu’il s’agisse réellement du son du lur en live qu’on ait entendu, mais je ne peux pas l’affirmer.
Dès la fin de « Tyr », la scénographie change pour offrir un décor spectaculaire, au fond rouge lumineux et dégradé du sol au plafond. Une ambiance magique au possible qui a donné des étoiles dans les yeux au public. Le son est excellent, Einar et Lindy Fay Hella sont possédés derrière les micros et offrent un spectacle hallucinant par son émotion et sa maîtrise.
Ce sont bien le décor et les lumières qui font majoritairement la beauté de ce live. Pour les chanceux les ayant déjà vus au Hellfest, il semblerait que la mise en scène ait été la même, les torches en moins. Au fond lumineux et coloré s’ajoutent des phases de noir et blanc où un spot est placé devant chaque musicien, projetant sa silhouette à la taille démesurée sur le fond. Ainsi, s’alternent et s’ajoutent les ombres de chacun sur le fond, donnant un aspect surréaliste au spectacle, un caractère sacré à ces personnages, intermédiaires entre des forces supérieures et nous, pauvres mortels, dans un rituel primitif.
Au niveau du son, si l’ensemble est plus que puissant et les détails perceptibles, je pense que les instruments à cordes auraient pu être un peu plus mis en avant, certains passages étant essentiels pour quelques titres. Les quelques samples ne sont pas gênants non plus. « Odal » ne serait pas cette merveille absolue sans ses chœurs d’enfants, au refrain fédérateur et émotionnel au possible.
Je dois avouer que je n’attendais pas autant de titres tirés du premier album dans la setlist. « Jara » (mon favori), « Dagr », et bien d’autres étaient pourtant bien présents. En ce qui concerne le second album, il manque toujours les incroyables « Solringen » et « Sowelu ». Bien évidemment, cet album est tout de même mis à l’honneur avec le final devenu une habitude attendue du public. C’est « Helvegen », précédé de son petit speech émouvant autour des chansons, du folklore, de la mort et de l’accompagnement, qui ferme la soirée. Si tristes soient-elles, nos chansons modernes - que je parle de metal ou d’autres styles - ne sont pas réellement des chansons qu’on s’imaginerait chanter pour rendre hommage à nos défunts, notamment pendant leurs funérailles… « Helvegen » est le titre le plus puissant de la discographie de Wardruna et le plus puissant chant d’accompagnement et de deuil que j’aie pu entendre, magnifié par sa transmission en live.
On regrettera cependant le public qui applaudit et acclame parfois le groupe avant la fin des morceaux, et notamment sur « Helvegen ». Ceux qui connaissent la fin du titre comprendront mon désarroi. De manière générale, les instants d’applaudissements entre les titres sont finalement assez étranges, car on passe d’une atmosphère de rituel, de quiétude et d’émotion, à des interludes hurlés par le public qui ont tendance à nous sortir de l’état d’esprit adopté pendant le concert. J’aurais presque préféré voir la performance s’écouler sans temps mort, mais c’est bien sûr un idéal.
Einar Selvik revient, pour une dernière envolée, nous interpréter un titre en solo, avec sa lyre. Il s’agit d’un morceau écrit pour la série Vikings, concernant une scène de la dernière saison devenue fameuse pour ses serpents (no spoil). Un dernier instant de sérénité et de pure beauté avant de rejoindre la nuit parisienne au dehors, le retour à la réalité étant bien difficile après une soirée comme celle-ci.
Setlist :
Tyr
Wunjo
Bjarkan
Heimta Thurs
Runaljod
Raido
Isa
Jara
Algir - Stien Klarnar
Dagr
Rotlaust Tre Fell
Fehu
NaudiR
Odal
Helvegen
Snake pit poetry
Un grand merci à Garmonbozia pour l’organisation de cette date exceptionnelle dans un lieu sublime, ainsi que pour l’accréditation. Bientôt d’autres dates en France pour Wardruna, on l’espère !