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Chester Bennington portait plus que de l'admiration pour l'ex-chanteur de Soundgarden. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que son suicide se soit produit un 20 juillet - jour qui concorde avec la date anniversaire de Chris Cornell, retrouvé mort dans sa chambre d'hôtel, trois mois plus tôt. Du vivant de ces deux légendes du metal, les fans les plus attentifs auront néanmoins retenu leur émouvante reprise d'Hunger Strike lors de l'édition 2008 du Projekt Revolution (festival lancé par LP deux ans après la sortie d'Hybrid Theory), qui se fera même une place au sein de la tracklist de l'EP Songs from the Underground. Même en faisant abstraction du décès de son leader, l'année 2017 fut particulièrement difficile à vivre pour Linkin Park, entre l'enterrement de Chris Cornell le 26 mai où étaient présents Chester Bennington et le guitariste Brad Delson (qui ont interprété Hallelujah en acoustique), sans parler du rendez-vous raté avec le public du Hellfest le 9 juin ainsi que le concert du 7 juillet annulé suite à l'attentat survenu à Manchester, qui, s'il avait eu lieu, aurait été le dernier de la carrière de Chester - second chanteur de LP après Mark Wakefield. Il laisse ainsi, à des milliers - ou millions -, de fans autour du monde un bel héritage musical, composé de sept albums studio avec Linkin Park, d'un avec Dead By Sunrise, ainsi que quelques travaux de grunge, de Sean Dowdell And His Friends? et Grey Daze dans les années '90 à l'EP cinq-titres High Rise en 2013, fruit de sa collaboration avec les Stone Temple Pilots - groupe qu'il a toujours admiré.
Comme l'on pouvait s'en douter, l'essentiel de cet album-live à titre posthume est centré autour du dernier album studio du groupe One More Light, la moitié des chansons provenant de celui-ci (huit en tout). La tracklist n'a donc rien de très surprenant compte tenu de la direction musicale électro-pop que le sextet avait empruntée sur son septième opus, certains titres des débuts de Linkin Park ayant même été remaniés (Crawling, Leave Out All the Rest) pour s'adapter au registre d'un groupe, certes toujours plus créatif et audacieux, mais qui s'est globalement assagi au fil des années. Que les diques A Thousand Suns (2010) et The Hunting Party (2014) ne soient représentés à travers aucune composition de ce One More Light Live (même pas les principaux singles !) demeure assez prévisible puisque la setlist (qui est en fait une compilation de seize performances live capturées durant la tournée européenne 2017) souhaite donner l'image d'une formation aux chansons épurées et basées sur l'émotion la plus pure, dénuée de toute violence musicale (ou presque) et d'expérimentations. Quant à l'artwork en noir et blanc, à la fois classe et sobre, il reprend les tons de l'affiche qui annonçait la tenue du concert-hommage à Chester Bennington le 27 octobre dans l'amphithéâtre du Hollywood Bowl.
Si Mike Shinoda a l'air d'occuper le premier plan de la pochette, il en est tout autrement pour le contenu de l'album. Hormis sur l'engageant Good Goodbye en featuring avec Stormzy ou sur les tubes In the End, Bleed It Out et à la limite, l'intro et l'outro de Numb (que le sextet mélange avec des passages de Numb/Encore), on entend très peu sa voix, ce qui paraît assez cohérent étant donné que Linkin Park a pris le parti de ne pas s'éterniser sur les titres plus bruts d'Hybrid Theory et qu'à partir de Minutes to Midnight en 2007, l'ancien MC avait été "reclassé" en une espèce d'homme à tout faire, capable d'assurer aussi bien le chant clair et la guitare rythmique, que les claviers et la programmation (cf. la fin de Sharp Edges où Chester énumère tous les instruments que son compère sait jouer). La violence propre au néo-metal s'étant éclipsée de cet album live, on a le droit à une ré-adaptation décevante de Crawling. Les parties rap de Shinoda y sont ôtées pour laisser place à une version soft et totalement dépouillée du titre d'origine, pris d'assaut par un piano qui rend la performance plus mielleuse qu'autre chose. Tout le contraire des trente premières secondes de Leave Out All the Rest où Mike Shinoda chauffe le public avec délicatesse en chantant à la place de Chester Bennington. On notera aussi que le pauvre Brad Delson, mis à la diète question solos depuis la publication de One More Light (alors que sur la sixième sortie des Californiens, il en composait au minimum un par titre), a profité du fait que le morceau-star de Minutes to Midnight soit rallongé de quelques secondes pour ajouter sa modeste contribution : de petits solos dans le style de The Hunting Party, répartis sur toute la durée de la chanson. Ce qui change de Burn It Down qui manque cruellement de guitares et de punch, les claviers absorbant le moindre de ses riffs.
Malgré les interventions peu mémorables de Mike Shinoda et de Brad Delson (producteurs de OML), One More Light Live est un disque de qualité, que l'on ne peut pas simplement ranger dans la catégorie des "albums symboliques". Les rares screams lancés par le désormais ex-vocaliste de Linkin Park (New Divide, Bleed It Out et le cri totalement imprévisible de What I've Done à 2:43) sont à la fois parfaitement exécutés et jamais le fruit d'un quelconque hasard. Son chant clair est impeccable et sans réelles fausses notes. Par moments, comme sur Bleed It Out, on le sent très affaibli, un peu comme s'il essayait d'intérioriser tous ses sentiments, sans vraiment y arriver, ce qui donne de la puissance au disque, en plus de tous les refrains que reprennent en chœur les spectateurs. De surcroît, Chester Bennington dégage une sorte de pudeur et d'humilité sur les titres pop-rock qu'il interprète, à l'exemple de la plaintive Heavy ou de l'entraînante Sharp Edges qui a ce petit côté folk-rock qui fait toute la différence (le frontman n'ayant participé à l'écriture que de deux chansons sur les dix que comptent One More Light). Quant aux titres les plus faibles (qui, curieusement, proviennent du même album), ce n'est même pas l'interprétation de Chester qui est à remettre en question, mais bel et bien les compositions qui manquent de profondeur et d'intérêt, comme l'insupportable Battle Symphony qui relève bien plus d'un titre en solo de Bennington que d'un morceau de LP, la batterie de Rob Bourdon étant quasiment inexistante.
La grande qualité de cet album-live ne tient pas à la puissance de l'instrumentation, mais au duo voix/claviers centré autour de la personne de Chester Bennington. Selon que l'on soit client ou non des titres électropop de One More Light et des voix "robotiques" (qui sont la conséquence de ce nouveau style plus axé grand public), le choix des morceaux peut être plus ou moins critiquable. En revanche, il sera compliqué d'écouter Talking to Myself (seul titre rock du septième album) comme l'on écouterait une autre chanson de Linkin Park tant cette dernière se rapporte à un souvenir précis, puisque le vidéo-clip est sorti le jour de la mort de Chester - un 20 juillet.
Tracklist :
- Talking to Myself (5:16)
- Burn It Down (4:13)
- Battle Symphony (3:45)
- New Divide (4:30)
- Invisible (4:30)
- Nobody Can Save Me (3:59)
- One More Light (4:19)
- Crawling (3:29)
- Leave Out All the Rest (4:50)
- Good Goodbye (feat. Stormzy) (4:08)
- What I've Done (4:33)
- In the End (3:48)
- Sharp Edges (Acoustic) (4:47)
- Numb (contains excerpts from "Numb/Encore") (3:50)
- Heavy (2:58)
- Bleed It Out (4:57)