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Décrire les frasques de Niklas Kvarforth, en analyser la dose de foutage de gueule tout en la distinguant de sa sincérité mériterait un dossier complet, qui ne manquerait pas de fasciner certains, d’en dégoûter d’autres ou tout simplement d’en faire marrer quelque uns. Nombreux, sans doute.
Mais quoi que l’on pense du frontman de Shining, on ne pourra pas lui ôter sa propension à créer une musique qui lui est propre. Unique maître à bord de son bébé depuis des années, le bougre n’étant pas réputé pour être un DRH à la cool, Kvaforth et ses différents sbires ont su accoucher de trois albums magnifiant le genre aujourd’hui galvaudé du Depressive and Suicidal Black Metal (qu’on appellera par son petit sobriquet DSBM).
I - Within Deep Dark Chambers, II - Ändhållplats et III - Angst, Självdestruktivitetens Emissarie s’étaient il y a 10 ans succédés et semblaient liés par la même philosophie destructrice, très maîtrisée et agressive, musicalement ancrée dans un Black Metal écorché vif et passionné. Un détour par IV - The Eerie Cold, et c’est ainsi que se refermera la page DSBM brut de Shining qui donnera le jour à l’incroyable V – Halmstad, dont la force de frappe émotionnelle restait identique, mais son expression magnifiée par des accents blues / rock, toujours mâtinée de Black.
Difficile de succéder à pareille maestria sans se répéter (VI - Klagopsalmer) voire même sans faire preuve d’un manque patent d’inspiration (le pas mauvais mais tiédasse VII - Född Förlorare), Shining s’éloignant toujours un peu plus de ses racines avec plus ou moins de succès.
Le chapitre semble alors clos avec ce huitième opus (si l’on excepte l’EP de reprises paru cette même année), qui, même s’il a pour similitude avec ses prédécesseurs les annonces rocambolesques de Kvarforth à propos de sa sortie, se démarque en deux points des précédentes livraisons, visuellement s’entend et pour commencer.
Bon, c'est l'un des seuls albums au patronyme prononçable pour les porteurs de bérets que nous sommes, mais à part ça ? Pochette épurée et presque lumineuse, fin des numérotations. Shining trouverait-il le chemin de la lumière ?
Pas vraiment non, et là où l’on croyait la bande de Kvarforth en mode roue libre tendance panne d'inspiration, voilà que Redefining Darkness entame les hostilités d’une manière foudroyante, renouant avec l’agressivité brute et sombre caractéristique du groupe, mais que l’on croyait résolument perdue. Comme un pied de nez à quiconque pensait que Shining avait oublié comment manier le rasoir, Du, Mitt Konstverk nous prend à contre pied, assénant un riff typique V - Halmstad, mais aussi hypnotique que pouvaient l’être les premiers efforts du groupe.
Un Kvarforth particulièrement en voix, haineux comme jamais, hurle sur un riffing déchirant, particulièrement belliqueux, qui martèle l’atmosphère d’un coup de massue. Le rythme est adapté, pesant ou rapide, les guitares dissonent les poignets s’essoufflent, Shining semble alors renouer avec ses origines, sans pour autant enterrer ce qu’il est aujourd’hui, en témoigne la présence de chant clair et / ou murmuré, accompagné d'accords acoustiques épurés qui interviennent à mi-parcours, comme une preuve que nous dégustons bien un Shining édition 2012.
Cette première mise en bouche est savoureuse mais constitue également un lien parfait entre les deux franges du public de Kvarforth : la plus attachée à son black metal caractéristique, et celle plus cliente de ses atmosphères éthérées et acoustiques. Ce premier morceau est une véritable soufflerie, et m’a balancé à la gueule le sourire collé aux lèvres mes certitudes concernant l’incapacité actuelle du groupe à se renouveler...
Alors là, on croise les doigts, on espère que ces équilibres un peu bancals, mais pertinents, se stabiliseront sur la durée, auquel cas la sensation de tenir là un excellent album se confirmerait à l’issue de son écoute. Alors quid de la teneur générale de Redefining Darkness ?
Qu’il est le meilleur album du groupe depuis V - Halmstad pour commencer.
Sur ses accès de brutalité, Shining a enfin retrouvé ses crocs, loin du trop lénifiant VII - Född Förlorare. La formation Suédoise ose à nouveau vomir à la gueule une haine qui semble toute renouvelée (Du, Mitt Konstverk, les assauts Heavy/Black metal de l’imparable Han Som Hatar Människan), Shining redevient belliqueux, ce qui n’est pas pour nous déplaire.
Les mélodies éthérées quant à elles, bien souvent accompagnées d’un chant clair, se veulent aussi plus en place, plus belles et plus profondes et ne cèdent que rarement à la facilité (à l’exclusion de la similitude presque honteuse du riff de la néanmoins réussie The Ghastly Silence avec celui d’In the House – In a Heartbeat de John Murphy). Placées avec cohérence, elles servent l’atmosphère brumeuse – mais pas vraiment désespérée – de l’album qui s'articule essentiellement autour d'un cycle pénombre/clarté des plus intéressant.
Les éléments qui unissent "l’ancien" et le "nouveau" Shining se trouvent ici individuellement mieux construits, plus honnêtes aussi. Si la captation des riffs suinte la sincérité, on sent qu’aucune place n’a été laissée au hasard, l’agencement des structures répondant manifestement à un travail d’orfèvre, tant et si bien que les transitions ne heurtent plus, et façonnent avec plus de précision et d'intelligence la pesanteur épaisse à couper à la hache du skeud. Contrairement aux assertions de Kvarforth concernant l’accessibilité de l’album, Redefining Darkness est peut-être plus sombre et moins facilement abordable (tout en étant loin d’être hermétique entendons-nous bien) que pouvait l’être VII - Född Förlorare.
Ce huitième effort se veut plus abrasif, plus diversifié et par conséquent plus intense à l’écoute. Shining sait jouer avec les contrastes et le prouve en plongeant l’auditeur de force dans de vraies montagnes russes, qui alternent avec aisance caresses acoustiques et explosions de rage. Si la distorsion se veut majoritairement rageuse tout en étant résignée, les apaisements qui se succèdent se veulent aussi lumineux que ténébreux, le contraste de Redefining Darkness se joue aussi dans les approches de composition d’un même instrument et c’est là que Shining nous rassure quant à sa capacité à composer de grands morceaux. Shining refait du Shining, on reprend contact avec V - Halmstad, on reprend conscience d’où on vient, les liens ne sont plus brisés, la réconciliation est en marche.
A ce titre, le morceau clôturant les quarante minutes de l’album, For the God Below, est époustouflante de diversité et de maîtrise. Aussi poignante que teigneuse, particulièrement inspirée lors de ses solos, la chanson met un terme aux allures d’apothéose à un album franchement réussi et à plus d’un titre.
Mieux construit, plus intense, l’opus s’illustre également et comme toujours par la performance unique de Kvarforth, qui, s’il n’excelle décidément pas dans le chant clair, sait se parer d’une identité unique lorsqu’il murmure ou hurle comme un damné. Sa signature vocale n’est pas perdue, et reprend d’ailleurs tout ses droits sur Redefining Darkness, comme s’il avait tout lâché, sans retenue.
On pourra certes reprocher à Shining d’avoir un poil trop axé sa musique sur les parties les plus douces, comme si désormais ses explosions de haine ne faisaient que souligner la rage contenue dans ses atours plus mélodiques, alors que l’inverse était de mise auparavant. Et ce reproche pourra être une qualité en fonction de ce que vous attendez du groupe, de mon côté, ça marche moins. C'est comme cela qu'officie Shining aujourd'hui, il faut s'y résoudre.
Quand bien même Redefining Darkness ferait la part belle aux atmosphères, aux mélodies douceâtres et moins à la hargne, qu’il serait résolument bien inoffensif dans le fond comme dans la forme (contrairement à ce que son leader aimerait croire), cet album, sans être à part dans la discographie qu’à pu proposer Shining ces dernières années, replace enfin à mon sens Kvarforth & Co au rang de grands musiciens, qui savent miser sur leur talent, sur leur sens du rythme et du riffing pour pondre quelque chose de sincère.
Pour conclure sur une note plus personnelle (oui ça n'a rien à foutre là mais tant pis bordel), j’ai passé ces dernières années à ne pas me remettre de la claque V - Halmstad. Ras le bol des prestations scéniques théâtrales, ras le bol d’un groupe qui m’avait tant donné et qui semblait trop se chercher en épurant au maximum son black metal pour privilégier un pastiche de mélodies glanées ici et là pour en faire un album (non j’ai vraiment pas aimé VII - Född Förlorare, vous l’aurez compris) . J’ai passé ces dernières années à mirer les tribulations de Kvarforth avec sarcasme, mon aversion pour son groupe étant inversement proportionnelle à ce que je percevais de la qualité de sa musique.
Je m’attendais à descendre en flamme Redefining Darkness.
Et ça m’écorche la gueule de le dire, j'ai écouté et écouté encore l'album pour en être certain, mais putain, bien joué Niklas, j’ignorais que t’avais encore des cartouches en réserve. Pas aussi bouleversant que tes premiers skeuds, pas aussi incroyable de ton couillu V - Halmstad, Redefining Darkness m'a appris à reconsidérer ta musique, et si ça m'arrive à moi, ça arrivera à beaucoup d'autres, et c'est déjà beaucoup.
Un album d'un Shining qui n'a plus le cul entre deux chaises, qui sait enfin où il va, renoue avec sa personnalité actuelle, on adhère ou on adhère pas, mais si l'on fout de côté la dimension humaine du leader, ses déclarations sulfureuses sur un groupe qui ne l'est plus depuis des piges, ça fait du bien d'entendre ça.
Certainement pas une baffe, mais une excellente surprise.
1. Du, Mitt Konstverk
2. The Ghastly Silence
3. Han Som Hatar Människan
4. Hail Darkness Hail
5. Det Stora Grå
6. For the God Below