
"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
En 2015, Fractal Universe sortait son premier EP, Boundaries of Reality, dans la discrétion de la scène lorraine, alors que ses membres se partageaient dans plusieurs groupes locaux (Slatsher, Amoeba…). Dix ans plus tard, le groupe va s’engager dans une tournée américaine aux côtés d’Atheist, Decrepit Birth, Origin et Obscura, et même mieux, deux de ses membres vont utiliser leurs skills de musiciens sur les planches pour ces derniers. Quel chemin parcouru ! Avec bien sûr quatre albums à mettre à leur crédit entre temps, dont deux chez la référence internationale qu’est Metal Blade. Même si Fractal Universe repart ici sur le plus modeste – bien que toujours américain – M-Theory Audio (qui nous a notamment gratifié du double album d’Amiensus l’an dernier), il a indéniablement toujours sa petite cote. Il faut dire qu’il figure dans une scène certes chargée mais qui a le vent en poupe et séduit toujours les amateurs de technique – à savoir le death progressif. S’il est parti avec Engram of Decline (2017) du petit Obscura illustré, Fractal Universe a ensuite su faire évoluer son art avec une certaine personnalité. Notamment de par l’utilisation de saxophone, d’un chant clair de plus en plus prégnant, ou d’un style globalement plus aéré et moins démonstratif que certains, histoire de brasser plus large. Rhizomes of Insanity (2019) donnait déjà un peu le ton, et The Impassable Horizon (2021) enfonçait le clou, montrant un Fractal Universe moins immédiat et tubesque et plus raffiné. Alors que ses concerts se sont logiquement multipliés, même s’il est difficile de vraiment juger son succès en dehors des sphères franco-françaises, le quatuor qui a vécu son premier changement de line-up l’an passé (le guitariste Hugo Florimond qui était le rescapé de Slatsher ayant laissé sa place à Yohan Dully) a pris un peu de temps pour revenir en studio – notre avis sur The Impassable Horizon remonte à notre troisième rubrique nécro ! – et ce n’est que quatre ans après son prédécesseur qu’arrive The Great Filters.
Fractal Universe n’a déjà aucunement changé son apparat visuel fait maison, preuve en est qu’il reste lui-même en toutes circonstances. Et musicalement, il a fixé son style et ne semble pas décidé à revenir dessus dans l’immédiat. On se retrouve donc dans le chemin tracé par The Impassable Horizon, lui-même démarré par Rhizomes of Insanity, à savoir un death résolument progressif et forcément technique, mais qui se démarque par son côté soutenu et accessible, mélodique et enivrant. Alors que Rhizomes of Insanity était un peu l’« album à tubes » (« Oneiric Realisations », « Masterpiece’s Parallelism »), The Impassable Horizon était lui peut-être un peu moins efficace et plus exigeant mais Fractal Universe se trouvait déjà un second souffle grâce à ses rééquilibrages sur les atmosphères plus feutrées, accompagnées d’un chant clair bien plus dominant. The Great Filters va donc se retrouver dans cette lignée mais va toutefois faire le pont entre le deuxième et le troisième album de la formation, en se montrant très homogène mais ne négligeant pas les accroches. Fractal Universe n’a jamais été tape-à-l’œil et il ne faut certes pas s’attendre à des rangées de riffs techniques à foison. Mais The Great Filters sera au bout son album le plus complet, qui arrivera à mettre tout le monde sur un pied d’égalité, qu’on cherche de la technique ou des « progressions » (le groupe n’étant pas forcément friand de longs morceaux) dans le style pratiqué ici. « The Void Above », avec son départ en fanfare, prouve de toute façon que Fractal Universe voudra satisfaire tout son auditoire avec un combo complet – rythmiques bien propulsées, leads entraînants, assauts de chant harsh contrebalancés par un chant clair toujours convaincant, passages semi-acoustiques et saxophone en toile de fond, batterie variée à l’unisson – et surtout une bonne grosse dose d’inspiration, qui va émailler les 46 minutes de The Great Filters avec déjà des moments franchement épiques pour commencer. Ça promet.
The Great Filters va constamment évoluer dans la dualité entre un metal technique appuyé et un metal progressif aéré, chants clairs et harsh se répondant sans cesse tandis que les ponts plus raffinés se multiplient. Fractal Universe a ici définitivement trouvé sa fluidité, qui ne souffrira plus d’aucune faille, d’aucun sentiment de collage dont peuvent souffrir certaines autres formations du genre. Des morceaux comme « The Great Filter », « Causality’s Grip » ou « Concealed » bénéficient parfaitement de cet équilibre, on bondit avec délectation de la technique à l’ambiance sans s’en rendre compte. Fractal Universe va même plus loin quand il étire un peu son temps de jeu, à l’image d’un « Specific Obsolescence » où tout y est, une certaine epicness en sus (le groupe se montrant motivé pour pondre des fins de morceaux sacrément monumentales sur la plupart des pistes par ailleurs) quand bien même l’ensemble sait rester efficace. Une efficacité très metallique qui reste partie prenante de l’art de Fractal Universe quand c’est nécessaire, en témoigne le bien plus rythmé et punchy – mais toujours résolument mélodique – « Dissecting the Real » ; ou encore le riffing percutant de « Concealed ». Et à l’autre bout de l’échiquier, on pourra noter l’étonnant et plus soutenu « The Seed of Singularity » avec des compos plus lourdes mais pas moins mordantes, tandis que « The Equation of Abundance » sera la grande respiration atmosphérique de mi-course de The Great Filters, dont les soubresauts metal n’en seront que plus libérateurs. Cerise sur le gâteau, Fractal Universe sait innover en terminant son quatrième album par un tube très mélodique, technique et immédiat, « A New Cycle », qui détone avec les albums du genre qui ont tendance à se terminer par de longues progressions – même le groupe y avait cédé sur Engram of Decline avec « Collective Engram » ! Fractal Universe livre donc au bout son album le plus abouti, homogène et fluide de bout en bout, sans les quelques petites baisses de régime dont avaient eu droit Rhizomes of Insanity et The Impassable Horizon. Son meilleur album donc, même si Rhizomes of Insanity s’était bonifié avec le temps, et que les vrais morceaux de référence sur ce quatrième album n’émergeront eux aussi qu’avec le temps (et un passage en Live ?). Si rien n’est vraiment révolutionnaire là-dedans, et que pas mal trouveront l’ensemble trop mélodique et atmosphérique pour du « tech death », que le chant clair très présent sera diversement apprécié de même que le saxo – qui se fond pourtant parfaitement dans leur art désormais, Fractal Universe a fait son chemin avec sa mixture bien à lui et c’est du propre. Qui ne demande qu’à continuer à porter le metal français et en particulier lorrain au-delà des frontières…
Tracklist de The Great Filters :
1. The Void Above (4:26)
2. The Great Filter (3:41)
3. Causality's Grip (3:35)
4. The Seed of Singularity (4:08)
5. The Equation of Abundance (6:25)
6. Specific Obsolescence (6:49)
7. Dissecting the Real (5:23)
8. Concealed (6:05)
9. A New Cycle (5:04)