Nous sommes en 1995. Les légendes nordiques viennent à peine de sortir ce qu’on appelle aujourd’hui des monuments du Black Metal : Hvis Lyset Tar Oss (Burzum), Panzerfaust & Transilvanian Hunger (Darkthrone), In the Nightside Eclipse (Emperor), Pentagram (Gorgoroth), pour ne citer qu’eux. Plus au sud, dans notre cher Hexagone, les pionniers du genre font leurs premières armes, certains d’entre eux deviendront cultes, comme les Black Legions, et en particulier Mütiilation.
Dans une quasi-clandestinité, un autre projet éclot en terres savoyardes, répondant au nom de Nehëmah. Sa première démo sort en autoproduction, comme le veut la tradition, en format cassette à tirage très limité ; seuls 166 exemplaires verront le jour. L’artwork respire l’ésotérisme, chose qui ne va jamais s’estomper chez le groupe. La couverture représente un visage de bouc, une main faisant le signe du diable et la fameuse étoile à sept branches. L’intérieur du livret est du « fait main » (normal pour l’époque), dans un esprit darkthronien : photo du leader dans la neige, de nuit, flambeau à la main, avec les titres manuscrits. On y apprend d’ailleurs que seuls deux musiciens ont participé à cette démo enregistrée en juin, Ilhevs (Eligor) pour la partie guitare et Sauron (Corven) pour tout le reste. Voilà pour le contexte et l’entrée en matière visuelle de l’objet.
Pour ce qui concerne la musique, tous les titres de cette démo se retrouveront en fait sur les premier et second album qui sortiront respectivement huit et neuf années plus tard, après une période de sommeil du projet (nota : Cycle ov werewolf = Siguilum Sanctum Lycantropia). Pour éviter un certain anachronisme, j’éviterai donc par la suite des comparaisons qui n’ont pas lieu d’être, même si c’est tentant je reconnais.
Cette première réalisation surprend d’abord par la qualité de sa production, particulièrement exécrable, typiquement « raw », sollicitant une oreille habituée pour s’imprégner de l’atmosphère, au risque de prendre leur musique purement et simplement comme de la bouillie sonore. Une fois ce nécessaire travail réalisé, c’est tout l’univers de Nehëmah qui se dévoile. Un paysage froid, sombre et lugubre se dessine, une atmosphère oppressante s’abat sur l’auditeur avec ces martellements sourds et lointains de la batterie où jaillissent ci et là quelques scintillements perturbants de cymbale ; les parties de guitare se rapprochent d’un grésillement lissé dont le bourdonnement est la métaphore du trouble, de la tempête, du tourment, appuyé par des lignes de basse sournoises, soutenues par une voix misanthropique et rauque au possible. Mais l’élément indispensable qui vient renforcer cette ambiance est le clavier, ce souffle glacial sillonnant les morceaux telle la Grande Faucheuse sur le Royaume des Vivants. Il rend les compositions encore plus cauchemardesques qu’ils ne le sont déjà ; sa sonorité est parfaitement adaptée, tout comme son rôle, on parlera d’ailleurs plus de nappes que de vraies mélodies.
Pendant près d’une heure, Nehëmah nous enferme dans ce décor nocturne, caverneux, résolument hostile et mystérieux où les corbeaux planent constamment au-dessus de vous. L’usure de la cassette, la mauvaise production, la difficulté d’accès permettant de découvrir des compositions inspirées sont autant d’éléments faisant le charme de cette démo. Must have pour les inconditionnels du groupe dont je fais partie, vacarme infâme et insignifiant pour les accros au gros son servi sur un plateau. Choisissez votre camp.
Tracklist :
1. Light of a dead star
2. Across the landscape
3. Black winds over the walls of Csejthe
4. Sønner av den fimbulvetr
5. In october nightshades
6. I will sleep with the dragon
7. Cycle ov werewolf
8. Outro