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mardi 12 septembre 2023

Shining et Niklas Kvarforth reviennent de très loin

Niklas Kvarforth

Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

Se préparer pour une interview avec Niklas Kvarforth, le polémique et tourmenté leader de Shining, ce n'est pas chose aisée. Déjà parce que, même en temps "normal", pour peu que cela existe le concernant, le Suédois est un personnage changeant, qui a ses bons et ses très mauvais jours ; il est réputé pour ne pas être fan des journalistes et de l'exercice de l'interview.

Mais aussi et surtout parce que le contexte est difficile : quelques semaines à peine avant notre entretien, Kvarforth annonçait via ses réseaux sociaux qu'il entamait une thérapie de choc, à savoir un traitement par électroconvulsivothérapie, afin de soigner sa psychose profonde. Bref : alors que Shining, onzième album (et éponyme) de Shining sort ce vendredi 15 septembre, son leader ne va vraiment pas bien. Mais il s'est avéré charmant et disposé à répondre à nos questions...

***

Bonjour Niklas. Tout d'abord, ce n'est pas anodin vu ta situation : comment vas-tu ?

Je me sens mieux qu'il y a quelques mois, disons. Il y a eu quelques complications dans le traitement... je viens de finir un traitement par ECT (électroconvulsivothérapie), et aujourd'hui, c'est juste que... mon corps tout entier est complètement niqué (sourire). Mais à part ça, ça va plus ou moins bien. Ca a été difficile, mais je suis là, on va de l'avant.

Tu as écrit sur les réseaux que ce traitement était ta dernière chance de retrouver une vie normale mais aussi pour que Shining puisse continuer à exister. Dans ce genre de moments, quelle est ta priorité ? Toi-même, ou l'avenir du groupe ?

Je ne fais pas de distinction entre les deux. Shining a été une part majeure de ma vie pendant bientôt 30 ans, c'est donc très difficile pour moi de séparer l'un de l'autre... Mais en ce qui concerne une reprise « normale » de Shining et un retour aux tournées, ce n'est pas lié qu'à moi. Tu as sûrement entendu que notre batteur, Nick Barker, était dans un sale état. Il est mort aux alentours de Noël, brièvement. Une insuffisance hépatique totale. Disons que... nous devenons vieux (petit rire). Je ne pense pas qu'on reviendra un jour à des tournées complètes, en tour bus, tout ça. Des concerts sélectionnés, l'un ou l'autre festival, ça, oui.

Mais les autres membres du groupe et moi sommes assez d'accord sur un point : ça arrive un peu comme une bénédiction, d'une certaine façon. Je n'ai jamais été fan des tournées. Pendant les tournées, je me démolis physiquement et mentalement, c'est difficile à gérer... puis, tu reviens à la maison et... (il soupire). Donc en un sens, c'est probablement préférable qu'on sélectionne des shows par-ci par-là dans lesquels on pourra réellement s'investir. Nous allons jouer bien moins que par le passé.

Donc, tu aimes jouer en live, mais tu n'aimes pas vraiment tourner, si je comprends bien...

Parfois, j'aime jouer live, parfois pas (petit rire). Je suis bipolaire, tu sais. Il y a deux extrémités à mon spectre. J'aime l'idée de répandre mon message, celui de Shining, à plus grande échelle. Mais ça a toujours été un peu une arme à double tranchant. Car dans le même temps, je dois faire avec le fait que les gens s'attendent toujours à ce que quelque chose se passe, du scandale, des conneries dans ce genre... C'est épuisant, pour être honnête. Mais nous verrons. Je crois que ça peut être une bonne idée (de jouer moins, nda) et j'ai assez hâte de retrouver la scène avec ce line-up.

Pour être tout à fait transparent avec toi, j'ai vu Shining deux fois en live ; c'était extraordinaire une fois, et la seconde... tu donnais l'impression de ne pas vraiment être là. C'était... moins bon. Shining a des hauts et des bas en tournée, on ne sait pas forcément ce qu'on aura chaque soir.

(il rit) Une chose qu'on peut dire à propos de Shining, c'est qu'on ne peut pas nous accuser d'être faux. C'est réel, pas un jeu. Cela se voit dans ce que tu viens de dire, le concert peut être différent d'un jour à l'autre. Et ça m'embête un peu, car cela vient de choses que je ne peux pas contrôler... Ca arrive sur le moment. En un sens, je crois donc qu'en sélectionnant nos dates, ce sera plus facile de donner notre maximum. Ce sera plus gratifiant pour nous en tant que groupe, et moins frustrant pour le public.

Chaque album de Shining est impacté par ton état mental, bien sûr. Mais à quel point ce dernier album l'a-t-il été ?

Pour expliquer ça, je dois revenir un peu en arrière, et à ma dernière apparition sur scène... C'était avec Behemoth à Helsinki, lors de leur tournée avec Slipknot. Cela a eu lieu deux jours avant que la pandémie de coronavirus explose en Finlande. Tous les bars, les restaurants, les magasins étaient fermés... et comme tu le sais, tout le monde dans ce pays est un putain d'alcoolique (rires). Donc, c'était assez bizarre. Et à la même époque... je me suis fait jeter par ma petite amie, avec qui je vivais. Et en parallèle, j'ai perdu un procès pour abus et séquestration. Donc, avec tout ça combiné, après avoir filmé le clip de « A Forest » en live avec Behemoth, je me suis... effondré. Mon corps a lâché complètement. Je me suis réveillé à l'hôpital. Et... est-ce que tu t'y connais un peu en schizophrénie ?

Non, désolé, je ne suis pas familier...

Disons qu'il y en a différents types, et que la mienne couplée à ma bipolarité fait que durant quelques années, j'ai vécu dans un état permanent de psychose. Et cet excès de stress que j'ai vécu à ce moment-là... fait que je ne pouvais plus exister. Je ne sais pas si tu comprends vraiment ce que je veux dire à ce sujet. Quoi qu'il en soit, après être sorti de tout ça, j'étais chez un ami, et il m'a demandé si je comptais tout de même composer un nouvel album de Shining. Je lui ai dit « Mec, je n'ai même plus de putain de guitare. » Il avait une guitare acoustique... et j'ai fini par me dire « Allez, compose-le, ton putain d'album. » Ca m'a pris quelques jours.

Juste comme ça ?

Oui, je compose majoritairement la musique de Shining à la guitare acoustique, initialement. Sauf le premier album et X – Varg Utan Flock. Mais cette fois, c'était vraiment bizarre, car j'ai eu cette sensation d'être un peu handicapé pour le reste de l'année. J'avais tout laissé sortir en une seule fois, je me suis senti vide. Écrire un album de Shining est comme écrire un journal pour moi, et l'album suivant est le chapitre concernant les années qui suivent... Mais oui, pour résumer, c'était quelques années extrêmement difficiles.

Quand tu entres dans le genre de thérapie que tu suis actuellement, l'objectif est évidemment d'aller mieux, et je te le souhaite... mais si tu te réveillais demain en allant mieux, que tous tes démons avaient disparu...

Oh, ça n'arrivera jamais (rires).

J'entends bien (rires). Mais imaginons, si ça arrive, c'est la fin de Shining, non ? Ces démons nourrissent ta musique...

Bien sûr. C'est impossible pour moi d'imaginer Shining sans toutes ces choses qui se passent autour de moi et dans ma vie... et je crois que ce serait malhonnête vis-à-vis du public si je continuais dans ce cas-là.

Donc si un jour, aucun album de Shining ne sort, on saura que Niklas Kvarforth va mieux...

Non, si un jour, cela arrive, c'est que je suis mort (rires). Je vis une vie... rude, tu sais. J'ai l'impression d'arriver à la fin. Ces dernières années, à travers mes crises de psychose, m'ont royalement niqué. Tout ce que je fais désormais, c'est essayer de me remettre sur pied pour continuer.

Est-ce que tu t'es forcé à composer cet album ?

Non, non, pas cette fois ! C'est juste venu tout seul en prenant la guitare acoustique de mon pote en mains.

D'accord. Mais comme on vient de le dire, tes démons nourrissent Shining ; est-ce que ça ne marche pas aussi dans l'autre sens ? Est-ce que « devoir » composer de la musique pour Shining ne réveille pas un peu ces démons ?

Shining est mon pire ennemi, tu sais. Bien sûr, ça va dans les deux sens, sinon, nous n'aurions pas cette conversation aujourd'hui. Mais Shining est aussi quelque chose dont je suis très fier, et dont beaucoup de gens ont tenté de détruire l'héritage... certains y sont presque parvenus. Shining est un combat permanent et pour être honnête, j'en suis très fatigué. Mais... les choses s'arrangent toujours d'une façon ou d'une autre. Je suis là pour durer ou plus là du tout... si ça a le moindre sens pour toi (petit rire).

Je pense que tout ce que tu dis n'a pas toujours de sens pour les lecteurs mais... on s'en fout, non ? C'est ce que tu ressens.

Oui, nique le lectorat (petit rire).

Certains disent que quand ils tournent beaucoup, le fait d'être en concert chaque soir influence leur façon d'écrire. À l'inverse, ces années sans jouer ont-elles influencé le nouvel album ?

Tout ce que tu vis influence ta musique... Cela dit, je ne peux pas dire que je suis « influencé » par quelque chose. J'écoute peu de musique ces temps-ci... très peu, même. Je suis plutôt influencé par de l'art visuel, par l'observation des autres êtres humains. Cela dit, Shining n'a pas joué en live avant très longtemps : le groupe existe depuis 1996, et nous n'avons pas joué live avant 2005. Et c'est vrai qu'à partir de ce moment-là, tu envisages ta musique différemment. Tu vois à quel point ton Art frappe les gens, tu te sens invincible. Comme nous n'avons pas joué live avant V- Halmstad, tu peux sentir une réelle différence dans notre musique par après.

Ca ne m'avait pas frappé, mais ça va faire 30 ans dans quelques années que Shining existe... Est-ce que tu t'imaginais continuer si longtemps ?

(petit rire) Non, clairement pas. Et... il y a tellement de gens qui me diront alors : « 30 ans qu'il est là, et il ne s'est pas encore suicidé, pourquoi ?». Parce qu'on vit dans une société McDonald's, où les gens peuvent appuyer sur un bouton pour voir le film qu'ils veulent voir, écouter l'album qu'ils veulent écouter... Et cette « culture fast-food » fait que les gens sont incapables de lire autre chose que les titres des articles ou des morceaux. Et malheureusement, à cause des réseaux sociaux, ces gens-là peuvent aussi répandre leur opinion comme ils le souhaitent.

Donc, la conséquence de tout ça, c'est que les gens se demandent pourquoi je ne me suis pas encore suicidé. Ils n'ont pas compris que tout le sens de Shining, c'était que j'utilise le groupe comme une arme contre la personne qui l'écoute – Shining veut que tu te suicides, métaphoriquement. Je me suis longtemps nourri des énergies négatives envoyées par les gens dans ma direction, mais récemment, c'est devenu ennuyeux. C'est pour ça que je ne gère plus mes réseaux sociaux moi-même... Je n'ai plus fort envie de prendre une part active dans la société.

Est-ce que tu t'es senti piégé dans ton personnage ?

Absolument pas, non. Mais je ne lis plus les opinions des gens à mon sujet. Du moins... j'essaie, mais j'ai eu une discussion à ce sujet avec Nick Barker récemment. On s'est rendu compte qu'en fait, tu veux toujours savoir ce que les gens pensent de toi, pour une putain de raison stupide. Peut-être pour nourrir ton égo. Le problème, c'est que ça donne le pouvoir à certaines personnes qui n'ont jamais proposé par eux-mêmes de t'influencer via leur opinion... J'essaie de me détacher de ça, de ne plus être influencé par l'opinion des autres, car c'est emmerdant. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, les gens ne savent plus penser par eux-mêmes.

En effet. C'est pour ça qu'il y a les journalistes, après tout, on les aide un peu à penser (rires).

C'est encore un peu différent ! Tu es en train d'écrire, d'enregistrer, je ne sais pas, et tu vas faire un article sur notre entretien. C'est quelque chose que je respecte. Tu viens à la source. Mais les gens qui parlent de choses dont ils n'ont aucune idée... Ca me tape sur les nerfs. C'est pour ça que j'ai demandé à d'autres personnes que moi de gérer mes réseaux car... je ne suis pas très diplomate (sourire).

Tout autre sujet désormais : l'album s'appelle Shining, sans chiffre romain à côté. Tu avais dit à l'époque de la sortie de Redefining Darkness que tu n'aimais pas ça, que cette tradition des chiffres romains signifiait quelque chose pour toi. Pourquoi ne pas avoir appelé cet album XI-Shining ?

Hé bien, j'ai juste... changé d'avis (sourire). J'aime bien l'idée de ne pas aller dans la continuité attendue, tout ça... ce sont des choix personnels. J'aime toujours beaucoup cette numérotation romaine... et pour être honnête, au début, j'avais même oublié que nous ne l'avions pas mise. Initialement, il devait bien s'appeler XI. Mais à un moment, j'ai suggéré à notre guitariste de juste l'appeler Shining. On s'est dit que ça sonnait un peu prétentieux, surtout compte tenu de l'instabilité autour du groupe récemment. Et ça voulait donc dire que c'était la bonne chose à faire.

Beaucoup de groupes ont un discours tout préparé pour ce genre d'album éponyme sorti plus tard dans leur carrière, du genre « c'est l'album qui nous ressemble le plus », « c'est notre meilleur album », « c'est un retour aux sources », blablabla... rien de tout ça ici ?

(rires) Non. C'était juste une mauvaise idée, alors on l'a fait.

J'ai eu la chance de pouvoir écouter l'album. Je le trouve très bon. Plus énervé que le précédent dans ses moments les plus énervés... est-ce lié à ton état d'esprit ?

Oui, je suis assez d'accord. Et bien sûr que c'est lié, tout ce que je vis laisse ses traces noires sur moi et sur ma musique. C'est difficile de le dire autrement.

Le morceau dont je vais te parler te surprendra peut-être, mais il s'agit de l'interlude, qui est la Gnossienne n°1 d'Erik Satie. C'est bien toi qui le joue ?

Eh bien en fait, non. C'est Marcus Palsson, qui avait déjà joué l'instrumental au piano sur V-Halmstad, qui le joue. Mais ce morceau, je l'ai entendu dans un film quand j'étais gamin, et il est resté dans ma tête depuis. J'ai cherché quel morceau c'était, et je me suis renseigné concernant Erik Satie.

C'est un personnage intéressant. Assez excentrique...

Oui, vraiment ! J'ai vu un documentaire sur lui sur YouTube, je te le recommande. Il avait visiblement les mêmes problèmes que moi avec les journalistes (rires). Marcus joue le morceau à un tempo plus élevé que l'original, c'est plus sombre et cela colle plutôt bien à l'album, je trouve.

Si tu passes en France, je te recommande de visiter Honfleur, la maison d'Erik Satié est là-bas. Tu peux la visiter, il y a pas mal d'extraits de son oeuvre, c'est assez intéressant...

Merci du conseil. Je ne sais pas encore quand j'aurai l'occasion de revenir en France, cela dit, mais nous verrons ça dans les mois à venir.

Est-ce que tu as une timeline pour le retour de Shining ? Est-ce que ce sera pour, disons, l'année prochaine ?

(il soupire)... On verra. Là, je vais continuer à donner des interviews pour un petit temps, puis... nous allons travailler à un programme pour l'année prochaine, je crois, oui.

Merci pour ton temps, Niklas. Je te souhaite... hé bien, le meilleur, peu importe ce que ça peut être pour toi.

Merci beaucoup, ça signifie beaucoup. À la prochaine.

Merci à Niklas pour sa disponibilité dans une période difficile, et à Napalm Records pour avoir rendu cette interview possible. 

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