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Album

11 octobre 2024 - Pingouin

Blood Incantation

Absolute Elsewhere

LabelCentury Media
styleDeath metal progressif
formatAlbum
paysÉtats-Unis
sortieoctobre 2024
La note de
Pingouin
9/10


Pingouin

Death metal et science-fiction : une oreille dans les étoiles, une autre dans les enfers.

Blood Incantation fait actuellement partie de ces groupes qui au moment de sortir un album doivent ressentir une pression dingue. On sait l’étendue de leur talent, on sait leur audace quand il faut s’aventurer hors des marges codifiées du death metal qui les a fait connaître. On sait enfin que leur premier EP est sorti il y a à peine dix ans, et que dans ce laps de temps le combo de Denver a pondu une discographie foisonnante pour laquelle une bonne partie de la scène se damnerait sans hésiter.

La hype pour ce troisième full-length monte depuis bientôt deux ans. La sortie, coup sur coup d’un premier EP d’ambient (Timewave Zero), et d’un second assez peu abouti (Luminescent Bridge), a nourri des inquiétudes dans le coeur des fans : est-ce que le death metal à la Timeghoul c’est définitivement mort et enterré pour Blood Incantation ? L’annonce d'Absolute Elsewhere, en juin dernier, en a remis une couche, avec la liste d’invités sur l’album : Nicklas Malmqvist (Hällas), Malte Gericke (Necros Christos), et surtout Thorsten Quaesching (Tangerine Dream).

Rentrons enfin dans le vif du sujet : Absolute Elsewhere est un chef-d’oeuvre auquel on ne s’attendait pas vraiment. Blood Incantation y a probablement trouvé l’équilibre parfait entre death metal 90s et musique progressive. Fan hardcore du groupe depuis près de dix ans, je ne pouvais pas demander mieux : la bande à Paul Riedl se place à la fois à part et au centre d’une scène death metal où tout le monde, à force de constamment vouloir réinventer l'eau chaude, finit par se ressembler. Là, le groupe plonge dans une folie référentielle (de la pochette rétro de Steve Dodd à la liste des guests, en passant par le titre-même de l'album, bref on y reviendra). Un pot-pourri d'inspirations et d'hommages qui aurait pu (du) s'avérér indigeste, mais dont le résultat ne peut que forcer l'admiration.

La sortie de la trilogie « Stargate » quelques jours avant la sortie de l’album en a déjà convaincu beaucoup. Le premier riff a rappelé à tout le monde ce que le death metal doit au quatuor de Denver : un lead psychédélique et mélodique sur un blastbeat ronflant et terriblement accrocheur. Blood Incantation n’a rien perdu de sa capacité à produire un death metal massif, plein de finesse (oui) et de psychédélisme. Les inspirations les plus évidentes sont toujours de mise : Morbid Angel, Nocturnus et encore une fois Timeghoul. Et non contents de surpasser leurs maîtres, Riedl, Kolontorksy, Faulk et Barrett dépassent ceux des autres : personnellement j'a très vite pensé à Insomnium sur le final de « The Message [Tablet III] ». La dernière track de l’album est justement celle qui m’a le plus marqué : de son entame pleine d’énergie, après une montée en puissance syncopée de plusieurs minutes, le groupe calque sur l’une de ses toutes meilleures compositions des paroles psychédéliques et mystiques : comme dans tout l’album, il est question de répondre à l’appel de l’univers, et de quitter sa chair pour atteindre un autre état de conscience. La répartition (floue, mais bien réelle) des lignes de chant entre Paul Riedl et Malte Gericke donne une couleur pleine de ténèbres à un album qui prend vite des airs de space opera sonore.

L'un des premiers moments forts de l'album est un solo de synthé, au beau milieu d'une phase éthérée, les deux pieds dans le rock progressif. Pendant trois quarts d’heure, le dialogue incessant entre ces passages proggy et le death metal lunaire et agressif du groupe se fait de manière si fluide, contrairement aux deux pistes de Luminescent Bridge. Les interventions des synthés et mellotron de Nicklas Malqvist (tout au long de l’album) et Thorsten Quaeschning (« Stargate [Tablet II] »), s’insèrent de manière si évidente dans la folie galactique de Blood Incantation qu’on se demande par moments si on a pas fait un bon temporel, cinquante ans en arrière, à une époque où le prog était roi. Impossible de ne pas penser par instants à Pink Floyd, à la grande époque de Tangerine Dream, ou encore à Mike Oldfield et Steven Wilson. La référence à cette scène est d’ailleurs évidente, puisqu’avant Absolute Elsewhere, il y a eu Absolute Elsewhere, projet de Bill Bruford, dont on connaît surtout le travail derrière les fûts… de King Crimson. L'Absolute Elsewhere qui nous intéresse ici est bel et bien parsemé de blast beats furieux et de growls tourmentés, signe qu'on est toujours en 2024, et qu'une équipe d'intellos fumeurs de weed à Denver porte toute la scène death metal sur ses épaules.

En 2019, dans le livret de Hidden History of the Human Race, Blood Incantation remerciait une longue liste de groupes, de labels, et d’artistes sans qui ils ne seraient certainement pas là où ils sont. La présence dans cette liste d’Amon Düül, de Magma, de Jean-Michel Jarre, de Klaus Schulze et de Tangerine Dream ne m’avait déjà pas surpris. Blood Incantation s’est désormais hissé au niveau de ses influences, et signe avec Absolute Elsewhere un énième magnum opus. Les prodiges de Denver préparent désormais leur tournée, et devraient passer en Europe dans le courant de l'année 2025. Soyez certains qu'on ne ratera ça pour rien au monde.

Tracklist :

1. The Stargate [Tablet I]
2. The Stargate [Tablet II]
3. The Stargate [Tablet III]
4. The Message [Tablet I]
5. The Message [Tablet II]
6. The Message [Tablet III]

 

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