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Album

09 décembre 2014 - U-Zine

Edguy

Age of the Joker

LabelNuclear Blast
stylePower Hard Mélodique
formatAlbum
paysAllemagne
sortieaoût 2011
La note de
U-Zine
8/10


U-Zine

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L’humanité décline, la société est une vaste pourriture tandis que le monde s’autodétruit lentement mais surement, sans espoir de retour.
Bienvenue dans le pessimisme, ses joies (…) et la féérie de couleurs qui s’en dégage. Cherchant à dramatiser à l’extrême une existence bien souvent fade, moult artistes metal n’ont de cesse d’enfoncer toujours un peu plus l’environnement qui les entoure, de critiquer la masse (tout en s’en retirant) et de noircir un tableau déjà originellement largement suffisamment opaque. Et si un certain plaisir pervers de plonger à l’intérieur de cet univers malsain et noir n’est jamais en soi ni difficile ni supplicié, l’envie simple de se laisser enivrer par un semblant de positivisme, de couleur et, pourquoi pas, d’une trace d’humour, remonte lorsque cet étalage dépressif commence à inéluctablement écorné un moral ayant ses propres limites.

Dans ce contexte, les joyeux lurons allemands d’Edguy ont toujours été un échappatoire parfait, à l’instar de leurs compatriotes, influences et amis d’Helloween ou Gamma Ray pour ne citer que les plus mémorables. Possédant toujours un sens de l’humour aussi affuté, un plaisir de jouer et une joie de vivre débordante, la bande à Tobias Sammet, trois ans après un "Tinnitus Sanctus" au grain plus lourd et sombre, revient avec entre temps, le final dantesque qu’il nous proposa pour son triptyque d’Avantasia.
Neuvième album très attendu après ce qui était pour certain une baisse de rythme après des années à flirter inlassablement avec l’excellence, "Age of the Joker" s’affuble sur sa pochette de ce qui est devenue avec le temps la mascotte : le joker. L’ironie, la satire et l’humour semblent une nouvelle fois au centre des débats, mettant en scène ce personnage caricatural mais cultivé, pouvant critiquer à satiété sans être inquiété, se moquer avec le sourire et pour faire rire…mais en marquant durablement dans le fond. C’est sous ce patronyme ambitieux que Tobias a donc décidé de revenir, dans une optique musicale qui n’est plus à démontrer, et qui suit globalement le même chemin prise depuis l’évolution entamé sur "Rocket Ride". Le temps du speed infatigable (bien que Tobias le soit depuis toutes ces années), rehaussé de multiples orchestrations, d’une double pédale gargantuesque et de déchantes de manches imparables ont laissé la place, depuis l’inattaquable et indéboulonnable "Hellfire Club", la place à une musique piochant autant dans le heavy, le speed, le hard que les atmosphères bluesy pour définir une personnalité plus accessible, plus brute et certainement moins ambitieuse également.

C’est pourtant avec un pavé de huit minutes, le déjà célèbre "Robin Hood" hautement épique et d’arrangements qu’Edguy débute, pied au plancher, avec une première attaque d’un Felix Bonhke retrouvé, et surtout des parties d’orgues superbes. Si la version single du clip se veut sympathique, le morceau entier est d’un tout autre calibre. Malgré un riff relativement simple, Tobias a une nouvelle fois composé une ligne vocale entêtante, que ce soit dans un pré-refrain original ou un refrain repris en chœur simple à retenir, catchy et mélodique en diable. Le break évoque légèrement le Maiden de la grande période, avant que ne débute une partie narrative qui, si dans la forme surprend (notamment l’intonation vocale que prend Tobias), le fond pourra rappeler au bon souvenir de "Tears of Mandrake", notamment avec le déchainement jouissif de soli qui s’abat ensuite sur nous, Jens Ludwig s’étant visiblement lâché sur ce disque (et posant des soli de manière moins conventionnelle que sur "Tinnitus Sanctus"). Un souffle épique parcoure ce break, les cordes se font entendre et Tobias est plus que jamais dans son rôle (la dernière note du morceau démontre encore une fois à quel point le vocaliste fait ce qu’il veut de sa voix). Rassurant, ce premier morceau laisse tout du moins entendre à qui veut l’entendre que les compositions épiques ne sont pas prêtes de quitter l’univers des allemands.

Néanmoins, "Age of the Joker" montrera une grande variété d’émotions, de couleurs et peint un groupe qui semble, plus que jamais, vouloir sortir du carcan dans lequel il s’est lui-même enfermé à la suite de ses albums les plus marquants et fédérateurs. On tiendra pour compte le surprenant "Pandora’s Box", au caractère hard blues très marqué, aux sonorités lancinantes et très américaines. Tobias s’acclimate parfaitement, comme il l’a déjà fait précédemment pour "Fucking with Fire", "Dead or Rock" ou encore "Dragonfly", mais cette fois-ci avec une volonté d’apporter bien plus de groove. Le pont, quasi country, surprendra dans le sens où l’on a cette fois-ci pas affaire à une blague comme fut "Aren't You a Little Pervert Too?" et, sans être une réussite complète, est des plus agréables. "Rock of Cashel" en revanche aurait très bien pu faire partie de l’univers d’Avantasia tant il nous ramène à "The Scarecrow". Très mélodique, la composition navigue entre du metal mélodique pur, des passages clairement plus speed, un refrain éclairant à coup sur votre journée et surtout un aspect celtique que Tobias n’exploite que rarement. Vocalement superbe, Tobias offre beaucoup d’émotions à la composition, tout en apportant des trouvailles ici et là, notamment aux claviers, ou dans la prononciation, emmenant forcément les chansons à un niveau supérieur.

Autre fait qui n’est pas une surprise en soit, la quasi-totalité des refrains sont des hits en puissance qui devront une nouvelle fois faire malheur sur scène, et s’octroieront rapidement une place de choix dans une case mémoire de votre cerveau.
On notera également une énorme présence des claviers, revenant en force après quelques albums où ils étaient largement relégués à un rôle de moindre importance. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que l’on pense parfois à "Vain Glory Opera" lorsque "Two Out of Seven" ou "Fire on the Downline" retentissent, dans un esprit très 80s, se rapprochant parfois de Europe dans l’utilisation des claviers. Le premier cité pourrait bien être la suite d’un "Nine Lives" ou "9-2-9", mid tempo, riff accrocheurs, claviers dehors et surtout ce genre de refrains qui font immédiatement mouches, même s’ils flirtent parfois avec une trop grande simplicité, voir un aspect kitsch prononcé, mais complètement assumé. On remarquera également le sens de l’humour toujours aussi exacerbé des lutins, terminant la compo comme ce fut le cas pour "Catch of the Century", avec une énorme connerie chantée par Tobias, que certains d’ailleurs ne semblent justement pas apprécier (je vous laisse le plaisir de découvrir les paroles…).
"Fire on the Downline" en revanche, est probablement le meilleur titre de l’album, d’une intro bouleversante où Tobias retrouve l’aspect le plus mélancolique de sa voix (pensons à "The Asyum"…), avant qu’il ne s’envole dans les cieux, accompagné par une ligne de claviers sublime et de basse martelée. Montant doucement en puissance, le second couplet amène un refrain qui, une fois de plus, ne laisse pas indifférent et donne envie d’être chanté à tue-tête dès la deuxième écoute.

On retrouvera aussi un Edguy plus speed et carnassier sur les futurs classiques de la scène que sont "Nobody’s Hero" ou "The Arcane’s Guild", suivi de près par un "Breathe" aux claviers encore une fois très synthétiques, qui risquent fort de déclencher des avis très tranchés sur leurs sonorités. "Nobody’s Hero" lui, s’ouvre sur un riff destructeur que l’on rapprochera presque d’un "Mysteria", accompagné d’un « Alright » des familles pour pondre un titre de pur heavy speed bien groovy qui tourne en boucle dans la tête. Toutefois très mélodique, malgré des riffs de Jens et Dirk très appuyé, on reste émerveillé par ce genre de refrain hymnique, balancé avec une facilité déconcertante et chanté avec une telle conviction, et amené à essouffler quelques poumons lors du passage à la scène. Quant à Jens, il parait s’amuser comme un fou à déverser ses notes, notamment sur le monstrueux "The Arcane’s Guild", le plus rapide du disque, à l’empreinte du passé reconnaissable entre mille (prenant autant à "Until We Rise Again", "Babylon" que "Speedhoven"…) dôté du refrain le plus positif de l’album. Car c’est aussi ça Edguy, cette sensation d’un arc-en-ciel parcourant notre esprit, de musiciens heureux de vivre et de nous donner du bonheur, ce sourire indescriptible qui se grave dans notre visage à l’écoute de parties aussi aptes à la bonne humeur et la joie. Et lorsque l’on se prend le solo au tapping de Jens en pleine face, comme un mur mais amené de façon progressive avec des claviers et un joli break de mister Felix, on ne peut que s’abaisser devant la redoutable efficacité de ces musiciens.

On trouvera pourtant la présence d’un second long morceau, "Behind the Gates of Midnight World", foncièrement plus sombre et intriguant, à des années lumières des "Breathe" ou autres "The Arcane’s Guild". Des effets malsains ouvrent le morceau avant que Dirk ne décroche un riff lourd et sombre, puis une explosion pour que ne s’accélère un rythme pourtant porteur de noirceur et de mystère. Tobias y dévoile toute sa perplexité dans le large spectre de sa voix. Globalement, il s’agit du titre le plus difficile à décrire…il n’est jamais réellement rapide, ne comporte rien de symphonique mais dispose dans son âme une dimension mélancolique et énigmatique. La longue suite de soli, puis l’arrivée d’une partie de piano accompagnant Tobias puis les instrumentistes m’aura personnellement fait penser à "Runaway Train", sans qu’une affiliation purement musicale puisse clairement être faite.

"Age of the Joker" ferme ses portes et emporte avec lui mes quelques doutes ou craintes. Certes, le grand et immense Edguy d’"Hellfire Club" n’est et ne sera surement plus jamais là, lorsque rien ne pouvait atteindre la moindre composition qu’enfantait un Tobias Sammet alors au summum de sa créativité. Pourtant, encore une fois, Edguy a montré qu’ils étaient capables de se réinventer, de proposer des nouvelles idées et une ligne directrice différente, ici largement mise en valeur par le retour important de claviers qui seront pourtant à coup sur ce qui dérangera les puristes. Mais faisant fi des avis des autres, avançant contre vents et marées et surtout en continuant de gravir les marches d’une popularité et d’un succès qui n’est plus à faire, Toby et ses sbires apportent une nouvelle pierre à l’un des édifices les plus remarquables et imposants du heavy metal de ces quinze dernières années.

1. Robin Hood
2. Nobody's Hero
3. Rock of Cashel
4. Pandora's Box
5. Breathe
6. Two Out of Seven
7. Faces in the Darkness
8. The Arcade Guild
9. Fire on the Downline
10. Behind the Gates to Midnight World
11. Every Night Without You

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