Gojira
Mario Duplantier
U-zine.org, webzine musical metal actif entre 2004 et 2015. Fermé en 2015 suite à sa fusion avec 2Guys1TV, ses articles (chroniques, live-report, interview, dossiers, ...) sont désormais disponibles directement sur Horns Up via ce compte !
Une après-midi ensoleillée à Dijon, presque trois ans jour pour jour après le concert dans cette même salle de La Vapeur, et quelques semaines de plus pour notre rencontre avec Joe. Mise à jour sur l'état d'esprit du groupe à quelques semaines de la sortie de L'Enfant Sauvage sur la terrasse de La Vapeur, avec un Mario Duplantier aussi agréable que son grand frère. Séquence blabla et bronzette !
Depuis 2009 et mon entretient avec Joe il s'est passé beaucoup de choses, notamment une reconnaissance encore plus grande du coté outre-atlantique. C'est un rêve qui devient réalité avec Gojira, comment ça se vit à l'intérieur ?
Ben écoute c'est fabuleux ! C'est vraiment épanouissant ! J'vais pas te mentir, tout les jours j'me lève et j'me dit « putain quelle chance qu'on a, on voyage dans le monde entier, on rencontre tout ces gens ! ». Tout ça en faisant du death-metal à la base ! A chaque fois qu'on voyage, que je suis dans un avion pour aller à l'autre bout de la planète pour jouer ce style de musique, avec cette cohésion de groupe, y'a vraiment quelque chose d’émotionnel ! Moi je vis une sorte de rêve, y'a des difficultés comme dans tout rêve qu'on vit ! Mais on est vraiment très épanoui ! On ne perd pas du vue notre perfectionnisme, notre démarche artistique, on essai de garder ça en tête, de rester riches et originaux. Tout en pouvant garder ça, c'est fabuleux cette reconnaissance internationale !
Vous ressentiez l'attente et la pression pour composer ce cinquième opus ?
Un petit peu, mais c'est justement l'exercice de relâcher cette pression, on peut pas travailler sous la pression en se disant « soit on fait une copie de l'album précédent qui a marché comme ça on est sûr que ça va marcher » ou alors on pète les plombs et on trouve plus l'inspiration ! Là on a réussi à créer une sorte de sas de composition, de bulle. On a un peu zappé tout ce qu'on attendait de nous, et il a été très spontané cet album ! Les idées venaient, venaient, venaient, sans les juger, tout arrivait, et c'était une période agréable. Justement j'ai pas fait gaffe, je suis pas allé sur les forums, je sais qu'il y a toujours ce truc « qu'est-ce que ça va être », les mecs disaient « j'ai peur », mais tu peux pas satisfaire tout le monde, à un moment donné faut les laisser et plus s'occuper de ça. Donc voilà très spontanément on a composé, et l'album est venu simplement !
Changement de label, comment s'est passé la « rupture » avec Listenable et qu'est-ce qui a changé avec Roadrunner ?
Ben la rupture avec Listenable c'est plutôt la fin du contrat puisqu'on arrivait à terme de trois albums, The Way of All Flesh était le dernier qu'on faisait avec eux. Listenable s'attendaient à ce qu'on ait des propositions plus importantes, et nous on est très heureux d'avoir signé avec Roadrunner parce que c'est une plate-forme énorme, ça nous permet d'avoir notre musique mieux distribuée, partout ! Mieux diffusée, une très très bonne promo, c'est génial car on estime que notre musique est universelle, donc si on peut être en Australie, en même temps en Suède , au Japon, en Norvège, si on peut être distribué partout, c'est possible avec Roadrunner ! Moi j'avais une petite appréhension, d'être chez Roadrunner, très légère appréhension par rapport à ce statut de grosse maison de disques, même moi quoi ! Mais on a beaucoup lu les contrats, on s'est entourés d'un avocat, tout ça, et ils ne touchent pas à l'artistique, donc c'est royal comme contrat !
Comment s'est déroulé la création de L'Enfant Sauvage, de la première note composée à l'envoi au pressage ? Quels rôles ont eu chaque membre dans le processus ?
C'était une période où on avait plus de manager, plus de maison de disque, et mon frère, dans le groupe, c'est celui qui est... comment dire... le « diplomate » du groupe, c'est lui qui va parler avec les maisons de disques. Tous dans le groupe on est très préoccupé par l'aspect extérieur, la communication, le business, le site, on est obligé ! Tu peux pas avoir un groupe qui tiens la route si t'es pas un minimum intéressé aux contrats et la façon dont ça marche ! Mais Joe c'est celui qui a un peu plus de poids sur les épaules, rien que par rapport à moi. Et comme à nous deux on est une locomotive artistique, dans le groupe c'est nous deux qui composons quasiment tout, et ce coup ci, Joe était beaucoup plus préoccupé par tout ça, et du coup j'ai un peu « tyrannisé » la compo, j'arrivais tout les jours avec des tonnes d'idées. J'disais « Putain les gars j'ai quatre idées de morceau en même temps », je me souviens les avoir assommé de riffs batteries, d'idées de guitares, d'idées d'ambiances, une fois je suis même arrivé avec un morceau, la structure écrite de A à Z, mais par contre je sais pas faire tout seul, j'ai vraiment besoin de leur aide, et notamment de l'aide de Joe, je propose une idée et illico-presto il va sublimer, amener une harmonie etc. Mais sur cet album j'ai composé beaucoup de choses que ce soit en terme de batterie, en guitare qui se pose sur la batterie, des mélodies même que je chantait au dictaphone vu que je ne sais pas jouer de guitare ! Je chantais le riff « naaaanaaaananaaaa », et eux le jouaient, l'harmonisaient. Et après beaucoup d'idées de mon frère aussi, mais par contre on était toujours tout les quatre dans le local ! Christian et Jean-Michel observaient, mais rien que leur observation, c'est des gens très exigent, ils détestent dès que c'est nul, ils voient de suite si c'est trop cliché. C'est une bonne balance tout ça !
Un titre en Français c'est une manière de prendre à contre-pied le succès à l'étranger ?
Euuuuh succès à l'étranger, j'dirais plus qu'on a une reconnaissance, on a pas un méga-succès. Y'a beaucoup de gens qui disent « ouaaais Gojira ça cartonne à l'étranger ». En fait on a la chance de remplir des salles de 400 places aux Etats-Unis, mais on fait pas des 2000 places ! La France c'est le pays ou on marche le mieux, là ce soir tu vois c'est 400/500, et on fait pas mieux ailleurs ! Mais par contre on a une reconnaissance, les gens parlent de nous à l'étranger, effectivement on rempli quand même les salles, de 400, un jour on a fait 600 à New York c'était génial ! Mais après, L'Enfant Sauvage c'est plus un clin d’œil, c'est pas un désir de... de...
De dire « Nous on est Français » !?
Ouais voilà ! L'Enfant Sauvage ça sonne bien, c'est beau, on aime bien, on a essayé de le traduire en anglais mais The Wildchild ça fait un peu cliché. Non c'est vraiment un clin d’œil ! C'est le sens qui est intéressant.
Alors justement, comment peut-on interpréter cette pochette ? Est-ce cet enfant sauvage bloqué en pleine ville mais qui rêve de nature et de liberté ?
Ouais un petit peu, c'est un peu le reflet de la ville derrière, de la société, on est obligé d'être un peu formaté par la société, on a une carte de sécu, tout ça. Et L'Enfant Sauvage c'est pour se rappeler, c'est l'allégorie de cet enfant qui naît dans les bois, François Truffaut avait fait un film là-dessus. Un gamin qui est élevé loin de ses parents, sans éducation, élevé dans la nature par des loups, c'est un petit animal sauvage. Il avait des envies totalement différentes, il était animé par quelque chose. C'est juste une réflexion autour de ça, on a tous ça en nous. J'pense que c'est Joe qui veut parler de sa propre problématique par rapport à la société. Comment exister dans ce monde, au delà de notre carte de sécu, notre carte d'identité, c'est juste une réflexion sur la condition humaine, l'existence, et pourquoi pas dans cette société aussi. Ca parle de Joe, Joe il parle de lui à chaque album. Tu regarde chaque pochette d'album, tu vois l'évolution logique de son propre parcours, le premier c'était introspectif, le mec penché sur lui-même, l'arbre pour le deuxième album qui monte vers le ciel il commençait à s'ouvrir. Le troisième album il était carrément dans l'espace, quatrième album il a eu quelques désillusions, c'était le temps du deuil, le deuil de plusieurs choses, c'était la mort et là il y a une sorte de renaissance, et puis sa réflexion autour de « moi, qui je suis, ou je trouve ma propre liberté dans cette société, dans ce monde ».
Alors justement, The Way of All Flesh avait un thème très tourné vers la mort, L'Enfant Sauvage, juste avec ce titre donne l'impression qu'il se tourne, à l'inverse, vers la vie pure.
Ouais comme je te dis c'est une sorte de cycle ! Tu vois moi j'ai l'impression que Terra Incognita et l'Enfant Sauvage, y'a ce truc de s'élever vers le monde, renaître, c'est cyclique, effectivement y'a cet Enfant, c'est la naissance. Là moi je le voit comme un nouveau cycle, et c'est agréable d'en aborder un nouveau ! The Way of All Flesh c'était une période, bizarrement, un peu douloureuse, mais géniale à la fois, la reconnaissance internationale mais on était tout le temps partout à travers le monde, à voir à travers la fenêtre des trucs un peu agressifs à nos yeux. Nous on vient du fin fond de la France, des grands arbres, les océans, cette tranquillité et cette puissance. C'est vrai qu'à travers le bus en trois ans on a vu des choses, des voyages dans tout les sens, on a eu des bouleversements intérieurs. Et là ça fait du bien on aborde un nouveau cycle, on est plus serein, plus mature, plus solides, je pense qu'il fallait passer par le stade de la mort, quelque part, pour renaître.
Aura-t-on un clip tiré de cet album et est-ce que tu peux déjà nous en parler ? (ndlr : l'interview a été faite le 19 mai)
Oui oui il y aura un clip, il est réalisé par Anne Deguehegny, elle nous accompagne là sur la tournée. Jeune vidéaste Française, c'est très très artistique ce qu'elle fait, tout en stop-motion, noir et blanc, avec un appareil photo, dans son petit atelier. C'est du bricolage, faut pas s'attendre à une mega-prod, un truc bien léché, c'est vraiment artisanal. Ce sera sur le titre L'Enfant Sauvage, très très artistique et qui nous correspond à 100%. Elle avait déjà fait des animations pour nos lives aussi. C'est son premier vrai clip de A à Z, donc c'est une tâche assez lourde pour elle de faire un clip, et elle s'en est super bien sortie. Et il sort Mercredi !
La set-list de cette tournée ne comporte qu'un nouveau morceau, aura-t-on une deuxième tournée Française après la sortie de L'Enfant Sauvage pour pouvoir profiter de nouveaux titres ?
Oui bien-sûr ! On est de cette génération ou on aime l'objet disque, on aime la sortie d'un disque. On trouvait bizarre de jouer 5 ou 6 morceaux avant la sortie, c'était pas cohérent car on allait livrer la moitié d'un album, avec l'ère d'Internet ça allait forcément se retrouver sur YouTube, ou en fichier audio et les gens auraient eu moins de surprise. Moi j'adore l'effet de surprise ! Donc oui on prévoit de revenir en France à l'Automne pour une vraie tournée autour du nouvel album !
Avait-vous calé une date dans votre agenda pour ré-enregistrer l'ep pour Sea Shepherd ? (ndlr : suite à un crash de disque dur, le groupe a perdu plusieurs données audio destinée à cet ep)
Alors, là il est enregistré, maintenant faut qu'on le finisse, on va s'en occuper. On a beaucoup bossé sur le DVD et l'album et tout le remaniement autour du groupe. Un groupe c'est pas que la musique, c'est énormément de réunions, de mails, de prises de tête, et on a passé de nombreux mois à ne pas jouer, on a essayé de tout structurer autour de nous, reprendre un manager, une maison de disque. Y'a eu beaucoup de travail pour que tout soit calé, et du coup Sea Shepherd s'est englouti dans ce vortex de choses à réglé, mais il est fait il est dans mon ordi, il reste deux, trois bricoles, et qu'on arrive à le mettre sur Internet pour que les fonds ne soient purement que pour Sea Shepherd.
J'avais déjà posé cette question à ton frère il y a trois ans, maintenant c'est ton tour. Quel regard portes-tu sur les premiers albums de Gojira et en es-tu toujours aussi fier ?
Moi j'en suis fier, des fois j'ai du mal à les écouter car je vois beaucoup de défauts, vu que c'est moi qui joue on voit un peu la naïveté de l'époque. Et en même temps je sais qu'il y avait une fraîcheur qu'on retrouvera peut-être pas. Quand tu commence un groupe, y'a un truc innocent, t'es animé par une flamme. Et au fur et à mesure quand tu te professionnalise ça se fait au détriment de cette innocence, au détriment de cette flamme. On retrouvera jamais la naïveté et le charme de Terra Incognita je pense, maintenant on veut toujours que ce soit niquel et tout. Et au jour d'aujourd'hui on doit travailler pour retourner à quelque chose de plus rustique, pour revenir à des choses plus naïves, mais on repassera plus sur cette phase de naïveté qui était assez précieuse, c'est le seul truc des fois je me dis « putain, est-ce que c'est possible de refaire un truc aussi bancal et charmant que Terra Incognita ? »
Presque en repartant de zéro !
Ouais voilà ! Mais j'en suis fier, chaque album est une photographie d'une période, le groupe était dans tel état à tel moment, et je suis vraiment content de l'évolution qu'on a eu, chuis fier du dernier album encore plus que les autres, pour l'instant.
Volcom a sorti un vinyle avec deux morceaux issus de la démo Possessed, Aura-t-on droit à des initiatives similaires à l'avenir, avec des rééditions de démo ou des choses de ce genre ?
Ouais je pense ! Y'a toujours des projets comme ça, soit de Volcom, soit de Listenable, des trucs un peu inédits, des bonus, c'est toujours agréable de sortir des trucs qui sortent de derrière les fagots. Déjà le dernier album sort avec des bonus, un DVD en bonus aussi, dans l'album, parce qu'on sort The Flesh Alive aussi à coté. Y'a The Link qui sort en vinyle, avec un petit médiator !
Et dans le même ordre d'idée, que devient Maciste aux Enfer ?
Alors ça c'est pareil, manque de temps, manque d'argent, de disponibilité, vu que dès que t'entre en studio ça engage des frais. Donc ouais Maciste aux Enfer c'est aussi un projet qu'il faudrait concrétiser, on aimerais ré-enregistrer tout ça, mais je peux vraiment pas donner de date, là on est tellement le nez dans le guidon, Tournée, album, tournée, tournée, tournée. Mais on le garde dans un coin de notre tête !
Merci à Mario pour sa grande gentillesse et à Karine de Roadrunner !