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Du retard, Shining en a eu beaucoup pour la sortie de son 6ème album, Klagopsalmer, mais ce dernier est finalement arrivé ce mois-ci. Comme à chaque nouvelle sortie, depuis le « split » du groupe puis sa reformation quelques mois plus tard, Shining est toujours autant un sujet de discorde : adulé par les uns, oublié par les fans de black pur ou détesté par d’autres, les suédois ne laissent pas indifférent. Voyons si Klagopsalmer est dans la continuité des deux derniers albums ou si un nouveau virage a été amorcé ?
Tout d’abord, avant toute chose, Shining produit une musique pour individualistes : on écoute le groupe tout seul, en communion avec soi-même et avec aucun élément perturbateur aux alentours. Shining ne s’écoute pas en groupe, à moins d’être à l’unisson, un peu comme en thérapie. Et encore, même à plusieurs, on revient toujours à un feeling intérieur et pas à un partage. La thérapie, Shining en a toujours bien besoin dans ce nouvel album, où l’accent dépressif est très présent. La pochette, signée Erik Danielsson (Watain), illustre parfaitement les leitmotive (si, si, c'est comme ça le pluriel) de Shining : l'abandon, la régression lente au fil du temps, une image fermée pour commenter un psaume des lamentations (titre de l'album traduit). La production est du même acabit que dans les précédents albums. Pourquoi changer une recette technique qui fonctionne ?
Au niveau d'un autre menu, sonore cette fois-ci, Klagopsalmer se compose de plusieurs parties :
Dans un premier temps, nous écoutons trois morceaux pleins d’agressivité. Tout est bien catchy. Ce que j’aime, c’est qu’en plus de proposer une musique neurasthénique, les guitaristes Fredric "Wredhe" Gråby et Peter Huss placent des soli typiquement heavy mélodiques suédois, très propres. Certes, ils n’ont rien d’exceptionnels ces soli, mais ils montrent la bonne maîtrise technique et le sens de la composition aiguisée des deux compères. Chaque titre de l’album a sa propre identité, son rythme à lui, sa façon de nous faire ressentir la mélancolie. Le troisième morceau de l’album, « Krossade Drömmar Och Brutna Löften», a ce côté démonstratif que les autres n’ont pas, avec de grandes envolées mélodiques, des longues parties instrumentales (comme « Åttiosextusenfyrahundra » du dernier album) entrecoupées par les interventions déprimées de Kvarforth (chant). Ce dernier est toujours aussi à l’aise. Provoquer le spleen est sa marque de fabrique, et, à l’écoute de cet album, on a le plaisir de voir qu’il a accentué la présence de son chant clair (voix sensuelle et apaisante).
Dans le troisième morceau, cependant, le passage central où il pleurniche est prévisible et moins poignant que ses précédentes interventions dans Halmstad (2007) ou dans The Erie Cold (2005). Globalement, j’ai trouvé qu’il était tombé dans la facilité sur cet album : une sorte de routine s’est instaurée… mais une routine dépressive…
Ensuite, la seconde partie de l’album est beaucoup plus obscure et décadente : la rythmique est plus lente, oppressante, la tension est palpable. Dans cet amas de sentiments de rejet, Shining nous propose d’écouter une reprise du groupe norvégien Seigmen, intitulée « Ohm » (Sommar Med Siv), de l'album Total. Ce morceau, en guitare acoustique, totalement instrumental, nous plonge clairement dans le marasme le plus profond. Un sentiment de désarroi total, de vide autour de nous s’installe. Cette reprise, simple à faire, montre à quel point la simplicité peut elle aussi susciter les plus vives émotions. Un succulent bonbon que ce titre de Seigmen...
De plus, dans toute cette détresse ambiante, Shining apporte un morceau hybride, « Fullständigt Jävla Död Inuti » : à la fois psychédélique et progressif. C’est encore une autre facette du monstre qui est dévoilée. Tout comme l’ultime titre, « Total Utfrysning », dont la musique est synonyme de chute interminable, mais une chute avec rebondissements. Bien appuyé par les frottements de basse de King Ov Hell (God Seed, bassiste de session sur cet album) et les martellements lents de Rickard Schill (Spawn Of Possession), cet ultime aspect de Shining est remarquable pour plusieurs raisons : d’une part, il dure pas moins de 16 minutes, sans être rébarbatif. D’autres part, il alterne des parties où on sent la régression en nous, et d’autres où on entrevoit l’espoir. Cet espoir est traduit par l’apparition d’un piano, d’un violon et d’un violoncelle (dont les vibrations pénètrent dans la chair), qui viennent appuyer les guitares dans un tempo très lent, tel une ballade. Ce morceau pourrait sans conteste faire partie de la B.O. d’un film : à la fois très profond, lourd et changeant. Kvarforth y dialogue longuement, répond à un appel téléphonique. Dommage que les textes soient en suédois… Pour en finir avec ce morceau, j’ajoute un détail qui m’a frappé, et que je vois rarement en album : Shining termine Klagopsalmer en trio piano – violoncelle – violon, sur une ultime note de piano qui donne l’impression d’inachevé. En effet, et vous ressentirez la même chose que moi, vous terminerez l’album dans votre tête, avec la note qui manque au morceau. C’est comme si les suédois voulaient qu’on vienne mettre le point final à la lettre de suicidaire qu’ils viennent d’écrire. C’est très fort !
En définitive, Shining nous a proposé un sixième album dans la lignée des deux précédents, et avec encore moins d’éléments black metal que par le passé (il n’y en a même aucun). Ici, nous avons droit à une musique purement dépressive, exprimée de façons variées (rythmes changeants, morceaux extravagants ou minimalistes, etc.). Les 50 minutes de Klagopsalmer passent très bien et on en redemande. Comme seul point négatif, je citerais mon impression d’entendre un leader Kvarforth en mode de pilotage automatique (à bord d’un avion qui va s’écraser, certes…). Il n'apporte pas grand chose de neuf ici, à part le chant clair plus présent. Shining est déjà en phase de composition d’un septième album, et a changé de label. Vivement la suite !
1. Vilseledda Barnasjälars Hemvist
2. Plågoande O'Helga Plågoande
3. Krossade Drömmar Och Brutna Löften
4. Fullständigt Jävla Död Inuti
5. Ohm (Sommar Med Siv) - Seigmen cover
6. Total Utfrysning