Raton et la bagarre #11
lundi 9 août 2021Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.
Bonjour et bienvenue dans le 11e épisode de Raton et la bagarre, la rubrique bimestrielle sur les actualités hardcore ! Les mois de juin et juillet avaient été extraordinairement prolifiques l'année dernière avec la sortie de plusieurs AOTY (Boris, Gulch, END ou Nuvolascura) mais sont clairement plus timides cette année. À l'exception des EPs de Poppy, Drug Church et Turnstile, aucun gros nom ne vient marquer la sélection. Tant mieux, ça me donne l'occasion de vous présenter à nouveau des groupes plus modestes qui méritent une plus grande exposition. Permettez-moi donc de vous offrir une sélection haute en couleurs, qui brosse très large du hardcore mélodique au beatdown en passant par le screamo et le scene-revival. C'est d'ailleurs probablement la première fois que chaque entrée relève d'un style différent.
Si vous avez envie de m'entendre discuter de hardcore avec mes merveilleux comparses et des invités de marque, les deux derniers épisodes de l'émission HU consacrent une place de choix à la scène hardcore et ses dérivés. Ici l'émisison avec Worst Doubt où on parle de leurs influences et de leurs albums préférés et là l'émission avec Pierre Lapin où il nous explique l'origine de ses amours hardcore et les groupes qui lui font de l'oeil en ce moment. Si vous préférez le format podcast, l'émission est également sur toutes les plateformes et on vous donne rendez-vous tous les mois sur Twitch.
Ekulu – Unscrew My Head
New York hardcore / Thrash crossover – USA (Cash Only)
Quoi qu'on en dise, en thrash crossover une bonne partie de la décennie passée s'est faite dans le calme. Surtout dominée par les intouchables Power Trip et appuyée par Iron Reagan, le reste consistait surtout en des anciens faisant de la résistance poussive (Municipal Waste et Suicidal Tendencies notamment). Pas de quoi être très enthousiaste.
Mais à partir de 2018, on a vu naître un nouveau mouvement moins ancré dans la tradition thrash et davantage marqué par les pitreries du hardcore, notamment new-yorkais. D'un côté, Enforced a pris la suite de Power Trip, mais c'est surtout Mindforce, avec son impeccable "Excalibur", qui est venu insuffler une nouvelle énergie à la scène. Dans son sillage ont fleuri quelques groupes au groove intenable et aux riffs façon cran d'arrêt. Drain et Dead Heat du côté de la Californie, Judiciary un peu avant au Texas, et surtout Ekulu du côté de New York.
Les New-Yorkais avaient taclé toute la scène avec un premier EP impressionnant en 2018. Et malgré le single "Half Alive" en début 2019, le groupe s'était fait discret. Plus de deux ans après, Ekulu redébaroule avec un album et une autre version de "Half Alive" en tube principal. Autant être clair tout de suite, "Unscrew My Head" ne cherche pas un seul instant l'originalité. On est sur une resucée en grande forme de Cro-Mags et d'éléments d'à peu près tous les groupes au croisement du NY hardcore et du thrash crossover. Néanmoins, les riffs sont incisifs et même si le disque n'atteint jamais à nouveau la cime de "Half Alive", rien n'est à jeter. Plus old school et consciencieux que Mindforce, bien que très proche, Ekulu développe un hardcore de puriste, avec toute la ferveur new yorkaise qu'on était en droit d'attendre, des riffs mid-tempo aux breakdowns métalliques. Pour ne rien perdre du meilleur des deux mondes, le groupe rajoute même des solos en guitare claire, comme sur le très net "World of Uncertainty".
On pourrait disserter sur les influences du groupe ou sur sa capacité à se renouveler pendant des heures, mais ce qui compte à la fin c'est que "Unscrew My Head" est un album terriblement plaisant à écouter. Une écoute digeste et rigolarde à l'ombre des hautes tours.
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No Longer at Ease – S/T
Hardcore mélodique – USA (auto-prod)
Je le répète assez souvent, mais ma scène de hardcore préférée est la scène hardcore mélodique de la côte Est du milieu des années 2000. Bane, Have Heart, Modern Life Is War et Verse constituent mon big 4 de la scène et je suis fou amoureux de leurs productions aussi efficaces qu'émotives.
L'influence de ces groupes a toujours traversé le paysage hardcore mais depuis quelques années, quelques groupes semblent se revendiquer directement de leur héritage. C'est le cas de One Step Closer, Mil-Spec et désormais des prodiges de Caroline du Nord, No Longer at Ease.
Dans la plus pure tradition, No Longer at Ease propose un hardcore puissant, sur lequel la section rythmique vive et versatile donne le ton pendant que la guitare en mid-tempo tricote une ambiance solennelle et éclatante. C'est aussi un style qui fait la part belle au chanteur, avec des lignes de chant expressives et un maximum de passages sing-along à la sensibilité émotive/emocore.
Mais NLaE ne se contente pas de produire un hardcore référentiel. Plutôt, le groupe promeut une musique introspective, aux relents épiques et glorieux qui ne donne qu'une envie, celle de hurler à la face du soleil.
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Wristmeetrazor – Replica of a Strange Love
Metalcore mélodique / Scene revival – USA (Prosthetic)
Je vous ai souvent évoqué la fameuse scène MySpace-core, qui prend tout le maniérisme et l'impertinence des groupes MySpace pour l'incorporer dans un metalcore furieux, méchamment dissonant et toujours chaotique et changeant.
Wristmeetrazor est un membre de la première heure de cette tendance. Le guitariste-chanteur n'est autre que Jonah Thorne, aka. Secondgradeknifefight et précurseur dans la scène avec son travail de design graphique sur les pochettes de Cauldron, SHAME ou le fameux split SGKF/SYSC. Le batteur-chanteur est aussi loin d'être anonyme car c'est Bryan Posser, aussi batteur chez SeeYouSpaceCowboy, Inclination et SHAME.
Le premier album du groupe californien, "Misery Never Forgets", mélangeait maladroitement metalcore et screamo et peinait à proposer autre chose que la somme confuse de ses influences. Ce deuxième album s'avère bien plus cohérent et réfléchi. Penchant clairement du côté mélodique du style, "Replica of a Strange Love" multiplie les panic chords, les riffs empruntés au death metal mélodique, un chant saturé particulièrement criard et des breakdowns permanents. Parmi tous ces éléments, le groupe n'hésite jamais à avoir recours à des refrains en chant clair, comme sur "Anemic (The Same Six Words)" sans jamais tomber dans le sirupeux dispensable.
Avec ce disque, Wristmeetrazor se rapproche encore davantage de l'esprit et des sonorités "Scene" et notamment des groupes de feu le label Ferret Music. Alors que je ne suis pourtant pas du tout un client de "melocore"/"Scene-core", je trouve que Wristmeetrazor parvient à pousser le style à un nouveau niveau de maturité et de pertinence. C'est la force de tout ce renouveau, de prendre l'ancien, décrié et moqué, pour en faire quelque chose de plus abouti et de légitimer le style avec une meilleure recette.
La variété des compositions, la force des breakdowns et la justesse de la production (assurée par Isaac Hale de Knocked Loose) font de "Replica of a Strange Love" un album qui fera date dans le renouveau Scene si celui-ci s'avère perdurer.
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Votto – Quindi noi sbagliando facemmo giusto
Screamo – Italie (We're Trying / Non ti seguo / Desperate Infant)
Autant poursuivre sur la belle lancée du dernier épisode et vous présenter à nouveau un groupe de screamo italien. La scène italienne semble connaître une très belle nouvelle vague avec des groupes comme Radura, One Dying Wish ou Decacy et Votto vient enfoncer le clou.
Originaires de Plaisance, au sud de Milan, les quatre musiciens de Votto ont conçu un screamo quelque part entre les vocaux déchirants d'Øjne et les arpèges ensoleillés des Espagnols de Viva Belgrado. Une musique aussi amère que chargée de promesses, comme les déferlements d'émotions, allongé dans l'herbe, les yeux fermés face au soleil.
Votto se permet d'être aussi immersif et poétique grâce à une production ample et enveloppante où les guitares irradient. Tout s'articule autour d'elles, en particulier le chant maîtrisé et émotif de Francesco, le bassiste-chanteur.
Difficile de croire que les Italiens n'ont sorti qu'un EP de 4 titres en fin d'année dernière en voyant l'immense qualité des compositions, comme le flamboyant "Il tempo si è guastato". Un groupe à suivre et à soutenir tant il élève le niveau du screamo italien voire européen.
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Poppy – Eat (NXT Soundtrack)
Metalcore / Metal alternatif – USA (Sumerian)
Poppy est une grande curiosité dans le paysage musical mainstream. Argument marketing pour capitaliser sur les musiques extrêmes et le succès des groupes de kawaii metal ou proposition originale et sincère d'hybridation entre metal et pop ?
Si beaucoup de médias se sont déjà penchés dessus, ce n'est probablement pas la bonne question à poser pour une musique de la génération Z qui s'amuse à brouiller les pistes et à ne pas adopter les mêmes arguments puristes que la génération précédente.
Poppy est une artiste fascinante qui avec son album de début 2020, "I Disagree", a fait une très solide proposition de metal alternatif aux touches industrielles et au chant pop sucré. Pas étonnant d'apprendre que derrière le succès de Poppy, c'est Sumerian Records, le label historique des musiques saturées alternatives aux prétentions mélodiques.
L'artiste prolifique est revenue début juin pour une bande-son pour la division NXT de la WWE. Au metal alternatif succède le metalcore, tout aussi raccord pour accompagner du catch (Code Orangel'avait déjà fait il y a deux ans).
Les trois premiers morceaux sont dans une veine metalcore avec un chant saturé très réussi sur "EAT" et un breakdown intéressant sur "Say Cheese". Mais j'ai l'impression que le chant pop fonctionne moins bien dans son mélange avec le metalcore. Finalement, les seuls passages intéressants sont ceux où le chant et les guitares sont saturés, ce qui me fait m'interroger sur la pertinence de la juxtaposition des deux styles. Les deux derniers morceaux vont davantage chercher du côté du metal alternatif comme on y était habitué sur "I Disagree" et sont pour moi les deux moins intéressants de l'EP, curieux dans l'assemblage mais générique dans l'exécution. Finalement, le morceau qui surnage est "Say Cheese" avec son riff death metal et sa composition chaotique admirable. J'ai du mal à voir le reste au-delà de l'anecdotique.
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Feverchild – S/T
Midwest emo – Belgique (auto-production)
Qui eût cru qu'en 2021, un quintet belge formé par des habitués des scènes hardcore, se lance dans le revival midwest emo à la Mineral ou Sunny Day Real Estate ? Et je ne parle pas d'American Football-worship ou d'emo indé à la The Hotelier ou Brand New. Feverchild sort un album qui, à la virgule près, aurait pu sortir en 1998.
Composé de membres de Minded Fury (metalcore à la belge) et Animal Club (hardcore), Feverchild s'avère prodigieux dans l'art de l'émulation. Les arpèges et les voix lancinantes semblent sortir directement du poitrail d'un adolescent blasé du Colorado. Tout est juste, poignant sans être larmoyant et puissant sans trahir la fragilité du style.
Mais au-delà d'une ambiance ciselée, les morceaux sont juste des tubes à la justesse et l'efficacité irrésistibles. Des lignes de chant de "Stargazing" à l'interlude fin et subtile sur "04.01.16", cet EP est un sans faute absolu.
Ne perdez pas votre temps à trouver les références du groupe et laissez vous submerger comme il se doit par la vague de nostalgie amère que propose Feverchild.
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Soul Glo – DisN***a, Vol. 2
Hardcore – USA (Epitaph)
Avec une troisième entrée dans les épisodes de la Bagarre, Soul Glo devient l'artiste le plus mentionné de la rubrique. En même temps, le projet hardcore de Philadelphie s'échine à sortir EP excellent sur EP excellent.
Cette fois il s'agit de la suite de l'EP que je mentionnais dans les bonus du Raton et la bagarre #9. Je vous y disais également qu'il était trop court pour avoir sa propre entrée. Ce "DisN***a, Vol. 2" n'est pas plus long, mais il est tellement puissant et efficace que je refuse de ne pas lui donner la place qu'il mérite.
Alors que le volume 1 s'essayait à des incursions hip-hop indus à la Death Grips, le volume 2 reste concentré sur le hardcore au chant écorché si reconnaissable de Pierce Jordan. On y retrouve toujours les influences du hardcore des années 80 et une instrumentation crachotante à toute vitesse, qui parfois rappelle la scène thrashcore.
Le groupe confirme une fois de plus sa démarche novatrice dans la scène. Composé de personnes racisées, Soul Glo a aussi à cœur d'évoquer des sujets marginaux dans le hardcore. Sur cet EP, c'est le frénétique "Yerrrnin" qui évoque la difficulté d'aimer après un traumatisme émotionnel, questionnant la frontière entre l'aromantisme et le cynisme de la toxicité passée.
Toujours aussi excellent, toujours aussi nécessaire.
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Drug Church – Tawny
Post-hardcore – USA (Pure Noise)
Si vous avez porté une attention même distraite à la scène new youth crew, vous avez déjà entendu parler de Drug Church, le groupe américain qui a dynamité les codes du post-hardcore énergique et jovial.
Avec le succès de "Cheer", leur dernier album, et porté par l'ultra-tube "Weed Pin", le groupe a trouvé une recette détonante en mélangeant au post-hardcore des influences emo dans le delivery vocal et le goût du rock alternatif pour les gros riffs accrocheurs.
Je dois pourtant confesser un manque de passion pour "Cheer" dont j'aime l'esprit mais qui, à mes oreilles, ne fait que répéter la même recette de composition sur dix morceaux.
Fort heureusement, sur un EP 4 titres, le groupe n'a pas de mal à être plus digeste et percutant. D'autant plus qu'ici, Drug Church nous fait la jolie surprise d'apporter des influences et des sonorités post-punk. Des riffs jangly, des guitares aux tessitures anguleuses et des arpèges dans la reverb' viennent enrichir "Head-Off", "Tawny" et "Remember to Forget".
Mais c'est surtout à "Bliss Out" de porter le disque, par une frappe classique mais efficace de la part du groupe qui écrit là une suite à "Weed Pin". Impression renforcée par le fait que ce single était paru il y a déjà un an et demi, plus proche d'une chute de studio de "Cheer" que d'un inédit.
Les fans seront convaincu.e.s, les curieux.ses y auront de quoi épancher leur soif, mais les détracteur.se.s feraient mieux de passer leur chemin.
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All Due Respect – Demo
Metalcore / Beatdown – USA (DAZE / Streets of Hate)
La première démo de All Due Respect va être un passage obligé pour tous les forbans qui lisent cette rubrique. Formé par des membres de la scène du Massachusetts (Restraining Order et Maniac) et de Long Island (Andrew, le guitariste, officie également dans Sanction, Out for Justice et King Nine), All Due Respect vient se garer sur la ligne entre metalcore et beatdown.
Riffs chuggy, gang vocals, attitude de gros bandits et influences Merauder, ou Cold As Life et Irate en moins metal ; les 4 loustics poussent même le délire jusqu'à inclure un sample de Clay Davis, le politicien corrompu de The Wire avec son magistral "sheiiiiit". Comble du bonheur finaud, la tape est sortie chez DAZE, le label/distro incontournable de la nouvelle scène north east coast.
Je ne voulais pas laisser qu'un seul groupe de voyou car je sais que certains d'entre vous aiment ce genre de friponnerie et notamment le Gridiron que je vous avais présenté dans l'épisode #7. Alors régalez vous et faites attention à votre mobilier.
Sur ces deux mois, j'ai peiné à trouver davantage de sorties croustillantes que celles que je viens de vous mentionner. Mais pas de panique, j'ai toujours ce qu'il faut dans ma besace avec du bourrin et du curieux :
- On ne vous parle pas de Turnstile car on attend la sortie de l'album pour vous exposer en détail notre amour du groupe. Mais il va sans dire que l'EP/court-métrage "Turnstile Love Connection" est exceptionnel, que les deux singles sortis depuis ("Blackout" et "Alien Love Call" en feat avec Blood Orange) sont fantastiques et qu'on trépigne d'impatience pour écouter le résultat de toutes ces promesses, avec un Turnstile qui a mis le paquet du côté des arrangements sans oublier ses riffs signatures.
- Les trois-quatre débiles du fond apprécieront grandement le premier EP des zozos du Michigan, Big Deal. Très loin de Vincent Lagaf, le groupe cultive un metalcore gonflé au thrash crossover. Si vous avez eu des papillons dans le bidou avec Judiciary ou Drain et que Power Trip vous manque, il y a de grandes chances que ça vous parle. Même chose si vous aimez les breakdowns d'abrutis et les riffs de Slayer dans le hardcore (le morceau "Master of Manipulation" a le même lick que "Raining Blood").
- Si vous avez adoré No Longer at Ease et souhaitez quelque chose dans le même esprit, Time and Pressure vient de sortir un deuxième album, toujours dans un esprit hardcore mélodisant de la côte Est, particulièrement Bane ici. C'est très bien écrit, avec des lyrics malins et une intensité inconditionnelle.
- Pour aller vers quelque chose de plus original et qui s'éloigne des sphères du hardcore stricto sensu, n'hésitez pas à écouter le nouvel album du projet digital hardcore anonyme Neupink. Typique de la réappropriation par la génération Z des textures électroniques, Neupink est un projet solo dont l'auteur.trice n'a que 20 ans et qui impressionne de maîtrise. En plus, l'artiste y invite des noms familiers de cette rubrique avec Your Arms Are My Cocoon ou Avenade.
- Les plus extrêmes d'entre vous pourront également se pencher sur le nouvel EP des Américains de Hellhook. Soyez prévenu·e·s, le groupe de Tucson, Arizona, fait partie des méchants avec un negative metalcore diaboliquement sombre nourri au edge metal et au H8000 belge, avec des riffs qui font l'effet d'un nerf de boeuf dans le creux poplité. Ça ne vous surprendra pas d'apprendre que l'enregistrement, mixage et production ont été assurés par Taylor Young, batteur de Nails, guitariste de Twitching Tongues et producteur de God's Hate, Xibalba, Code Orange ou Mortality Rate.