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Raton et la bagarre #3

samedi 4 avril 2020
Raton

Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.

Bienvenue dans le troisième épisode de Raton et la bagarre, la chronique qui revient sur les récentes sorties dans les scènes hardcore !

Février et mars n'ont pas vraiment tranché avec le calme de janvier que je vous évoquais dans le précédent épisode. La sélection a donc, encore une fois, été quelque peu ardue, le mois de mars n'ayant vraiment pas aidé. Je reste quand même assez fier des sorties chroniquées ci-dessous qui couvrent une vaste palette : une grosse dose de metalcore avec trois albums (dont certains flirtent avec l'indus ou l'alternatif), du screamo voire de l'emoviolence, du grindcore, du black mathcore (!) et en guise de petite friandise un disque de digital hardcore. Un programme riche en dissonance et en sourcils froncés.

 

Loathe – I Let It In and It Took Everything
Metalcore / Metal alternatif – Royaume-Uni (Sharptone)

Ne serait-on pas en train d'assister à un retour discret des genres ayant fait les grandes heures du metal commercial à la fin des années 90 et au début des années 2000 - metal alternatif et nu metal en tête ? Slipknot et Korn ont fait des retours (plus ou moins) salués, Vein a surpris tout le monde en incorporant du nu metal dans son metalcore nerveux et dans le mathcore Car Bomb et les Callous Daoboys n'ont jamais caché leurs influences.

Pour 2020, il semblerait que ce soit Loathe qui remporte la palme. Il est difficile de croire que ce disque est sorti cette année tant tout y est réuni pour parler aux amateurs et amatrices du metal d'il y a 20 ans : riffs et rythmiques clairement empruntés à Deftones, Slipknot et consorts, lourds codes typiques du metalcore de la même époque (breaks sauvages, dissonance récurrente, passages tough choraux), et influences dans le son et les tessitures rappelant les scènes djent et shoegaze (!).

Le disque est extrêmement varié, mais au point où ça en devient probablement trop pour moi, qui peine à absorber ces styles. Chaque morceau explore une direction différente, quitte à ce que le disque soit véritablement hétérogène. Les styles lourdement référencés ne sont pas ceux de ma jeunesse donc je peine à m'identifier mais nul doute que celles et ceux ayant connu le temps béni du nu et de l'alternatif trouveront largement de quoi se régaler sur cet opus.

 

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Envy – The Fallen Crimson
Screamo / Post-rock – Japon (Pelagic Records)

Horns Up vous propose déjà depuis plusieurs semaines une chronique écrite de main de maître par votre serviteur. Près de deux mois après sa sortie, il paraît évident que "The Fallen Crimson" est une sortie majeure de l'année et le retour d'un Envy en grande forme.

Pour celles et ceux ayant déjà lu la critique vous pouvez passer à l'album suivant, pour les autres voici quelques passages choisis :

"Il y a chez Envy une fatalité désarçonnante. La résignation face à l’immensément grand et à l’infiniment mortel confère à la musique du groupe un aspect fragile et suspendu. Les Japonais arrêtent le temps pour mieux pleurer la vitesse de son cours. À ce titre, il n’y a pas vraiment de morceaux, de séquences, mais plutôt une œuvre dense telle une marée ; avec ses déferlements de rage, ses reflux en spoken word et son écume tranquille constituée d’arpèges scintillants."

"Je ne saurais vous dire ce que « The Fallen Crimson » propose par rapport aux précédents efforts du groupe. Peu importe si celui-ci est « plus X que le précédent » ou « moins Y qu’à leurs débuts ». Il s’agit simplement pour moi d’une nouvelle pierre sur le chemin de la mélancolie que Envy, tel un Petit Poucet de la musique, sème inlassablement sur son passage ; un témoignage de la beauté qui fane, de la mort qui soulage, des cieux impassibles et de la terre qui craquèle."

 

 

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44.caliberloveletter – A Hedgehog's Dilemma
Emoviolence – Suède (See You Next Summer!)

Quelque peu éclipsée par les scènes française et italienne, la scène suédoise est souvent oubliée en parlant du screamo européen. Pourtant, on connaît leur appétence pour le hardcore et notamment leur fantastique réappropriation du D-Beat/Crust. Pour le hardcore émotif, même combat, ce ne sont pas les excellents groupes qui manquent : Suis la lune, Suffocate for Fuck Sake et Vi som älskade varandra så mycket ("Nous qui nous aimions tant") pour les principaux.

44.caliberloveletter, dont le nom est tiré d'un morceau d'Alexisonfire, ne va pourtant pas poursuivre le chemin de ses compatriotes ci-dessus, et n'incorpore pas de post-rock à sa recette (seul point commun des 3 groupes ci-dessus). À l'inverse, iels choisissent le prolongement le plus brutal et chaotique du screamo avec l'emoviolence (comme en témoigne le morceau fort bien nommé "xEMOVIOLENCE CREWx"). Inévitablement, le groupe rappelle les éruptions écorchées d'Orchid ou de Jeromes Dream (que l'on retrouve également dans les riffs et dans le phrasé syncopé), mais sans oublier de construire sa propre ambiance incendiaire.

C'est notamment le cas en insistant sur une sensibilité "bagarre", comme dans le titre évoqué plus haut et qui contient un break frauduleux délicieux. D'ailleurs, la chanteuse a un petit cheveu sur la langue qui donne un côté réel et authentique à leur musique et ce n'est pas pour me déplaire.
Il s'agit là de leur premier album (13 minutes seulement), après une unique démo en 2018, et tout porte à croire que la suite sera très enthousiasmante.

 

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Great American Ghost – Power Through Terror
Metalcore – États-Unis (auto-production)

La promo annonce la couleur en disant que le groupe "se hisse au niveau de ses contemporains Knocked Loose, Vein, Code Orange et Harm's Way". Bon, ils nous disent aussi que Great American Ghost est le groupe le plus énervé de tous les temps, donc on ne va pas non plus les croire aveuglément.
Les Américains empruntent clairement les côtés dissonants et le phrasé vocal de la scène metalcore d'il y a 10 ans, mais avec une production bien plus moderne qui met nettement en valeur les basses dans les breaks, même si elle s'avère parfois un brin trop compressée.
Mais ils ne tombent pas non plus dans le pastiche facile, comme en témoigne la piste "Rivers of Blood" qui propose un metalcore nerveux confinant parfois à l'amertume black par l'usage d'un tremolo picking. On n'oublie pas non plus les breaks efficaces comme sur "Rat King" ou "Black Winter".

Même si le metalcore à tendance mélodique me paraît trop souvent racoleur et reposant sur les mêmes clichés de composition, j'admets sans peine que Great American Ghost aborde son pan mélodique avec bien plus de subtilité qu'une grande partie de la scène, comme sur le morceau final "No More", grandiloquent et efficace. En tout cas, si vous cherchez du metalcore aux refrains fédérateurs que vous pouvez mémoriser après seulement une ou deux écoutes, "Power Through Terror" saura vous plaire.

 

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Machine Girl – U-Void Synthesizer
Digital hardcore – USA (auto-production)

Comme je vous avais déjà parlé de Floral Tattoo dans le dernier épisode, je me suis dit qu'il serait intéressant de pérenniser cette habitude de parler d'un album plus éloigné des genres classiques du hardcore mais qui maintient des liens forts avec la scène. Dans ce numéro, permettez-moi donc de vous présenter Machine Girl, projet halluciné de Matthew Stephenson, accompagné depuis 2016 de Sean Kelly à la batterie. Le groupe avait sorti en 2014 un brûlot intitulé "WLFGRL" mais qui s'enracinait davantage dans la scène breakbeat hardcore (plus connu à l'extérieur de la scène l'electro hardcore sous le nom de "rave music").
Petit à petit, le groupe s'est orienté vers des influences punk et a fini par basculer dans le digital hardcore, ce genre encore trop méconnu, popularisé par Atari Teenage Riot et combinant les sons synthétiques agressifs de l'electro hardcore aux hurlements et aux guitares distordues du punk hardcore.

Même si dans ce "U-Void Synthesizer" les voix écorchées sont assez rares, l'agressivité et la violence sont omniprésentes.
À grands renforts de samples et de boîtes à rythme hardcore, Machine Girl déverse une musique torturée, schizophrénique et futuriste. La production est hallucinante (je suis encore tout retourné de "Devil Speak") et les nombreuses nappes sont superposées avec une grande maîtrise. Ça s'oriente bien plus du côté de l'electro que du punk, mais ça en conserve l'énergie et la passion pour la dissonance et le chaos.
Sur certains morceaux, comme sur le dévastateur "Fully in It", la frontière avec le cybergrind est dépassée, pour un résultat massif et formidablement agressif qui enterre bon nombre de groupes de grindcore.

Nul doute que les amateurs et amatrices de Street Sects ou de Youth Code pourront y trouver leur compte.

 

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Code Orange – Underneath
Metalcore / Metal industriel – USA (Roadrunner)

Quand j'ai découvert Code Orange, je m'y suis plongé tête baissée comme les kids qui découvrent le metal avec Slipknot. Le groupe de Pittsburgh partage avec les guignols masqués cette approche d'un style musical radical à grands renforts de mélodies et de structures ultra accessibles mais qui paraissent complexes et supérieures.

Qu'on se mette d'accord tout de suite, Code Orange n'a rien de technique ou d'érudit. Mettre des glitchs en plein milieu d'un pont ou des breaks avec des signatures rythmiques originales ne fait pas d'eux des génies.
Non, Code Orange c'est du turbo-neuneu bien efficace, qui a bien sûr le mérite d'essayer des choses et de renouveler le son metalcore, mais s'il y avait un prix Nobel de la musique, on peut être sûrs qu'ils seraient parmi les derniers considérés.

Ceci étant dit, j'assume volontiers être devenu complètement fou lors de mes premières écoutes de "Mercy", de "Real" et maintenant de "Swallowing the Rabbit Whole". Parfois, je me dis même qu'en travaillant dans la chronique musicale, je ne devrais pas aimer ce groupe, puis je lance "I Am King" et j'oublie mes envies ridicules d'entrisme.

À un moment, arrêtons de cogiter et d'intellectualiser notre musique, et balançons des gros spin kicks dans nos salons confinés. Et surtout, lisez la chronique de Mess !

 

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Serpent Column – Endless Detainment
Black metal / Mathcore – USA (
Mystískaos)

Serpent Column, groupe américain mystérieux dont la localisation précise et l'identité des membres sont inconnues, s'est fait principalement connaître avec son album de 2019, "Mirror in Darkness", pour avoir essayé de pousser le black dans ses derniers retranchements de dissonance et de chaos.

Si de nombreux groupes se sont déjà essayés au black dissonant, de Deathspell Omega à Thantifaxath, quasiment aucun ne s'était risqué à la fusion entre la froideur mortifère du black metal et l'urgence effrénée et imprévisible du mathcore. Nous citerons quand même Plebeian Grandstand dont l'influence se ressent nettement dans la musique de Serpent Column, qui prolonge néanmoins leur démarche en insistant davantage sur le mur de son.
La production dense et compressée contribue à cette atmosphère claustrophobique malsaine où le plus sombre des deux genres s'embrassent avec fracas. Si le côté mathcore était déjà présent sur l'album précédent du groupe, cet EP va au bout de la démarche et propose le mélange parfait entre les deux styles.

Le résultat est d'un jusqu'au-boutisme fascinant et d'une densité effrayante. On se rappellera particulièrement du jeu de batterie, infernal de technicité, et de passages complètement indécents comme l'introduction de "Arachnain" ou le break absolument ravageur du titre éponyme. Cet EP est une perfection dans son style et cet exercice extrêmement fructueux marquera probablement la scène.

 

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Escuela Grind – Indoctrination
Grindcore / Powerviolence – USA (auto-production)

Escuela Grind, autoqualifié de "Grind Violence", a été formé par des habitués et habituées des scènes extrêmes (grindcore, powerviolence, noisecore) d'Ithaca, dans l'État de New-York. Fait encore trop rare dans la scène, le groupe tient l'exploit d'être paritaire avec une chanteuse, une bassiste, un batteur et un guitariste ; chanteuse dont la performance, intense et sourde, est d'ailleurs irréprochable d'efficacité. 

Sur plusieurs passages, le groupe qui reste autrement plutôt dans les sphères grindcore, s'autorise régulièrement des gros riffs mid-tempo de vaurien, plus typiques de la powerviolence. On retrouve d'ailleurs les nombreux changements de tempo, les influences sludge et le chant hardcore qui caractérisent le style.

En résulte un album délicieusement old school, qui alterne entre l'hommage aux vieux groupes de grind et à la scène californienne de powerviolence (Infest, Neanderthal et compagnie), mais sans jamais tomber dans le pastiche. 
Terriblement groovy et avec des passages nerveux et bas du front assez jouissifs, le disque s'offre même la paraphe ultime typique de la scène : un morceau final de 10 minutes, bien plus lent et bruitiste, qui s'étire sournoisement jusqu'à une impeccable déflagration finale.

 

Et parce qu'un Raton et la bagarre n'est jamais complet sans son petit set de recommandations finales, vous pouvez également vous pencher sur :