L'objet de cette chronique n'étant pas d'opérer un retour historique sur le passé discographique de la formation finlandaise, je ne m'apesantirai pas sur le fait qu'Ensiferum avait jusqu'alors, depuis la sortie de son premier album éponyme en 2001, réalisé un sans-faute musical à l'influence monumentale en livrant au public cinq albums et autant de pépites Folk Metal. (Les amateurs auront compris que je fais partie des fervents défenseurs du controversé « Unsung Heroes » (2012), avec lequel les Finlandais avaient pris un virage expérimental difficile à négocier pour ceux d'entre les fans qui ne demandaient rien de plus (ou plutôt rien de moins ?) qu'un nouveau « Victory Songs » (2007)).
Au regard de cet exploit rare, je me pensais donc prêt, et j'étais loin d'être le seul, à suivre Ensiferum les yeux fermés jusqu'au bout du monde. Avec « One Man Army », sorti le 20 de ce mois chez Metal Blade Records, nos amis nordiques m'ont donné matière à réfléchir plus avant en même temps que du noir à broyer.
Nous pouvons sentir dès l'introduction que quelque chose ne tourne pas rond. Cette « marche de guerre » poussive et pour le moins anecdotique fait peine par rapport aux mémorables introductions des albums précédents (souvenons-nous de « Ferrum Aeternum », de « Ad Victoriam » ou encore de « By The Dividing Stream » !).
Arrivent immédiatement, pied au plancher, les guitares saturées et la double-pédale sur « Axe of Judgment », et avec elles la mauvaise surprise du son. La promotion de l'album vantait pourtant les mérites d'un « retour à l'analogique » de bon aloi... La bonne blague : la batterie et la basse envahissantes de Parviainen et de Hinkka étouffent le synthé et les orchestrations dans un brouhaha stérile, et plus encore que tout le reste, sacrilège !, la guitare de Toivonen et son riffing aigu si particulier, véritable signature de la musique du groupe. (Quel soulagement – de courte durée – que d'entendre la guitare lead s'extraire du tumulte pour s'élever vers les sommets à plusieurs reprises sur « Axe of Judgment » ainsi que sur le morceau-titre ! Et quel bonheur que de l'entendre reprendre – bien trop tardivement – son rôle de premier plan sur la dixième piste de l'album, « Descendants, Defiance, Domination » !) Le chant rauque de Lindroos, qui s'époumonne en vain sur ce disque, finit pour la première fois par fatiguer l'oreille sur la longueur, tandis que les orchestrations s'effacent toujours un peu plus, au grand dam de ceux qui s'étaient en premier lieu attachés au groupe pour la facette « symphonique » spéciale de son Folk Metal (l'ensemble très représenté qui l'a découvert avec « From Afar » (2009), dont je ne fais personnellement pas partie). Un premier mauvais point revient donc à la production.
Les second, troisième et quatrième morceaux de l'album sont de très bonne qualité, sans être transcendants pour autant : « Axe of Judgment » a beau être le morceau le plus rapide d'Ensiferum (des doubles-croches à 220 à la noire...), il ne fait pas le poids face à son grand frère modèle « Blood Is the Price of Glory » en termes de cohérence et d'intensité, et s'avère en définitive un patchwork sans couleur nettement définie d'idées intéressantes mais trop hétérogènes (avec notamment cette surprenante envolée finntrollienne et la tension orchestrale qui s'installe et se développe progressivement jusqu'à la toute dernière note). Ne nous permettons cependant pas de douter de son potentiel d'efficacité live. Il en va de même pour le chant fédérateur « Heathen Horde », conçu pour être repris en chœur entouré de gens de bonne compagnie. Vient alors le tour du morceau-titre, au style sans concession situé quelque part entre « Victory Songs » (2007) et le morceau « Retribution Shall Be Mine » (2012), qui frappe pile là où ça fait du bien. Voilà pour la partie straightforward et réussie de l'album.
Une fois que seront passés ces trois morceaux, vous pourrez aller vous coucher. Vous finiriez de toute façon par vous endormir si vous choisissiez de prolonger l'écoute. Ici débute un véritable chemin de croix pour le fan, puisque tout le reste (ou presque) est à oublier. Il y avait tout au plus de quoi sortir un EP de bonne facture avec les bonnes idées contenues dans « One Man Army ».
La suite de l'album ne sera qu'inconsistance et soporifisme. Un comble, pour l'un des derniers groupes dont la musique semblait jusqu'à aujourd'hui un indéfectible symbole de force pure.
Le médiocre et mal chanté « Burden of the Fallen » préfigure le morceau suivant de la manière dont « Mourning Heart » préfigurait « Tale of Revenge » sur « Iron » (2004). Sauf que « Mourning Heart » était une courte pièce instrumentale et que « Tale of Revenge » était un morceau intéressant.
Débaroule ensuite d'un pas pachydermique la doublette « Warrior Without A War »/« Cry for the Earth Bounds », et c'est à une redéfinition en musique du mot « platitude » que l'auditeur assiste, impuissant. Ces deux morceaux ont pourtant des bons côtés : le refrain et le chœur entêtants de « Warrior Without a War » auraient gagné à apparaître ailleurs et l'introduction vocale de « Cry for the Earth Bounds » est audacieuse. Mais ces petits plus ne suffisent pas à combler les immenses lacunes additionées de ces deux morceaux enchaînés. Le temps s'étire, chaque minute semble durer plus longtemps que celle à laquelle elle succède et l'ennuyeux, le linéaire, l'interminable « Cry for the Earth Bounds » fait l'effet d'un coup de masse derrière le crâne. L'emploi systématique de métriques complexes y est pour beaucoup : la plus basique dimension de stabilité de la pulsation et de l'accentuation est sans cesse remise en question par des choix déroutants, ce qui ne facilite pas l'accès aux compositions.
Mais il est maintenant temps de se réveiller et de toucher le fond avec un « Two of Spades » gratiné qui s'inscrit dans la lignée tendance des chansons à boire Folk Metal hors de propos (entendons : les trois quarts de la discographie d'Alestorm, le navrant « No Good Story Ever Starts With Drinking Tea » du dernier Turisas, le « Wirtshaus Gaudi » d'Equilibrium, etc.). Chaque nouvelle écoute de ce titre réserve son lot de frissons de honte. « Two of Spades » est LE morceau que les Finlandais n'auraient pas écrit s'ils s'étaient souciés un tant soit peu de leur image et de leur crédibilité.
Cela ne démarrait pourtant pas trop mal : le tempo rapide, le rythme sautillant et l'humeur guillerette nous laissaient présager d'un « Twilight Tavern » seconde édition. Et puis... Et puis... Et puis le pont. Jugez plutôt : un riff principal d'inspiration banjo bluegrass, un beat disco à la Boney M avec les cordes samplées qui vont bien, des claps et des sifflements façon western. Que demander de plus pour se sentir parfaitement mal à l'aise ? Des « ouh », des « ah », et des « sss » comme dans « ssserpent », peut-être ? Misère.
La reprise délirante du « Bamboleo » des Gipsy Kings était au moins présentée comme un bonus track sur « Unsung Heroes » (2012)... À croire que les blagues grasses font désormais partie intégrante de ce qu'Ensiferum a sérieusement à proposer. La même remarque est valable pour le morceau conclusif dénué d'intérêt « Neito Pohjolan », à la walking bass country agrémentée (cela va de soi, maintenant !) d'accordéon et de guitares slide hawaïennes. Comme si personne ne les avait prévenus que ce morceau ne permettrait pas à la Finlande de gagner l'Eurovision l'année prochaine... (Dur dur de passer après Lordi...) Il faut qu'Ensiferum se fasse une raison : le plus beau des hommages a déjà été rendu à Morricone avec « Stone Cold Metal ». Le groupe ferait mieux de passer à autre chose, car il ne parviendra plus jamais à atteindre un tel niveau de perfection créative. Ce qui est fait est fait ; et ce qui reste à faire reste à faire.
La musique, c'est de la cuisine ; et je pensais pouvoir postuler sans hésiter que tous les musiciens dignes de ce nom savent qu'un mélange du type paella-choucroute-guacamole reste indigeste, même avec beaucoup de chantilly. Le pire de tout étant qu'il y aura toujours des kikoopagan assez idiots pour venir me dire que c'est non seulement le meilleur morceau de l'album, mais aussi un moment important de la carrière d'Ensiferum.
Si vous voyez ce que je veux dire...
En perpétrant ce genre de méfait musical et en s'abaissant à faire l'objet de comparaisons si dégradantes, Ensiferum finit par rejoindre de manière inattendue le tristement célèbre club des indéfendables-depuis-peu du Folk Metal finlandais (salut, Korpiklaani et Turisas !).
Il était écrit que l'ambitieuse saga musicale « Heathen Throne », dont les deux premières parties sont parues sur l'album « From Afar » (2009), devait s'enrichir en 2015 d'un troisième chapitre. Imaginez l'impatience qu'a suscité la nouvelle dans le cœur des fans ! Les deux morceaux « My Ancestor's Blood » et « Descendants, Defiance, Domination », qui ne font qu'un sur la durée en réalité (pour plus d'un quart d'heure de musique), constituent donc l'ensemble « Heathen Throne Part III » tant attendu. Et déçoivent un peu moins que ceux qui les précèdent.
« My Ancestor's Blood » ne fait pas grande impression malgré les évidents efforts de mise en scène sonore qu'a fournis le groupe pour lui donner corps. Nous constatons tout de même sur ce morceau un regain certain de vitalité, grâce au renouement avec une envie claire de bien faire. Mis en appétit, voici venu le moment décisif de l'écoute de « One Man Army » avec un « Descendants, Defiance, Domination » qui, il faut l'avouer, redresse la balance en fin de parcours. Outre le fait que le titre et l'introduction très cinématographique fassent furieusement penser à « Passion, Proof, Power », ce morceau fleuve possède de nombreuses qualités qui lui sont propres : la mise en avant de la guitare lead et quelques riffs remarquables, l'exploitation judicieuse d'une structure à tiroirs et l'exploration d'un large éventail de dynamiques et de sonorités.
Cela faisait près de vingt-cinq minutes que nous étions perdus. Nous voici enfin revenus à la lumière laiteuse de la lune, sur un chemin connu. À l'avenir, c'est dans cette direction qu'il nous faudra marcher avec Ensiferum si nous voulons voir à nouveau le soleil se lever.
Il y avait pourtant de bonnes idées mortes-nées à exploiter sur cet album (au vu de la très prometteuse entame composée de « Axe of Judgment », « Heathen Horde » et « One Man Army », ou encore de certains passages de « Descendants, Defiance, Domination »...), et c'est ce constat qui vient compléter l'amer tableau de la frustration.
Avec « One Man Army », Ensiferum essuie une défaite imprévisible et donc particulièrement cuisante. Le groupe échoue à convaincre au moment même où il n'avait plus rien à prouver, du moins à mes yeux. Quel coup bas prend le guerrier finlandais, fidèle mascotte du groupe, avec la sortie de cet album décevant ! Il se retrouve seul et acculé, à se battre dans le vide contre ses propres démons.
Comme quoi, même les plus merveilleuses histoires connaissent parfois une triste fin...
Vers un recommencement ?
Tracklist :
1. March of War
2. Axe of Judgment
3. Heathen Horde
4. One Man Army
5. Burden of the Fallen
6. Warrior Without a War
7. Cry for the Earth Bounds
8. Two of Spades
9. My Ancestor's Blood
10. Descendants, Defiance, Domination
11. Neito Pohjolan