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Album

30 mars 2025 - Rodolphe

Melvins x Napalm Death

Savage Imperial Death March

LabelAmphetamine Reptile
styleAlternative death opera
formatAlbum
paysÉtats-Unis
sortiefévrier 2025
La note de
Rodolphe
9/10


Rodolphe

La caution grunge du webzine.

Si, à l’image d’Ipecac Recordings, les Melvins nous ont habitué·es à la versatilité musicale (Freak Puke des Melvins Lite, l’extension jazz/expérimentale champêtre des Washingtoniens), une partie d’eux-mêmes a toujours apprécié le confort de la scène punk, drone et noise américaine, notamment ancrée dans le Nord-Ouest des États-Unis. Aujourd’hui, leurs sorties ne sont plus autant célébrées, à la différence de leurs performances en live, unanimement saluées et relevant de l’entertainment à l’américaine. En concert, cette institution en appelle parfois à des renforts insoupçonnés, comme en 2016, lorsqu’elle entreprit une tournée commune de six semaines avec, entre autres, Napalm Death, avant de les retrouver au Hellfest : les uns à la Valley, les autres à l’Altar. Près d’une décennie plus tard, l'association, qui entretient davantage de connexions sur le plan politique qu’artistique –  quoique Fecal Matter ait, à n’en pas douter, infusé l’esprit de la scène grindcore –  se reforme, cette fois pour enregistrer et publier du matériel inédit. Au souvenir des 36 dates du Savage Imperial Death March Tour.

Sur la forme, les Anglo-Américains célèbrent la musique underground d’une manière quelque peu anachronique. Au carrefour de l’EP et de l’album, cet objet, sold-out, a bénéficié d’une diffusion limitée, réduite à la vente physique de près de 1 000 CD et vinyles, via le site d’Amphetamine Reptile. Le label est par ailleurs bien avisé de préciser, à l’attention des curieux et curieuses, qu’il ne s’agit en aucun cas d’un split-album dans lequel figureraient des titres dédiés à chacun des groupes. En l’occurrence, les artistes se jouent de cette confusion, et l'entretiennent, au moins sur le morceau d’ouverture, « Tossing Coins Into the Fountain of Fuck ». Les musiciens exécutent leur partition, sans se soucier des partis pris artistiques de leurs collègues ou alter egos. L’on assiste à un « bœuf » désordonné où Barney (Napalm Death) utilise un chant primaire, carnassier, légèrement en retrait du micro, pendant que les Melvins offrent une leçon de guitare à l’emporte-pièce, timidement hard rock. 

Cette confrontation, ce « choc » des cultures, durera au moins neuf minutes supplémentaires, bien que se dessine sur « Some Kind of Anarchism » le commencement d’une collaboration, qui trouvera son point d’ancrage à partir du 3ᵉ morceau. Cependant, l'on aurait tort d'exagérer les différences de style et d'approche entre les membres des Melvins et de Napalm Death. En mars 2016, à Phoenix, lors d'un entretien pour Decibel Magazine, à la taquinerie du journaliste Daniel Lake, « Pourquoi Shane [Embury] joue-t-il de la musique rapide ? », King Buzzo s'amuse : « Tu appelles cela rapide ? Moi, je dis que c'est un rythme d'escargot. [...] Je me souviens de la première fois que j'ai vu Napalm Death, j'ai passé tout le concert à crier : "Plus vite ! Plus vite ! Joue plus vite, putain !" ». Une manière de considérer la notion de tempo, telle qu'elle est employée aujourd'hui, comme arbitraire. Pour l’heure, le pont entre le death metal et la musique alternative se renforce, en suivant un schéma de questions-réponses. Entre le Buzz et la Bête s’opère, enfin, une tentative de communication, souvent altérée par des riffs boueux. En revêtant son costume de tragédien, le leader des Américains improvise, de son côté, des envolées lyriques proches d’un Serj Tankian, dans ses motifs arabesques, généralement aigus et riches en vibrato.

Finalement, « Nine Days of Rain », « Stealing Horses », voire la seconde moitié de « Rip the God » – dont le mixage, sur certaines notes de basse aquatiques et résonnantes, évoque Nevermind – traduisent, de façon prégnante, une envie d’associer les talents, de donner vie à un crossover. Même si, à vouloir être très premier degré – contre toute attente –, « Nine Days of Rain » véhicule une sensation d’inconfort palpable, il reste le morceau pour lequel l’étiquette de supergroupe se justifie pleinement. Là où cet orchestre crée, par réflexe, des disharmonies vocales, des contrastes, le sérieux de la composition – crispante et dark –, convainc : l’on projette une collaboration plus vaste, en live. Toujours est-il qu’en studio, ces deux entités se retrouvent dans le plaisir de s’amuser, de fabriquer de l’étrange. Savage Imperial Death March n’a rien d’un concept album, mais les metalleux attisent l’imagination, en brodant des ersatz de campagnes militaires faits de bruitages, de signaux d’autoradio et de cris d’horreur cheap (« Some Kind of Antichrist », dès la « cassure » à 3 min 30, et « Death Hour »). Tout bien considéré, ces « death marchs » s'apparentent à du troll, du  « yaourt » produit en studio, avec la complicité de l’ingénieur·e du son. Et le dénouement de la Blitzkrieg interviendra sur « Death Hour » ; les soldats, défaits, minés, perçoivent des sons électroniques familiers. Serait-ce « Jump » de Van Halen ? L’art de désacraliser la musique et d’aspirer, en quelques secondes, la brutalité de tout un album.

Par accident, les Melvins et Napalm Death contribuent, à travers cet enregistrement spontané – digne d’un opéra de death alternatif, à la fois théâtral et avant-gardiste –, à explorer la branche extrême du grunge. Il va sans dire que la concurrence induite avec la sortie prochaine du 28ᵉ album solo des Melvins 1983, Thunderball, ajoutée à l'absence de marketing digital, et en tenant compte de la faible portée médiatique d'un style de laboratoire comme celui-ci, l’éclipsera assez tôt. Alors, profitons de ce manifeste : célébrons-le pour sa fraîcheur et les sourires amusés qu'il provoque.

 

Tracklist :

  1. Tossing Coins Into the Fountain of Fuck
  2. Some Kind of Antichrist
  3. Nine Days of Rain
  4. Rip the God
  5. Stealing Horses
  6. Death Hour