Sólstafir + Oranssi Pazuzu @ Paris
La Machine du Moulin Rouge - Paris
Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
C'est sous l'appellation Nordic Descent que Oranssi Pazuzu et Sólstafir parcourent les routes d'Europe en vue de défendre chacun un nouvel album. Deux groupes venus du black metal et qui s'en sont éloignés dans des directions opposées, l'un plongeant dans l'abîme bruitiste, l'autre s'élevant vers les cieux plus cléments du postrock. Pour cette halte à Paris, Helga ouvrait les hostilités mais avec un début de set à 18h30 en semaine, impossible d'être à l'heure pour découvrir les Suédois.
Oranssi Pazuzu
La soirée débute donc avec la raison n°1 de ma présence ce soir : Oranssi Pazuzu. Les explorations musicales des Finlandais se sont faites de plus en plus audacieuses au fil des sorties et Muuntaujuja, encore plus tortueux et ésotérique, a confirmé cette tendance. Lorsque les cinq musiciens entrent en scène, la Machine du Moulin Rouge est pleine comme un oeuf (la date est complète depuis deux semaines) et il est clair qu'une partie du public est là pour le quintet. « Bioalkemisti », premier titre du nouvel album, initie le concert et déjà, la folie étrange qui se dégage de la musique d'Oranssi Pazuzu se déploie à travers la salle. Bruits synthétiques et stridents, riffs nébuleux, voix saturées, empilement de couches sonores, tout dans la musique des Finnois pourrait faire craindre un rendu brouillon en live mais le miracle se produit : malgré le bordélisme sonore quasi permanent, le son est d'une limpidité étonnante. Chaque instrument est lisible, les strates sonores s'accumulent sans s'annihiler, et les constructions énigmatiques que sont les morceaux s'élèvent sous nos yeux - ou nos oreilles, à vous de voir. Côté présence scénique, on sent des musiciens aussi chevronnés que spontanés, avec Jun-His (chanteur/guitariste) qui en impose derrière son micro avec une gestuelle intriguante sans être démonstrative, et son acolyte Ikon (guitare/synthé) qui, tous cheveux dehors, maltraite sa guitare à grand coups de vibrato.
Dernière sortie en date, Muuntautuja sera largement représenté avec quatre titres qui sont autant de réussites et auxquels s'intègrent parfaitement des morceaux des deux albums précédents - Oranssi ne remontera pas davantage sa discographie ce soir. Avec un éclairage essentiellement composé de balayages venus du fond de la scène, ce sont ces silhouettes mouvantes que l'on voit sur scène, générant un chaos qu'on est ravi de recevoir. Pourtant, malgré la difficulté d'accès, c'est la Machine tout entière qui suit les pérégrinations psychédéliques, aidée par un batteur à la frappe lourde et bien calée au fond du temps, seul élément stable au milieu de nappes aux contours fluctuants. En observant plus attentivement la scène et les instruments, force est de constater que ça doit être un cauchemar de sonoriser les Finlandais : trois membres ont des micros, trois ont également des claviers, deux guitares avec des palanquées d'effets et de pédales, une basse et une batterie (et peut-être même quelques machines discrètes de ce côté-là), une sacrée dose de matos que tout ce petit monde parvient à faire tenir ensemble. Et pour un résultat, je l'ai déjà dit mais ça fait pas de mal de le répéter, impérial. Des vibrations thoraciques aux stridulations suraigues, le spectre sonore est complet et parfaitement assimilable. Un des multiples miracles auquel on aura assisté durant cette heure de musique avant-gardiste et iconoclaste.
Setlist de Oranssi Pazuzu :
01.Bioalkemisti
02.Kuulen ääniä maan alta
03.Muuntautuja
04.Uusi teknocratia
05.Valotus
06.Hautatuuli
07.Vasemman käden hierarkia
Sólstafir
Si j'avais pas mal écouté Ótta à sa sortie puis énormément apprécié Í blóði og anda en remontant le fleuve discographique jusqu'à sa source, je suis loin d'être un expert de Sólstafir. Loin aussi d'être un amateur inconditionnel. Pour être même tout à fait honnête, leurs derniers albums sont passés dans une oreille et sortis par l'autre. C'est donc sans grandes attentes que j'allais voir les Islandais, et c'est à peu près dans le même état d'esprit que je suis ressorti. Disons que, après avoir été délicieusement malméné par leurs prédécesseurs, il aurait fallu mettre la barre très haut pour m'embarquer dans leur univers qui, de prime abord, ne me parle qu'assez peu. Mais clairement, les Islandais sont attendus, même si une part du public semblait être venue exclusivement pour Oranssi Pazuzu, la salle étant un peu moins compacte lorsque les cowboys nordiques entrent en scène. Si le son est à nouveau très bon dans l'ensemble, avec un travail impeccable sur les guitares à la fois marquées et vaporeuses, un élément me gênera tout au long du concert : la grosse caisse. Trop gourmande, trop massive, trop présente, elle rend balourds certains passages qui auraient dû être davantage planants et célestes.
Néanmoins, cela n'a pas l'air de poser problème aux fans déjà pleinement conquis qui acclament chaleureusement le groupe entre chaque titre, ou qui s'envolent les yeux fermés au gré des riffs épurés d'Aðalbjörn Tryggvason et sa bande. Avec un temps de jeu plus important (1h40) Sólstafir peut se permettre de dévoiler plus en profondeur sa discographie. Si je n'avais presque aucun espoir d'entendre des titres du premier album, je misais largement sur une belle représentation d'Ótta mais seul le titre éponyme a été présenté, dommage pour moi. Pour le reste, la voix si particulière et si emphatique de Tryggvason nous guide à travers les froides contrées que l'on explore, un chant dont on sent la maîtrise totale jusque dans la moindre inflexion. Pour conclure, Sólstafir fait un sorte de rappel sans sortir de scène et nous quitte sur un « Goddess of the Ages » très largement acclamé par le public.
Setlist de Sólstafir
01.78 Days in the Desert
02.Silfur-Refur
03.Blakkrakki
04.Svartir sandar
05.Ljós í stormi
06.Hún andar
07.Fjara
08.Hin Helgo Kvöl
09.Ritual of Fire
10.Ótta
11.Goddess of the Ages
Avec cette affiche, il y avait un peu l'effet deux salles deux ambiances, et force est de constater que l'une me convenait beaucoup mieux que l'autre - sur le papier comme dans le concret. Et pour celles et ceux qui accrochent aux deux versants de la combinaison, soyez certains que la soirée sera bonne !
Un grand merci aux irremplaçables Garmonbozia pour cette soirée !