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Album

28 octobre 2024 - Rodolphe

Jerry Cantrell

I Want Blood

LabelDouble J Music
styleGrunge vampirisé
formatAlbum
paysÉtats-Unis
sortieoctobre 2024
La note de
Rodolphe
5.5/10


Rodolphe

La caution grunge du webzine.

I Want Blood. Cet appel féroce à tourner la page de Brighten, est contenu dans ces trois mots. Jerry Cantrell le défendait en interview : « Cet album, c’est du sérieux. [...] Il est hard, cela ne fait aucun doute (sic). » Une redéfinition de style théorique de bon augure, attendu les craintes inavouées des auditeurs et auditrices. En effet, beaucoup redoutaient de voir le maestro se satisfaire, à terme, d’un rock de salon, semblable aux dernières sorties « papysantes » d’Eddie Vedder. Loin de moi l’idée de déprécier le 3ᵉ opus ; seulement, celui-ci instaurait une zone de confort, explorant, avec sagesse et sobriété, les territoires du blues et de la country. Quoi qu’il en soit, le guitariste d’Alice In Chains paraît dissiper ce doute ambiant. Il y a ces initiales peintes en rouge, imitant les contours d'hameçons, et ce visage embué, presque déshumanisé. L’artiste renouerait-il avec une part de lui-même, en reformant – entre autres – le power trio de Degradation Trip, intégrant Robert Trujillo (Metallica) et Mike Bordin (Faith No More) ?

Trêve de suspense : malgré un premier single robuste, classieux, la promesse est tout sauf tenue. Jerry Cantrell semble à bout de souffle dès le deuxième morceau, souffrant d'une baisse d’énergie drastique. L’aspect critiquable de I Want Blood repose en grande partie sur des chansons, qui, si elles se rêvent lancinantes, demeurent inoffensives sur le plan musical. Avec son riff dissonant inspiré par le metal des années 80 et ses faux airs belliqueux, « Off the Rails » fait figure d’exemple. Tout paraît téléphoné. De manière générale, le format soulève une question : était-ce un choix judicieux d’étirer à ce point des titres déjà très lents rythmiquement ? Dans le cas du guitariste, l’aspect « doomy » représente une force, seulement si l’instrumentation s’épaissit pour compenser les « travers » de son chant, naturellement monocorde, voire grisâtre. Le plus étonnant reste cette impression de détachement vis-à-vis de la musique, qui compromet le voyage, l’immersion. Elle transparaît également avec les émotions fortes et cathartiques auxquelles Alice In Chains nous a habitué·es. « Echoes of Laughter » brise cependant ce « cordon sanitaire » regrettable, offrant des couplets semi-acoustiques de toute beauté, à la fois tendres et funèbres (« I don't believe in a heaven or a hell »).

Au-delà des commentaires enthousiastes de l’artiste dans les médias, l’album manque d’intention – et de fraîcheur, il va sans dire, au regard des anémiants « Held Your Tongue » et « It Comes ». Censés maintenir une tension ou assurer le service minimum face à des compositions ronflantes, les solos parviennent ici tout juste à reconnecter les auditeurs et auditrices à la musique, comme en témoigne la clôture d’« Held Your Tongue ». En toile de fond, l’effort s’inspire librement des ambiances « stoner-friendly » et des harmonies vocales de The Devil Put Dinosaurs Here (2013), si bien que sur certains passages, l’on ne peut s’empêcher de projeter la voix chaude de William DuVall (« I Want Blood », « Let It Lie ») – dont on finit par regretter l'absence. Le dernier titre cité recycle même une mélodie de chant issue du pont de « Breath on a Window » (« Crashing hard upon your ego »). Les errances de l’honorable Cantrell se poursuivent jusque dans les détails : l’édition vinyle contient les neuf titres en version spoken word. Certes, le morceau-éponyme inclut des parties légèrement « parlées », et l’on imagine sans grand-peine l’artiste en conteur d’histoires, mais de là à généraliser cette approche sur un album élargi... Lors de l’épisode 467 du podcast The Vinyl Guide, le guitariste explique avoir eu l’idée à deux ou trois semaines du pressage. Et ce qui devait être une simple réinterprétation de « Vilified » s’est transformé en une session d’enregistrement expresse (phrasé, habillage musical), au motif que Joe Breezy, l’ingénieur du son, lui conseillait « de faire ça pour toutes les chansons ».

Jerry Cantrell présente un album de grunge vidé de sa substance, comme vampirisé. I Want Blood revêt un caractère clinique, quasi démoralisant. Les titres eux-mêmes donnent l'impression d'avoir été produits en slow-motion. En cherchant à durcir le ton musicalement, il se heurte à d'inévitables comparaisons avec Alice In Chains. Il est alors évident que les standards et l'engagement artistique, entre lui et son groupe, sont très différents.

 

Tracklist :

  1. Vilified
  2. Off the Rails
  3. Afterglow
  4. I Want Blood
  5. Echoes of a Laughter
  6. Throw Me a Line
  7. Let It Lie
  8. Held Your Tongue
  9. It Comes