Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
La Déception d'un inconditionnel ou l'Autopsie d'un fiasco
1) Les prémices du mal
Le tout premier contact avec la bête s'était fait en live pour ma part, lors du passage de Shining à Paris en 2016. Jorgen et sa bande avaient joué My Church pour la première fois lors de cette date. Découvrir un morceau en live n'est pas une chose aisée, difficile de vraiment retenir quoi que ce soit avec une seule écoute noyée dans un déluge d'autres titres. Sans avoir été rebuté par ce premier extrait, il m'avait semblé un peu mou et sans grande originalité, avec beaucoup de claviers et pas les plus inventifs du groupe. Quelques mois s'écoulent dans un relatif silence de la part des Norvégiens, sans doute occupés à composer et enregistrer leur prochain album, rien d'inquiétant. Puis est logiquement venu le temps de dévoiler les premiers morceaux dans le cadre de l'habituelle montée en puissance promotionnelle, et déjà là, les choses se corsent. Animal et Everything Ends, les deux singles retenus, n'ont rien du Shining que j'adulais encore il y a deux ans : popisant dans le mauvais sens du terme, creux, sans aucun brin de la folie qui habitait le groupe. Un gros point d'interrogation commence à se former dans mon esprit : Shining serait-il, contre toute attente, capable de me décevoir ?
2) La rencontre
A l'heure de l'information circulant à toute heure du jour et de la nuit, j'ai réussi, sans trop savoir comment, à ne pas découvrir la pochette de l'album avant de l'écouter. Et cet espèce de truc aux couleurs criardes me fait hésiter un instant avant de lancer l'album : si les artwork du groupe n'ont jamais rien eu de mémorable, ils avaient la décence d'être sobres, contrairement à l'abomination que j'ai sous les yeux et qui menace de me rayer la rétine. Je ne sais vraiment plus à quoi m'attendre et le doute quant au contenu de l'album gonfle encore. Play.
Mais qu'est-ce que c'est que ce son ? Mais qu'est-ce que c'est que ce chant ? Mais qu'est-ce que ? Quoi ? Pourquoi ? Comment ? Vraiment, j'ai bien le bon Shining dans mes enceintes ? Pas un espèce d'usurpateur en mal d'inspiration ?
3) L'autopsie d'un fiasco
Qu'est qui ne va pas dans ce nouvel album des Norvégiens ? La réponse est simple et tient en un mot : tout. Absolument tout est raté. Comme déjà auparavant, Shining a voulu se renouveler et je n'ai rien contre les groupes qui tiennent à faire évoluer leur art, bien au contraire. Sans parler de l'incroyable virage effectué en 2010 avec le premier album du cycle Blackjazz, la différence entre ce ce brûlot initial et One One One était déjà énorme, Shining avait laissé de côté son approche radicalement avant-gardiste pour faire rentrer sa musique dans un format plus facile d'accès, et le résultat était brillant. International Blackjazz Society continuait un peu sur la même voie, avec un retour des structures moins immédiates. Mais Animal ne garde rien de ce qui faisait l'identité du groupe.
Les claviers épileptiques sont devenus des nappes typées années 80 absolument désagréables, les riffs sont digne d'un Muse en mal d'inspiration, et le chant, le chant ! Argh ! Jorgen tente un passage vers la voix claire, et si encore une fois je n'ai rien contre, il faut quand même que ce soit bien fait. Et sur Animal, c'est tout sauf le cas. Entre complainte pleurnicharde et mièvre (When The Lights Go Out), pseudo chant rock énergique (la plupart du temps) et voix faussement hurlée qui agace plus qu'autre chose, Munkeby dévoile une palette à la nullité abyssale, le tout saturé d'effets. La batterie chaotique et imprévisible s'est également fait la malle, tout l'album se fait sur un 4/4 des plus ennuyeux, avec rien qui ne donne envie de se bouger un tant soit peu. Le début de Smash It Up ! pourrait à la rigueur être correct s'il n'y avait pas encore une fois ce chant insupportable. Mais, mis à part quelques plans de quelques mesures isolés ça et là, l'ensemble de l'album est complètement à la dérive. Et si j'ai gardé l'espoir jusqu'au bout d'avoir quelque chose de correct à me mettre sous la dent, il n'y a simplement rien à sauver.
4) La déception d'un inconditionnel ?
J'ai pris un peu de temps pour écrire cette chronique. Je ne voulais pas être ce type qui crache sur ses idoles simplement parce qu'il n'a pas eu l'album qu'il attendait. J'ai essayé de comprendre ce qui ne va réellement pas avec Animal. La démarche d'aller vers une musique moins extrême n'est pas criticable en elle, seule la manière de faire l'est. Et le problème, c'est que Shining a fait sa mue de la pire des manières. Toutes les mauvaises idées pour proposer un univers moins agressif sont synthétisées dans l'album. Tiens, les 80's sont en force en ce moment, si on mettait du clavier old-school ? Ouais les gars, et du bien kitsch ! Si on avait un guest sur l'album ? Ouais les gars, et sur le dernier titre nul au possible pour la surprise, et une voix féminine s'il vous plaît, c'est encore plus cliché sur une ballade de clôture. Et si on enlevait le sax ? Ouais les gars, c'est... Attends quoi !? Oui chers lecteurs, vous avez bien lu, Animal est un album sans sax ! Et là je suis obligé de hurler au scandale : changer, je l'ai déjà dit, pas de problème. Mais est-ce vraiment la peine de renier absolument tout ce qui faisait l'originalité du groupe ? Même sur les paroles Shining chie dans la colle : là où les textes, certes parfois un peu cryptiques, donnaient une profondeur supplémentaire à la tourmente qui nous était servie musicalement, les paroles volent ici au raz des paquerettes. "'Cause, baby, everything dies, baby that's a fact" Tu la sens ma grosse réflexion profonde là ? Hein ? Tu l'entends mon désespoir à la mords-moi-le-noeud ? Arrgh !
Animal est une énorme déception, aucun doute là-dessus. Mais pas seulement parce qu'il ne correspond pas à ce que je voulais de la part de Shining : l'album est totalement foiré dans sa globalité, et toutes les démarches entreprises pour le renouveau sont un gigantesque flop qui fait mal aux oreilles. Rarement j'ai vu un groupe se vautrer de la sorte. Même en mettant de côté les attentes que j'avais pour l'album, il n'y a objectivement rien à sauver. Tout n'est que cliché, redite et mauvais goût. Et surtout, je n'arrive pas à comprendre comment Shining a pu prendre plaisir à faire un tel album. Je veux dire, des mecs qui se sont éclatés ces dernières années à nous retourner les synapses à grand coup de freejazz metallisé, comment ces types peuvent-il s'amuser en jouant un truc aussi mauvais, plat et d'une inventivité technique proche du néant ? J'avoue ne pas avoir de réponse, ça m'est complètement incompréhensible. Que le cycle Blackjazz doive toucher à sa fin, ce n'est au final qu'assez peu surprenant : la carrière de Shining n'en est pas à sa première révolution stylistique, et il fallait bien s'attendre à un moment ou à un autre à une bifurcation. Mais fallait-il vraiment que la nouvelle voie ressemble à ça ?
Tracklist d'Animal:
01.Take Me
02.Animal
03.My Church
04.Fight Song
05.When The Lights Go Out
06.Smash It Up !
07.When I'm Gone
08.Everyhting Dies
09.End
10.Hole In The Sky