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Raton et la bagarre #29

jeudi 7 novembre 2024
Raton

Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.

Je n’en reviens pas d’à quel point les mois de septembre et octobre ont été fastes pour le hardcore. Malgré toute la restreinte dont j’essaie de faire preuve pour cette rubrique, j’ai eu du mal à me limiter tant de nombreux disques méritaient une entrée dans ces lignes. Il y avait bien sûr les triples A, la déferlante Kublai Khan en tête, suivie par Touché Amoré, Drug Church, Envy et Better Lovers, mais aussi un torrent de sorties françaises excellentes avec Kibosh, Coven, Insurgent et Reclaimed, sans oublier les espoirs naissants d’Heriot, Giver, Void of Vision, Bloom Dream ou xEDENISGONEx. Ça tombe bien, je vous parle de chacun de ces disques dans une Bagarre fleuve que vous pouvez bien entendu lire à votre rythme.

N’hésitez pas à parler du format autour de vous, à me faire vos retours ou vos suggestions car le hardcore est bien des choses mais pas un monologue sans lien avec la scène. Bonne lecture !

 

Better Lovers | Kublai Khan | Touché Amoré | Coven | KiboshHeriot | Envy | Insurgent | xEDENISGONEx | Reclaimed | Drug Church | Giver | Void of Vision | Bloom Dream | Mentions bonus

 

Better Lovers – Highly Irresponsible
Metalcore dissonant / Metal alternatif – USA (Sharptone)

Rappelez-vous, il y a un peu plus d’un an, je concluais ma chronique du premier EP de Better Lovers par ces mots : « Assurément un des EP de l'année, mais, pour ma part, je garde des réserves et attends l'album pour considérer la pertinence du projet et juger s'il s'agit d'une curieuse itération ou d'une véritable nouvelle pierre dans l'exploration sonore des compères de Buffalo. »

Et bien il semblerait que ce soit la deuxième option. Pourtant, j’étais loin d’être acquis à la cause du groupe. Pour le contexte, Better Lovers n’est ni plus ni moins que le rebranding cinq étoiles de Every Time I Die, avec la quasi intégralité de ses musiciens, mais avec Greg Puciato (The Dillinger Escape Plan) au chant et Will Putney (Fit for an Autopsy, END) à la deuxième guitare. Après la séparation dramatique avec l’ancien chanteur Keith Buckley, Better Lovers prend forme et livre un premier EP efficace mais qui me laisse un goût inconfortable de groupe qui ne sait pas encore ce qu’il est.

Mais c’est bon, Better Lovers a stabilisé sa recette : un metalcore dissonant toujours accompagné de ses réflexes sudistes, pas tant dirigé vers la bagarre mais davantage vers des tubes bariolés et chaotiques. Greg Puciato trouve enfin sa marque en arrêtant d’émuler un Keith Buckley en plus nasillard, mais en alternant entre son chant saturé grinçant et un chant alternatif qui est l’exact juste milieu entre Mastodon et Alice in Chains (écoutez « At All Times » ou « Future Myopia », c’est absolument flagrant). Est-ce que ça me fait aimer davantage le projet ? Pas du tout, mais au moins il a une identité forte.

Et puis il faut bien concéder qu’avec Highly Irresponsible, Better Lovers propose 35 minutes généreuses, dynamiques et dotées d’un groove que bon nombre de mathcore ont oublié (« Delivers Us From Life »). La réinvention est réussie et sait conjuguer la frontalité du metalcore, les refrains fédérateurs du metal alternatif, tout en gardant l’urgence du mathcore en toile de fond. Et ça s’applaudit.

De l’autre côté du drama, Keith Buckley a aussi sorti le premier album de son nouveau projetMany Eyes. Hasard de calendrier ou bravade assumée, c’est en tout cas agréable de réentendre sa voix. Malheureusement les compositions, assurées par les frères Bellmore (dont le plus jeune est le batteur historique de Toxic Holocaust) ne suivent pas et s’étalent, désarticulées et sans inventivité (exception faite de l’enchaînement « Harbringer » / « Speechless » qui m’a eu, j’en conviens). Moralité de l’histoire pour moi : ETID n’aurait jamais dû splitter.

 

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Kublai Khan – Exhibition of Prowess
Metalcore / Groove metal – USA (Rise Records)

Créé en 2009, Kublai Khan a mis plus de temps que certains de ses comparses mais est devenu un incontournable de la scène, représentant son versant le plus sudiste brut de décoffrage. La recette des Texans vise à conjuguer à un metalcore simpliste à breakdowns des influences groove metal. Pas exactement la recette de la pierre philosophale, mais il faut admettre que c’est parfait pour soulever de la fonte ou se faire tatouer des monster trucks sur le bibi.

Je me moque, mais je respecte vraiment la constance du groupe dans cette voie. D’ailleurs, avec ce cinquième album, Kublai Khan pousse sa méthode dans ses derniers retranchements. Si ce n’était pas une musique aussi pesante et tapageuse, j’aurais presque envie de parler de minimalisme tant ça enchaîne religieusement chugs très mid-tempo, harmoniques artificielles et breaks. À tel point, qu’il faut admettre une sensation d’auto-pilote. Tous les singles sont concentrés sur la première moitié, tandis que la seconde patauge dans un marécage moyennement convaincant.

Pour ne rien arranger, l’album sort au milieu d’une énième position controversée de son chanteur, Matt Honeycutt. En juillet dernier, des internautes ont révélé un like posé sur un soutien trumpiste et visiblement pas intolérant aux symboles néo-nazis. Toutefois, il faut aussi le voir dans un contexte. Matt Honeycutt n’est certainement pas le Philippe Poutou texan, mais il n’est probablement pas non plus le nazi que Twitter veut qu’il soit. Ses paroles ont souvent dénoncé les inégalités et les discriminations (« No Kin » pour le racisme ou « True Fear » pour les violences policières), mais il reste un homme marqué par son environnement, avec un élitisme, un patriotisme et une forme d’individualisme pseudo-libertarien très sudistes (« Darwinism »).

Comme son chanteur, l’album n’est ni tout noir, ni tout blanc. L’intro, « Supreme Ruler », et le tube « Theory of Mind » sont des jouissifs concentrés de violence, j’aime aussi le vindicatif « Darwinism » et le featuring de Dave Peters de Throwdown, qu’on avait pas vu depuis longtemps, est bienvenu. Mais d’un autre côté, on oubliera rapidement l’hymne straight edge « X », l’apparition de Jamey Jasta n’est pas plus marquante et le final sur « Antpile 2 » n’est qu’une réécriture balourde de « Antpile » sorti sur Nomad, en 2017. Exhibition of Prowess est un album à gimmicks, avec ses forces et ses lacunes, vers lequel je ne reviendrai probablement pas, à part peut-être pour me donner l’impression d’un tour de bras plus large que la réalité.

 

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Touché Amoré – Spiral in a Straighth Line
Post-hardcore – USA (Rise Records)

La sortie d’un album de Touché Amoré est toujours un événement, le quintet étant devenu la tête d’affiche du post-hardcore émotif à l’international. La sortie de Lament en 2020 avait satisfait les fans sans pour autant atteindre le niveau de son prédécesseur, le déjà culte Stage Four. Spiral in a Straight Line arrive quatre ans plus tard, sans qu’on sache bien quelle direction le groupe allait emprunter.

L’album lance la cadence avec l’entêtant « Nobody’s », un morceau fort qui entame une très bonne première moitié. Un autre constat d’emblée est que Jeremy Bolm, en plus de son aisance d’écriture habituelle, est au top de sa forme vocale (« Disasters »), avec une saturation absolument maîtrisée, surtout dans les transitions avec sa voix de tête. Si quelques éléments rappellent les productions passées, comme le sentiment lumineux de « Hal Ashby » réminiscent d’un « Flowers and You », ce sixième disque sait se départir de la facilité. Certes, Touché Amoré ne vient pas bouleverser sa recette et continue à faire ce qu’il sait faire, mais ces nouveaux morceaux sont aussi plus sing along que tout ce dont je me souviens du groupe récemment ; en cela probablement plus proche de Stage Four.

Malgré des morceaux plus attendus, presque fillers (« Altitude », « The Glue », « This Routine »), l’album apporte des subtilités mélodiques bienvenues comme au milieu de l’orage de « Mezzanine » ou sur « Finalist ». Le duo de guitare poursuit son approche lumineuse, définitivement loin de l’agressivité screamo des débuts. Si on sentait déjà sur Lament une volonté d’ouverture vers des instrumentations moins saturées, c’est ici à son paroxysme, notamment sur le crépusculaire « Subversion (Brand New Love) » avec Lou Barlow de Dinosaur Jr. et Sebadoh

Un autre featuring figure sur le dernier morceau du disque, le touchant et doux-amer « Goodbye for Now », avec nulle autre que Julien Baker (Boygenius). Les fans ne seront pas surpris-es, car Julien faisait déjà des choeurs sur Lament et apparaissait aussi sur le morceau final de Stage Four, « Skyscraper ». Une conclusion très fine, à la poésie modeste et qui fait honneur aux plus de 25 ans de carrière de Touché Amoré. Je disais de Lament que c’était un disque adolescent, ce n’est assurément pas le cas pour Spiral in a Straight Line qui propose une vision plus posée, avec la fatigue tranquille des émotions passées et toute l’habitude des sourires qui succèdent aux larmes.

 

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Coven – Après l'orage
Screamo – France (Out of Thunes et 12 autres labels...)

Dans l’épisode d’aujourd’hui de « Les capacités en comm des groupes de screamo français sont inversement proportionnelles à leur talent musical », je vous (re)présente Coven. Déjà, au rayon des idées de merde, je suis navré, mais appeler son groupe Coven en 2020, ça se pose là. Pourtant ce que fait le groupe bourguignon est six coudées au-dessus de la mêlée, comme je vous le disais déjà sur le premier EP, puis sur le deuxième, sortis aux deux extrêmes de l’année 2021.

Inspiré par la tradition française de screamo de Sed Non Satiata et Amanda Woodward (le break de fin de « Nœud coulant »), Coven va aussi puiser un peu partout des couleurs et des nuances, dans le post-rock évidemment mais aussi dans le nouveau hardcore émotif étatsunien à la State Faults ou Frail Hands. C’est inspiré, voire progressif par instants, ça ne se laisse jamais enterrer dans un plan et cherche constamment le renouvellement. C’est du screamo prodige qui n’a pas besoin de le crier sur tous les toits, mais dont j’ai beaucoup de mal à ne pas faire l’éloge.

Majestueux dans ses crescendos et incisif dans ses déflagrations, Coven semble ne rien rater. Je citerai pêle-mêle l’incroyable riff grondant de « Sous emprise », le travail assidu de la basse qui souligne avec pudeur puis tempête toutes les autres bonnes idées du disque (« Nouer les larmes »), ou encore l’intervention surprise mais éclatante de Yoshi, guitariste d’Envy, sur « Nos fantômes ». Je retrouve aussi sur ce troisième joyau cette sensation que je n’ai avec aucun autre groupe, celle que le temps passe plus lentement mais d’une bonne manière. J’écoutais le disque et je reviens vers la tracklist, pensant avoir dépassé la moitié, pour voir que je ne suis qu’à la fin du deuxième morceau, le flamboyant et homérique « Lâcher la garde ».

Je pourrais digresser encore longtemps, mais écoutez Coven, c’est la grande noblesse de son style.

 

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Kibosh – Your Favorite Curse
Metalcore – France (Frozen Records)

Quand Frozen m’a dit « t’es pas prêt, on a maintenant un Knocked Loose ou un Vein.fm français », je ne les ai pas crus (je modifie leurs propos, mais je suis sûr qu’ils vont me pardonner). Puis j’ai vu Kibosh dans un squat à Vitry-sur-Seine et je me suis dit « ah oui quand même ». Après cette prose digne d’un Baudelaire des grandes heures, laissez-moi vous présenter Kibosh.

Formé à Bordeaux en 2021, le groupe a sorti un premier EP en autoproduction au beau milieu de 2023 et n’a pas attendu longtemps avant de fournir le deuxième assaut. Repéré par les douces âmes de Frozen, Kibosh publie donc un premier LP, petit pavé de 18 minutes, envoyé dans les fenêtres de France et de Navarre. La comparaison avec Knocked Loose tient la route : c’est direct, dissonant, avec beaucoup de breaks, une batterie martyrisée et un duo de guitare riffs/licks stridents.

Kibosh doit aussi beaucoup à la présence de Chris, dont le chant écorché et les variations frénétiques soulignent le chaos instrumental, même si elle est un peu moins nette en chant clair (« Your Shape »). Un chanteur qui sait s’entourer car sur « Philosophy of a Knife », il invite avec fracas son comparse montpelliérain Josef, de Citrus. Et même lorsque le tempo baisse (« Your Shape »), ce n’est que pour mieux déployer toute la hargne grinçante dont le quintet est capable. Dites-vous que Chris laisse même échapper un « blergh » irréprochable sur le break tonitruant de « Craving the Hunger ». En somme, un disque gourmand, régressif et expéditif qui se finit comme il commence, avec un break et un poing dans les molaires.

 

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Heriot – Devoured by the Mouth of Hell
Metalcore sludge – Angleterre (Century Media)

Après avoir fait languir ses fans pendant deux ans à grands coups de singles, Heriot a posé les pieds dans le plat avec son premier EP en 2022 (pas vraiment le premier, mais Heriot renie ses publications précédentes, de toute façon confidentielles). Un huit titres fascinant et hanté dans un style tout à fait unique, mais qui peinait souvent à bien enchaîner ses parties et qui, de fait, paraissait parfois décousu.

L’enjeu de ce premier album était donc de mieux agencer les parties metalcore sludgy et les respirations éthérées sans casser la dynamique du disque. D’entrée de jeu, « Foul Void » se fait rampant, éructant, puis envoûtant, en synthétisant les couleurs d’Heriot et en annonçant la suite du menu. La sensibilité éthérée avec le chant clair mystique de Debbie Gough demeure avec des morceaux comme « Lashed », « Visage » ou « Opaline ». Sur ce dernier, particulièrement marquant, le groupe tient une ligne plus post-metal/doomgaze, tout en subtilité avec un excellent riff aux accents sudistes en milieu de morceau (« Sentenced to the Blade » a aussi une intro très Pantera). Du reste, le metalcore d'Heriot est toujours aussi texturé et vicelard, avec une alternance entre le chant de petit démon féminin et le chant guttural masculin, ainsi que des hymnes à la bagarre comme le titanesque final sur « Mourn » et son impardonnable break.

Mais même si l’album est moins parasité par ses cassures d’ambiance et de rythme, il souffre encore d’une certaine inconstance, avec des transitions trop abruptes (entre les deux premiers titres) ou des morceaux à la construction hiératique (« Solvent Gaze »). Plutôt que de mêler vraiment les univers, ils se superposent avec peu de subtilité la plupart du temps. L’album n’en est pas raté pour autant, Heriot ayant aussi l’excuse d’être à peu près les seuls-es dans leur registre (citons quand même Leeched et Chaver dans un style connexe). C’est donc un LP dans la continuité de l'EP, un peu plus affiné, avec des influences indus mieux digérées, beaucoup de qualités, mais des soucis de concentration évidents.

 

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Envy – Eunoia
Screamo / Post-rock – Japon (Pelagic)

Envy a bientôt 30 ans, ce qui, vous le savez, est absolument rarissime dans le monde du screamo, davantage habitué à imploser après deux EPs et moins de quatre ans. Le groupe a parcouru un chemin formidable, du hardcore émotif de ses tout débuts au succès international de All the Footprints et A Dead Sinking Story jusqu’au retour en grâce avec The Fallen Crimson en 2020. Toutefois, je nourrissais quelques inquiétudes à l’arrivée de ce nouvel album, notamment dues à la déception qu’a été l’EP Seimei en 2022, qui abandonnait les hurlements au profit d’une musique post- plus générique.

Le single « Beyond the Raindrops » renforçait cette crainte, avec un post-rock certes élégant mais que je préférerais écouter chez d’autres groupes qu’Envy. Heureusement, le deuxième single, « Whiteout » a pris le total contrepied avec une rythmique saccadée et le retour du chant hurlé. Le souci dans ce disque c’est que sa tracklist alterne entre morceaux apaisés et morceaux plus rugueux mais sur une très faible durée (c’est l’album le plus court du groupe), ce qui nuit sérieusement à l’immersion et à l’impact des titres. Les interludes « Piecemeal » et « Lingering Light » sont dans la poursuite de l’EP Seimei, tandis que « The Night and the Void » ou « January’s Dusk » cherchent plutôt du côté lumineux de The Fallen Crimson.

Le disque reste solide, avec des morceaux puissants comme « Lingering Echoes » ou l’impressionant « Imagination and Creation », qui apporte de la voix claire, mais je ne peux m’empêcher de ressentir une impression de pilote automatique sur de nombreux segments. Malgré quelques innovations éparses qui donnent un côté disparate, Envy fait ce qu’il sait faire, notamment dans le chant de Tetsuya Fukagawa. Ce n’est pas le moins bon album des Japonais (dans la période récente, ce titre revient probablement au longuet Recitation), mais bien qu’il offre des qualités certaines, des idées et de l’intensité, je doute qu’il parvienne à rester dans les mémoires du groupe et du genre.

 

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Insurgent – Against Sorrow and World's Misfortune
Metalcore / Hardcore – France (Useless Pride)

Pour cette entrée, je vais vous faire entrer dans les coulisses de la Bagarre. Le format va sur ses cinq ans, avec plus de 300 albums chroniqués, et il a eu la chance de trouver son public (merci constant pour ça). Comme mon e-mail est indiqué sur mon profil, je reçois donc pas mal de propositions de chroniques. Et pour être tout à fait honnête, je peine souvent à y trouver mon compte. Ça ne veut pas dire que tout est mauvais, loin de là, mais qu’une sélection implique des choix et que ces sorties peinent parfois à faire la différence. Mais parfois, je me fais prendre par surprise. Ça a été le cas pour Coven, chroniqué à nouveau sur cet article, mais aussi tout récemment pour Insurgent.

Groupe de hardcore métallique du nord de la France, Insurgent vient de publier son premier EP de façon encore assez confidentielle. Avec sept titres, il est généreux et s’avère particulièrement dense à l’écoute. Car ce Against Sorrow and World's Misfortune m’apparaît comme un pot-pourri (dans le meilleur sens du terme) de tout ce qui s’est fait d’intéressant dans le hardcore ces 20 dernières années. Sur le premier morceau, « Betrayer to the People », des petites dissonances accompagnent le riff principal, comme l’ont popularisé Knocked Loose ou Code Orange. « Fair Fight / Necessary Violence » est marqué par des influences positive hardcore du milieu des années 2000. « This Burden We Carry Together » me rappelle le soin et les ambiances de Sorcerer, « Seize to Share » apporte le quota bagarre et on décèle sur « A Legacy We All Give » ou « Never Ending » des instincts mélodiques et des touches émotives.

On pourrait croire au mélange indigeste, mais tout est fait avec finesse et grande révérence à ce qui l’a précédé. Insurgent, plus qu’une synthèse, est une lettre d’amour au hardcore dans sa pluralité et son côté prodigue. Le disque est aussi traversé par des samples du film de Chaplin Un roi à New York, critique sociale de l’Amérique maccarthyste, témoins de l’engagement du groupe. Pour un premier EP, c’est un véritable tour de force que les Nordistes nous proposent et vous auriez bien tort d’ignorer cette sortie riche et exigeante.

 

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xEDENISGONEx – Pain
Edge metal – ??? (Bound by Modern Age)

Chez le label allemand Bound by Modern Age on trouve de tout, du solide au moins bon, mais souvent dans la gamme straight edge courroucé de troisième division. Amis-es straight edge je vous aime, mais ne croyons pas que tout ce qui est produit dans le genre vaut de l’or, loin de là. Mais parfois on trouve une pépite incandescente, et cette fois c’est xEDENISGONEx. Derrière ce nom qui ne laisse aucun doute se cache un quatuor d’origine inconnue qui a livré en septembre son troisième long format.

xEDENISGONEx coche toutes les cases du edge metal : à la frontière la plus poreuse entre le metalcore et le metal extrême, il aborde des thématiques sombres et straight edge, et adopte des riffs agressifs et souvent épiques tout en ne se refusant jamais les breaks les plus terrassants. Le disque commence donc par un intro menaçante au piano avant de décrocher le riff le plus méchant et incisif en tremolo picking avec « The Life of Shame ».

Le morceau donne le ton de l’album : un formidable effort qui comble le fossé entre metalcore originel et black metal. À chaque réécoute, j’étais subjugué par le talent du groupe à tenir cet équilibre entre les deux mondes, tout en ajoutant des influences copieuses de black mélo d’un côté (« My Plague From Bottomless Regrets »), des breaks sordides de l'autre (« Buried in the Darkest Past ») et même des accents mélodeath à la Heaven Shall Burn (« Massacre »). La production est ample et sert à merveille les riffs incisifs (« Havens Died »), le chant possédé et les mélodies funestes qui parsèment le disque. Ça ne sonne comme rien du tout dans les cinq dernières années et en plus d’être le metalcore le plus metal que j’aie entendu depuis très longtemps, c’est aussi parmi le edge metal le plus réussi.

 

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Reclaimed – Dead End
Metalcore – France (auto-production)

Le Paris hardcore est bouillant et continue de prouver qu’il a retrouvé un âge d’or. Parmi la foule de projets qui ont éclos ces deux dernières années, je retiens notamment Reclaimed qui fait dans le hardcore métallique, influencé par le thrash et les grosses batailles. Formé par des clients de longue date du hardcore parisien (Fabien, le chanteur, était aussi dans le chouette groupe de sludge bordelais Ssanahtes), Reclaimed veut aussi reconnecter avec l’épique du hardcore, comme Fabien me le disait à l’occasion du Paris Hardcore Fest.

Avec ce premier EP, on sent la maturité et la patience d’attendre que les morceaux soient suffisamment polis pour être enfin publiés. Le duo de guitares m’évoque autant une urgence à la Integrity ou Spiritworld que les cavalcades de Power Trip, Iron Age ou plus récemment Cold Steel. Les breaks ne sont pas en reste, comme celui intensément groovy de « Spark » ou la déflagration de « Nakba ». Le chant habité, menaçant et expressif de Fabien, donne également de l’identité au groupe, comme avec son « How long will we wait ? » sur le très Earth Crisis « Union ». 

Le cinq-titres est aussi profondément militant avec des titres évocateurs comme « Strike » ou « Nakba ». Ce dernier revient sur l’exode forcé des Palestiniens-nes en 1948 de leur territoire, formant aujourd’hui Israël. « Union » aborde l’union syndicale et la lutte des classes et « Spark » la destitution des monarchies et la libération du joug féodal. Des thématiques fortes, pas souvent abordées de cette manière par le genre et qui renforcent le sentiment que Reclaimed a clairement quelque chose à apporter au magma hardcore francilien actuel.

 

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Drug Church – Prude
Post-hardcore / Rock – Japon (Pelagic)

J’ai déjà eu l’occasion de vous détailler, notamment avec la sortie de leur précédent LP Hygiene, pourquoi je trouve Drug Church très sympathique, mais que chaque album me passe à côté. C’est pour moi surtout un groupe de live, dont l’énergie communicative permet d’oublier que chaque morceau ressemble au précédent et à ceux du disque d'avant.

D’autant plus que je commence chaque écoute avec enthousiasme et que sur ce Prude, le morceau introductif « Mad Care » est honnêtement chouette, gorgé de soleil et de l’irrévérence propre au groupe. Conformément à ce qu’il annonce depuis la sortie du deuxième album, Hit Your Head, en 2015, Drug Church augmente progressivement la dose de rock alternatif dans sa recette post-hardcore. C’est flagrant sur le solide single « Myopic » ou sur le morceau qui suit, « Hey Listen ». Ça marche sur le premier, mais beaucoup moins sur le second, assez pâle et peu marquant. Passée l’agréable surprise des deux premiers morceaux, j’ai du mal à trouver de quoi me rassasier, avec une deuxième moitié aux morceaux très interchangeables. L’autre single, « Demolition Man », est plaisant mais finit en queue de poisson, un problème qu’on retrouve sur plusieurs morceaux qui ne savent pas finir autrement que par un fade out abrupt et amateur (« Chow », « Business Ethics »). Malgré cela, les New-Yorkais maintiennent cette jovialité déconcertante.

Et d’un côté, c’est ça aussi la musique de Drug Church, du rock instantané, généreux et qui s’en fiche pas mal de réinventer la roue. Comme le dit de façon plus éloquente le chanteur Patrick Kindlon : « L’objectif est de sortir des bons albums qui nous ressemblent, on n’essaie pas de faire un Ok Computer ».

 

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Giver – The Future Holds Nothing but Confrontation
Post-hardcore / Hardcore mélodique – Allemagne (End Hits Records)

J’avais repéré les Allemands de Giver en 2020, à la sortie de leur deuxième album, Sculpture of Violence. C’était un disque intéressant de hardcore mélodique qui rendait partiellement hommage à la scène américaine des Verse, Ruiner et autres Life Long Tragedy.

Quatre ans plus tard, le groupe annonce un changement de direction vers une musique plus personnelle. Chris, le bassiste, a déclaré (en allemand) « le hardcore a toujours une certaine demi-vie et il est clair qu’on voulait se dépasser, amener des nouvelles influences et des nouveaux éléments esthétiques ». En l’occurrence, ce nouveau disque va clairement chercher du côté du post-hardcore mais emprunte aussi au black metal une certaine largesse et des blast beats (« The Sun and How It Changes » ou « Keeping You Alive »). Le chanteur Robert assume aussi de temps en temps sa « voix post-punk », trainante et théâtrale comme chez Daughters ou dans l’école BlackMidi en Angleterre. Au milieu du hardcore originel qui constitue toujours le socle de la musique de Giver, il y a aussi cette tendance très allemande à l’emphase et qui moi me rappelle les débuts de Thrice.

Je ne m’attendais clairement pas à un album aussi riche - écoutez « Gravitational Pull » pour vous donner une idée de cette pluralité. Je ne suis pas fan de tout ce qui est proposé (le brouillon « Heavengoing »), mais j’apprécie la générosité de la démarche et sa créativité. Le groupe est aussi animé d’une flamme politique en affirmant sur leur Bandcamp, comme un manifeste : « L’espoir n’est pas une posture mais se manifeste à travers une lutte constante et une confrontation au monde ». Sur « Nieder », la conclusion se fait sur « Nieder mit der AFD und CDU » qu’on peut traduire par « à bas l’AFD et le CDU », soit respectivement le parti d’extrême-droite et de centre-droite historiques en Allemagne. Le disque arrive en fin de sélection, mais ne l’ignorez pas pour autant, vous pourriez passer à côté d’un crush.

 

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Void of Vision – What I'll Leave Behind
Metalcore alternatif – Australie (UNFD)

Void of Vision est un groupe un peu curieux. Né du metalcore post-scene, avec des influences djent un peu lourdingues, le groupe a commencé une mue avec l’album Hyperdaze en 2019 en intégrant à leur metalcore moderne des sensibilités alternatives, puis des touches industrielles et électroniques avec leur intéressante saga Chronicles, sortie en 2021 et composée de trois EP.

Autant dire que les Australiens ne représentent pas forcément un modèle d’originalité. Pensez à une rencontre survitaminée entre Northlane et Norma Jean. Cependant, par le mordant des compositions, l’efficacité des breaks et la voix possédée de Jack Bergin, Void of Vision s’est taillé une place dans la scène internationale. 

Ce nouvel album, What I'll Leave Behind, revient majoritairement sur les problèmes de santé de son chanteur qui a fait une hémorragie cérébrale l’année dernière. Avec tous les tics du metalcore moderne, depuis ses refrains alternatifs susurrés à ses breaks à la syncope djent, aux notes électroniques datées rappelant le nu-metal, Void of Vision semble parfois engoncé dans une formule, comme sur la très sage première moitié de « Gamma Knife » ou le moyen et générique « Neurotic », sur lequel plane l’ombre d’un Code Orange des mauvais jours. Mais le groupe sait aussi parfois en tirer tout le meilleur comme sur « Oblivion », « Midnight Sweat » ou le formidable « Blood for Blood ». 

Je garde tout de même l’impression que les libertés prises sur la saga Chronicles auraient gagné à être mieux incorporées dans ce nouvel opus, plutôt que de lisser les influences afin de garder une structure conventionnelle pour plaire aux fans de Motionless in White et BMTH (« Empty ») - qu’on embrasse bien évidemment, mais qui méritent aussi d’écouter des choses nouvelles.

 

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Bloom Dream – It Didn't Have to Be This Way
Post-hardcore – USA (Zegema Beach)

Le screamo est souvent engoncé dans ses propres codes, c'est donc un bonheur de le voir s'émanciper davantage et de jouer avec les genres connexes. Comme Dreamwell avant lui, Bloom Dream livre un post-hardcore brillant, émotif et noisy, avec des idées de riff partout, des couleurs variées et beaucoup beaucoup d’intensité.

Je n’ai même pas envie de vous en dévoiler trop, car It Didn't Have To Be This Way est un voyage dans les terrains les plus fascinants du genre, que le groupe floridien manœuvre à merveille, jusqu’à l’incroyable conclusion sur « Violence ». La pesanteur, la dissonance et l’amertume sont au service d’un univers musical foisonnant, cohérent et abouti. Alors livrez-vous à l’aventure, ça dure 28 minutes, c’est un premier disque et c’est prodigieux.

 

 

Parce qu'il semblerait que chroniquer 14 albums n'est pas suffisant, voici suffisamment de rab' pour régler les questions de malnutrition dans toute la scène :

  • Candy a sorti un album en juin donc je vais pas pour rebattre les oreilles pour leur nouvel EP mais sachez qu’il mérite. Les Américains s’émancipent de la tutelle Relapse pour revenir chez Triple B et livrent un EP jouissif, débridé, qui fourmille d’idées, au phrasé hargneux (« Flipping »), aux riffs démoniaques (« Chrome Country » doux jésus) et à l’énergie industrielle coriace.

  • Fierté française : en provenance de la capitale, Bitume vient de sortir un premier deux titres dans un registre à mi-chemin entre hardcore revêche, tradition punk française et héritage grunge. C’est frais et c’est local, donc c’est probablement conseillé par Anne Hidalgo. C’est pas tous les jours qu’on peut écouter des bons breakdowns sur des titres chantés en français, alors calez une serviette dans votre col et régalez-vous.

  • Deux des plus beaux noms du screamo queer et dissonant actuel, Dreamwell et Death Goals, viennent de sortir un split de toute beauté. Le niveau est incroyablement haut et même si c’est la partie Dreamwell qui rafle la mise (« Music to Take Teeth by » est absolument dingue), les Britanniques de Death Goals fournissent un très bel effort avec un screamo anxieux et criard.

  • Je trouve la powerviolence de Regional Justice Center creuse et assez vaine et le dernier album ne déroge pas à la règle. C’est solidement exécuté, mais c’est quasiment impossible de se concentrer et d’en garder quelque chose tant l’écoute se fait sans temps forts et tant le mixage est mou. Il y a un interlude rap, « Curse », mais lui aussi manque de personnalité.

  • Il y a du bon et du moins bon dans le nouveau 156/Silence. Typique d’un metalcore post-scene qui s’inspire très clairement de Norma Jean ou The Devil Wears Prada, il incorpore également les tendances actuelles avec des sonorités nu-metal et des refrains alternatifs. J’aime notamment le single « Product Placement » et la bagarre qu’est « Unreasonable Doubt ». Générique mais efficace.

  • Vous allez croire que je déteste la powerviolence mais ce n’est pas de ma faute si c’est difficile d’en faire de la bonne. Ce qui n’est pas le cas du dernier Collapsed Skull, side-project de (ex-)membres de Full of Hell. Très influencé par le hip hop, il n’en est pas moins une longue élucubration générique.

  • Que ma mafia impertinente soit rassurée, l’internationalisme sassy se porte bien comme le prouve le nouvel EP des Indonésiens-nes de Hallam Foe. Un six-titres fourre-tout complètement déchaîné, avec des bass drops, des références abondantes, un passage rappé, une rythmique reggae, des claps et un riff chipé à Metallica. Pour les fans de Hayworth, SYSC ou XclocktowerX.

  • Avec leur précédente sortie, les Anglais de Temple Guard faisaient revivre le edge metal à la xRepentancex. Mais avec ce nouvel EP, ils s’émancipent et ajoutent beaucoup de death metal. Le disque est donc beaucoup plus métallique, insiste moins sur les samples et le discours écoterroriste et perd aussi en singularité et en efficacité.

  • Si vous aimez le hardcore à hymnes des années 2000 (vous avez bien raison) et relancé par Wreckage, Speedway ou Time and Pressure, ruez-vous sur le split entre Fading Signal et Miracle. Les premiers font dans le hardcore teinté mélodique, très inspiré et les seconds mélangent ce style au metalcore de Shai Hulud. J’ai une légère préférence pour la partie Fading Signal, mais Miracle se débrouille très très bien également.

  • Chez DAZE pour une fois, pas grand chose à se mettre sous la dent. On retiendra surtout le premier album de It’s All Good, hardcore japonais à la Suburban Scum, bien réalisé mais terriblement classique (mais dont on gardera quand même le très fédérateur « Not Even God Can Judge Us »). On oubliera en revanche le nouvel EP de Otwofive, beatdown indonésien ultra générique avec un chant désagréable et mal maîtrisé. Même constat pour le premier LP de Torena, metalcore beatdown californien que j’ai déjà l’impression d’avoir écouté 100 fois.

  • Allez c'est bon, plus rien ne m'accroche dans la musique de Fit for an Autopsy. Je trouvais toujours quelque chose sur les derniers, mon préféré étant leur album de rupture, The Great Collapse, mais là c'est d'une platitude académique. Je n'y trouve pas non plus de faute de goût, mais aucun temps fort non plus (allez à la rigueur, les breaks bêtas de « Weaker Wolves »).

  • Scarab vient de sortir un nouveau deux titres promo. Le supergroupe composé de Tyler Mullen (Gridiron, ex-Year of the Knife) et de membres d’Envision, Devil Master, Simulakra et Out for Justice, appuie davantage sur le côté hardcore sourdingue, avec un côté quasiment powerviolence, contrairement au metalcore du précédent EP. C’est bruyant et très méchant.

  • Dans les espoirs du screamo US, un beau split vient réunir Palefade et Othiel. Les deux sides se valent avec un screamo old school, intense et puissant. Niveau originalité, ce sera surtout du côté Palefade avec un feeling blackgaze/shoegaze intéressant dans l’approche des guitares. Pour Othiel, c’est plus classique mais extrêmement bien exécuté.

  • Toujours rayon screamo, Crowning et Oaktails s’apprêtent à partir en tournée au Japon ensemble donc sortent un split pour marquer l’occasion. Les Américains livrent deux morceaux efficaces mais classiques, tandis que les Japonais d’Oaktails développent un screamo intelligent et foisonnant, logiquement très influencé par Envy.

  • Je le mets en dernier car tout le monde s’en fout du white belt (grindcore + mathcore + sass), mais le dernier EP de Gxllium est amusant dans le style gros chaos bruitiste avec des blagues et des drops de basse (« Chick Corea »). Ça manque de constance mais ça ne dure que 11 minutes donc vos plaintes sont irrecevables.