Throne Fest 2022 : Jour 3
Kubox - Courtrai
Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.
Pour lire les deux premiers épisodes de ce report, c'est ici et ici !
Troisième jour qu’on la parcourt, la route est longue, et désormais ponctuée d’averses plus que drues comme en propose systématiquement le printemps à la belge. C’est devenu une coutume, le temps de mettre en route toute une équipe un peu moins fonctionnelle chaque jour, et on rate le premier groupe. On évite donc les dernières gouttes juste à temps pour Slaughter Messiah, ce qui équivaut en fait, dans la scène belge, à retrouver une vieille connaissance qu’on ne croise que de temps en temps par hasard, mais qu’on retrouve à chaque fois comme si on l’avait vu la veille…
Slaughter Messiah
Florent : C’est bizarre comme Slaughter Messiah a toujours eu cette aura de “local band” pour moi, le groupe d’ouverture de festival belge, de première partie au Mag’4 ou de concert local. Pourtant, le moins qu’on puisse dire, c’est que le groupe namurois a de la bouteille. Au chant (et à la basse), c’est ni plus ni moins que Lord Sabathan lui-même, chanteur d’origine d’Enthroned (et tournant sous le nom de Sabathan pour jouer le catalogue old school de ces derniers). Slaughter Messiah, c’est son exutoire, son groupe détente. Mais n’y voir qu’une blague, c’est passer à côté d’un black/thrash hyper efficace, gorgé de riffs à se décrocher la nuque. Les références se bousculent au portillon, du Venom des débuts à l’époque la plus old school du black metal comme en témoigne ce final sur le “Die in Fire” de Bathory. Pour lancer une journée, on trouve difficilement mieux. Et c’est désormais promis, j’irai jeter une oreille à Cursed to the Pyre, premier album du groupe (enfin) sorti en 2020 après près de dix piges d’EP.
Matthias : Bon, à croire qu’on a envie de changer un peu d’air après trois jours dans cette salle, mais on manquera le groupe suivant pour cause d’exploration des environs, évidemment motivée par nos estomacs capricieux. C’est l’occasion de présenter un peu Kuurne. C’est donc une toute petite commune résidentielle de Flandre, dans la grande banlieue de Courtrai, avec ses maisons en brique et ses routes proprettes, quand elles ne sont pas éventrées pour cause de travaux. Et bien un dimanche après-midi, une fois la messe et le repas familial absorbés, il n’y a strictement rien à y faire. Pas un bar, pas une pizzeria ouverte, alors que pourtant l’offre de terrasses avait l’air correcte. Le bon plan de ce dimanche ne se dénichera pas dans le centre de la bourgade, mais le long d’une nationale à quelques encamblures de la Kubox : un sacro-saint supermarché polonais. Une structure entièrement consacrée à la bière à la fois correcte et pas chère, aux snacks improbables, et à la cuisine aussi réconfortante que roborative. Je pense sincèrement que le personnel s’est demandé ce qu’était cette bande d’hurluberlus plus ou moins patibulaires et faisant preuve d’un rare enthousiasme à l’idée de s’enfiler des harengs à la tomate accompagnés d’une bouteille de jus d'herbe de bison. Je digresse, certes, mais j’en arrive à un point important pour le Throne Fest comme d’ailleurs pour beaucoup de festivals : je suis certain que les trois quarts de la population de Kuurne ne savent même pas qu’il y a un événement rassemblant plusieurs centaines d'affamés sur leur petit bout de polders. C’est vraiment une occasion manquée d’offrir à la fois plus d’options aux festivaliers et une opportunité de faire des affaires aux bars et restaurants locaux. Bon, m’est avis que Kuurne n’est pas le genre d’endroit qui a besoin d’un coup de boost économique.
Sauron
Matthias : Une recherche rapide sur Encyclopaedia Metallum me renseigne que 11 groupes répertoriés portent le nom du Seigneur des Ténèbres, et ce dans tous les genres confondus. Mais c’est bien ce Sauron-là, néerlandais, qui vient systématiquement hanter la mi-journée des festivals de black metal flamands. Et la raison m'en paraît claire : c’est du pur copinage. C’est en tout cas l’explication la plus logique, car on passera tout le concert de Sauron hors de la salle proprement dite, entre le bar et le merch’, d’abord à tenter de comprendre ce qui se passe, puis à nous tenir le crâne en attendant que ça s’arrête. On se contentera de dire que les Bataves derrière Sauron maltraitent passionnément leurs instruments. La Belgique ne manque pourtant pas autant de groupes de black metal capables d’assurer ce genre de position dans un festival. En attendant, nous mettons à profit les tonnes de flyers présents sur les tables pour improviser un atelier origami. L’occasion pour moi, à 30 ans révolus, d’apprendre enfin à faire un avion en papier. Voilà.
Havukruunu
Matthias : Pour la suite toutefois, on quitte précipitamment nos pliages pour occuper le premier rang ; les Finlandais de Havukruunu comptent certainement dans nos plus grosses attentes de l’ensemble du festival, d’autant qu’eux aussi, ils sont plutôt rares dans nos contrées. En un trio d’albums sortis comme une rafale gelée, Havukruunu s’est vraiment taillé une place à part dans le paysage du black metal finlandais, avec un côté plus pagan dans ses compositions qu’on ne retrouve pas chez les autres groupes venus du froid de l’affiche, eux restant plutôt dans une optique trve. Et surtout Havukruunu déploie sur chacun de ses morceaux une énergie, une passion, bien plus communicatives que le reste de leur écosystème. A tel point que je suis surpris de découvrir que le chanteur a de la bouteille, moi qui imaginait une bande de jeunes échevelés abreuvés de Moonsorrow et qui auraient voulu pousser sur ce sentier encore un peu plus loin. Mais je me renseigne très peu sur les musiciens derrière les groupes que j’écoute, je l’admets. Fort logiquement, les Finlandais feront la part belle à leur dernier EP sorti l’année dernière, Kuu Erkylän yllä, que je considère comme un superbe condensé des capacité du groupe, même si la setlist accordera de la place à toutes les sorties plus anciennes. Mais dès les premières mesures de "Uinuos syömein sota" Stefan, dont la guitare est lointaine mais dont la voix nous paraît “seulement” un peu faible, ne s’entend pas lui-même. Et cela va le perturber pendant tout le concert, ce qui est bien compréhensible. Et pourtant, ça marche, même si nous ne sommes peut-être que quelques-uns à la barrière à lever le poing sur chaque morceau - à défaut de pouvoir les reprendre en choeur - et à sentir la montée de puissance et d’émotion sur l'enchaînement “Kuu Erkylän Yllä” - “Terhen” - “Vaeltaja”. Havukruunu prouve à la fois sa solidité en live et la cohérence d’une setlist plutôt représentative de la carrière éclair de ce groupe qui ne sort des albums que depuis 2015 - un tous les deux ans, jusqu'ici. Et ça serait sans aucun doute dantesque si le son - et une bonne part du public, toujours assez endormi - lui rendait un meilleur hommage, mais il faut bien reconnaître que là encore la Kubox déçoit, autant à la barrière que sur la scène. Si Sinisalo semble en transe agrippé à sa basse, le chanteur emmitouflé dans sa cape parait quand même par moments un peu perdu, voire déçu, devant le rendu de son concert. Ce n'est certainement pas sa faute, et il a assuré jusqu'au bout là où d'autres auraient jeté l'éponge. Les riffs aériens de "Tähti-Yö Ja Hevoiset" concluent ce set tant attendu, et je me dit déjà qu'il faut vraiment que je revoie ce groupe dans des conditions optimales, quitte à ce que ça soit au fin fond de la Finlande.
Cult of Fire
Florent : C’est dans cette même salle, en 2017, que je voyais Cult of Fire pour la première fois. J’ai souvenir d’une véritable transe, d’un moment juste fantastique et hors du temps. En live, peu de groupes de black m’avaient fait cet effet. Depuis, CoF, qui avait déjà sa réputation à l’époque, a encore pris de l’ampleur, et du budget. “Petit” indice : ces cobras royaux géants au creux desquels les guitaristes iront s’asseoir le temps du concert, en position du lotus. La mise en scène, on ne va pas se mentir, est un peu too much. Lors d’un concert streamé en pérode de Covid-19, on en avait d’ailleurs bien ri, tout en ayant beaucoup de mal à prendre le groupe au sérieux.
Heureusement, “en vrai”, ça donne mieux. Derrière son immense masque cornu, Vojtech Holub reprend avec un mimétisme saisissant la gestuelle de son prédécesseur. Ça et une voix… identique, font que franchement, le changement de vocaliste en 2020 est passé, je suis prêt à le parier, inaperçu auprès de beaucoup. Côté son, et c’est crucial pour un groupe comme Cult Of Fire, l’équilibre est cette fois parfait. Placé en début de set, l’hallucinant “Satan’s Mentor” lance idéalement le concert. Mais la bonne nouvelle, c’est que les titres issus du franchement moyen duo Moksha/Nirvana fonctionnent assez bien. Enfin, surtout ceux de Moksha, Nirvana restant très médiocre. “Har Har Mahadev” et son break ethnique surprenant immerge vraiment idéalement dans l’univers du groupe, “(ne)Cisty” confirme qu’il a un potentiel de gros classique avec sa ligne de guitare envoûtante. Sans surprise, je sors un peu du concert au fur et à mesure que les titres de Nirvana s’enchaînent. Je reste d’ailleurs fort frustré de la setlist : à part “On the funeral pyre of existence”, pas trace d’un titre de Ascetic Meditation of Death…pas même “Khanda Manda Yoga”. Immense déception, mais pas de quoi me gâcher un concert franchement réussi.
Venom Inc.
Matthias : Triste histoire que celle de Venom qui se retrouve scindé en deux entités distinctes et irréconciliables ; l’une menée par Cronos et qui a conservé le nom original, et l’autre qui regroupe tous les autres membres historiques du projet sous l'appellation Venom Inc. et que nous allons voir ce soir. Qu’est ce qui accorde le plus de légitimité à un groupe qui a subi un schisme ? La majorité, ou la présence forcément fort visible du chanteur/frontman ? Difficile à dire. Le père Cronos, je l'avais vu au Alcatraz il y a de cela quelques années, et je me rappelle d’un concert exceptionnel. Il faut dire que le bassiste-chanteur, déjà en forme, s’était vu rejoint sur scène par un certain Nergal, fraichement démaquillé et tout fou comme un gamin à Noël. Voilà qui place la barre assez haut. En tout cas on blaguait dessus, mais il y a bien une frange plus âgée du public qui aura passé trois jours à picoler sur le parking pour ne se montrer que pour les derniers groupes de vieux de la vieille. Car c’est vraiment comme ça que je décrirais les membres de Venom Inc. sur scène : des papys anglais, sûrs d’eux comme s’ils jouaient une énième fois dans leur pub préféré, où ils se produisent depuis 30 ans. Et attention, ils sont du genre consciencieux et nous enchaînent les tubes, tous joués avec un perfectionnisme qui ne vient qu’au fur et à mesure des années. “Poison”, “One Thousand Days in Sodom”, l’incontournable “Black Metal” : tous les morceaux historiques des deux premiers albums, à l’époque où Venom était encore uni, et il est impossible de ne pas les reprendre en choeur, ne fût-ce que par automatisme. Les vieux Anglais nous offrent sans la moindre fausse note ces tubes d’une époque où leur pays incarnait encore un haut lieu de la musique mondiale… Mais rien à faire, j’assiste à une conférence sur le patrimoine plutôt qu’à un concert surchargé d’électricité. L’expérience reste bien sûr plaisante jusqu’à un splendide “Countess Bathory” et on regrettera juste l’absence de “In League With Satan”, mais on a quand même assisté à une belle prestation. De là à ce qu'elle nous marque par contre, j'ai des doutes.
Sodom
Florent : Deux festivals de metal extrême post-Covid, deux fois que c’est Sodom pour terminer. Et nous terminer, tant la setlist gargantuesque balancée par Tom Angelripper et ses copains a quelque chose de définitif. Au Metal Méan, ça avait été une heure et demie de tubes. Ici, on en a pour… 2 heures. Vous ne rêvez pas, 2 heures de Sodom. Franchement, j’en avais presque peur. Mais quelle claque, encore une fois. La mise en scène est plus sobre, mais l’énergie est toujours au rendez-vous. Encore une fois, le dernier album, pourtant efficace, est peu mis à l’honneur passé le “Sodom & Gomorrah” introductif. Après ça, ce sera juste la déferlante : “Sodomized”, “Agent Orange”, un “Tired & Red” au fer rouge, “Christ Passion” qui rend toujours aussi fou. Angelripper blague, en milieu de set, sur le fait que le concert risque d’être long… mais est loin de faire ses 60 piges. Et dire que Slayer a rangé les crampons au vestiaire en 2019 déjà. Certes, le thrash n’est pas une affaire de vieillards, mais visiblement Sodom a trouvé la cure de jouvence. L’enchaînement “Sodomy & Lust” (qui manquait à Méan!) - “Outbreak of Evil” m’assassine, purement et simplement. Il faut le côté décalé de “Surfin’ Bird” et le mid-tempo ravageur de “Saw is the Law” (là aussi, ajouté à la setlist, bizarrement absent de certains concerts) pour retomber un peu. Franchement, sans surprise, on faiblit petit-à-petit, mais pas Sodom. Non, eux enchaînent les ogives (“Incest”, “Caligula”, “Nuclear Winter”...) jusqu’à “Ausgebombt” et “Bombenhagel” qui nous envoient au tapis. Il ne reste que des cadavres chargés de houblon, victimes d’un découpage en règle, qui ont pris leur sodo’ et au lit. Chapeau Mr Angelripper, peu de groupes de thrash restent à ce niveau. Au sein du “Big 4” teuton, Sodom est clairement le couteau le plus aiguisé du tiroir. Désolé pour Kreator et son thrash devenu heavy surproduit vaguement thrashisant…
Voilà, trois jours s’achèvent, trois jours qui ont franchement soufflé le chaud et le glacial. Trois jours franchement longuets, aussi, au vu des faiblesses de l’affiche par moments en milieu de journée. Ne croyez pas que ce soit notre genre de “zapper” des après-midi entières de festival, que du contraire, mais trois jours de qualité si inégale avec des problèmes de son quasi-systématiques, c’est dommage. Ajoutez à ça un catering juste indigne de ces ambitions et vous avez le cocktail idéal pour prendre, parfois, la clef des champs. Heureusement, les têtes d’affiche et groupes les plus attendus du week-end ont clairement tenu la route, Sodom, Cult Of Fire, Havukruunu et Spectral Wound en tête. Le Throne Fest a tout, maintenant qu’il a relancé la machine, pour rester une locomotive de la scène black metal, surtout s’il ose l’originalité (on veut pluuuus de groupes finlandais et québécois!). Et l’année prochaine, ce sera sur deux jours. Un retour à la normale plus que bienvenu. On risque d’encore hanter Kuurne longtemps.
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Crédits :
Textes par l'équipe Horns Up.
Crédits photos : Team Horns Up.