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« Sometimes beginnings aren't so simple ». Cet aveu, extrait du très lunaire « Shadow of the Day », était de circonstance à la fin du siècle dernier ; la démonstration de sincérité de Linkin Park – contrastant avec un néo-metal traversé par un masculinisme sous-jacent – laissait les labels circonspects. Cela étant, les paroles suscitées pourraient aussi bien s’appliquer au livestream (déjà historique), diffusé le 5 septembre 2024 : la nervosité de Mike dès les premières lignes de chant, les larmes d’Emily sur « Waiting for the End », et ce public d’une empathie sans faille, reprenant instinctivement les refrains à l’unisson, comme pour atténuer les lacunes de cette performance. Si l’entame du From Zero World Tour fut également compliquée, en raison de l’héritage musical de feu Chester Bennington et des accusations souvent malhonnêtes dirigées contre la frontwoman de Dead Sara, cette dernière a gagné le cœur des fans, à la faveur de « The Emptiness Machine ». Un phénomène à plus de 240 millions de streams sur Spotify, ayant permis aux Californien·nes, « de recommencer à Xero ».
Fin octobre, des membres du LPU (Linkin Park Underground) ont assisté à une session d’écoute privée du huitième album à Londres. À la suite de cette expérience, les administrateurs et administratrices de l’association publièrent une chronique track-by-track de From Zero. Leurs impressions « à chaud » confirmèrent la tendance artistique de ce nouvel opus : d’une part, la systématisation des interactions vocales entre Emily et Mike, et d’autre part, le « come-back » de l’éminent DJ, Mr. Hahn, au chômage technique depuis Living Things en 2012. Pour celles et ceux qui ont manqué ce rendez-vous – privilégié, décrire ce que serait l’album s’apparentait à un exercice périlleux, tant les quatre singles sont peu représentatifs de l’ensemble. Pris individuellement, certains gimmicks offrent une rétrospective intéressante sur le début de carrière des Californien·nes, à commencer par les ponts des titres metal, construits sur le modèle de « A Place for My Head » : une instrumentation à suspense, presque cinématographique, des voix susurrées et un déferlement de rage que matérialisent des screams désordonnés. D’autres indices plus subtils suggéraient un retour à l’ère Xero/Hybrid Theory, à l’instar de la dénomination même de « Two Faced », fleurant celle d’une démo de la fin des années 1990. Ou, à force d'écoutes, au premier méfait, puisque selon les dires, l’outroduction de « Casualty » contiendrait un sample de beat de Joe, extrait du vinyle Tasty Gas Station Breaks from the Orient, utilisé lors des lives de « Papercut ».
Or, cet opus rallie l’influence de périodes moins en vogue telles que l’obscur The Hunting Party et même Post Traumatic, le quasi-journal intime de Mike Shinoda, en hommage à Chester. La diversité musicale est salutaire. Mais le problème se situe dans l’incompatibilité à faire cohabiter des références aux ambitions et productions aussi différentes. L’enchaînement de « The Emptiness Machine » et « Cut the Bridge » illustre ainsi cet impair. Le premier jouit d’un certain raffinement ; il se veut épique et pop (au sens noble du terme). Ces belles mélodies contrastent ainsi avec l’ersatz de The Hunting Party cité plus haut, aux contours de garage rock. Exécuté sans grande conviction, le morceau représente le « talon d’Achille » de cette face A, au demeurant solide. Cette volonté de recréer un contenu brut, parfois coupé par des échanges et des bavardages, dessert l’album : quelle est la DA ? Au milieu de titres jugés propres, académiques, l’on identifie des bizarreries alternatives, mixées très différemment du reste (« Cut the Bridge », « Casualty », et « IGYEIH »). Les batteries bénéficient, elles aussi, d’un traitement particulier, à savoir qu’elles sont surexposées et confinent au garage punk, à l’image du « préquel de Hybrid Theory ». Ce clin d’œil se poursuit ailleurs. Dans « Casualty », LP nous livre une contrefaçon d’Helmet. Mike Shinoda, méconnaissable, force sa voix jusqu’à la durcir, à la façon de Page Hamilton, au temps de Size Matters (« You drew the first blood/Like playin' God »).
En un temps limité (trente-et-une minutes), le groupe s’accorde des espaces pour explorer d’autres horizons. Ceux-ci occupent la seconde partie du disque. Ils suspendent ainsi le caractère grandiose dû à l’enchaînement des singles – autant de « cartouches » épuisées dès la fin du cinquième morceau. Ces expérimentations rejoignent celles aperçues sur Post Traumatic. Cette influence, déjà visible sur le plan graphique (l’artwork de « The Emptiness Machine » évoque les dessins de Mike durant la pandémie), s’étend à la musique. « Overflow » emprunte à sa vulnérabilité. Le titre offre des lignes de chant cristallines similaires à « Over Each Other », la surprise power-pop de cet album, et puis des moments suspendus, comme cette longue plage d’ambiance introductive, ou bien les guitares tordues et introspectives (grungy ?) de Brad Delson, ayant « tué le solo dans l’œuf ». Quid des dernières offrandes (« Stained », « Good Things Go ») ? Mike insuffle le hip-hop chill et conscient de ses travaux en solo pour un résultat inspiré, tendre, et sans bavures.
Malgré ses défauts, l’album ramène Linkin Park à des jours plus heureux, tout en affirmant la légitimité d’Emily au sein du groupe. Même s’il serait malvenu de juger ce From Zero avec un excès de sévérité, avouons-le : « sometimes goodbye's the only way ».
Tracklist :
- From Zero (Intro)
- The Emptiness Machine
- Cut the Bridge
- Heavy Is the Crown
- Over Each Other
- Casualty
- Overflow
- Two Faced
- Stained
- IGYEIH
- Good Things Go