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Raton et la bagarre #4

jeudi 4 juin 2020
Raton

Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.

Bienvenue dans le quatrième épisode de Raton et la bagarre, la chronique qui revient sur les récentes sorties des scènes hardcore !

Avril et mai ont apporté un peu plus de sorties que les premiers mois de l'année, mais les sorties AAA et AA restent rares. Mai semble un peu changer la donne avec le retour de Xibalba, le nouveau ACxDC ou Umbra Vitae, le nouveau supergroupe formé autour de Jacob Bannon. Néanmoins, je vous ai concocté une petite sélection variée et gorgée de soleil pour accompagner votre retour à l'air libre et vos après-midis dans les parcs et autres quais. Au programme donc : deux délicieuses doses de thrash crossover, du hardcore de voyou, du hardcore mélodique, de la powerviolence, toujours une part d'émotions avec du post-hardcore et du screamo aventureux, sans oublier deux sucreries moins conventionnelles avec du D-beat et du death beatdoom.

Et pour m'excuser de ne pas avoir ferré un étrange poisson ce mois-ci et de vous offir une sélection trop dominée par les Américains, je vais vous parler de neuf albums au lieu de huit.

 

Drain – California Cursed
Thrash crossover – USA (Revelation Records)

L'album commence par le bruit des vagues qui lèchent le rivage californien, les mouettes hurlent et quelqu'un tombe dans l'eau. Surgit le premier riff, acéré et typique de la Bay Area, qui se retrouve rapidement accompagné d'un martèlement de batterie sourd et davantage emprunté au hardcore. Le décor est planté : du thrash crossover hurlé par un type en short de bain, avec pour toile de fond les plages du Golden State.

Le label nous dit que Drain reprend l'énergie contestataire de Bl'ast, originaires également de Santa Cruz. La paternité n'est pas évidente car Drain emprunte une voie plus voyou et incisive que les légendes locales avec notamment des gros breaks beatdown (celui de "Character Fraud" ne laisse pas indifférent). Dès "Feel the Pressure", le chanteur Sam Ciaramitaro fait montre d'un phrasé impressionnant et ultra rythmé, avant que "Hyper Vigilance" ne confirme le pressentiment avec un break nasty (vous savez ce terme employé par les ricains pour désigner des passages vicieux, qui s'écoutent avec les sourcils froncés et l'envie d'en découdre). Seule pause dans ce disque à l'efficacité indéniable : "Hollister Daydreamer", interlude électrique de milieu de disque qui pourrait sortir tout droit d'un disque de thrash de la grande époque de la Bay Area...

 

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Viva Belgrado – Bellavista
Post-hardcore – Espagne (Aloud)

On aurait tort de considérer Viva Belgrado comme un second couteau de la frange screamo/post-rock qui s'est largement développée dans le sillage des City of Caterpillar et Envy. L'hybridation entre les deux genres pouvait sembler incongrue à l'époque où le hardcore restait une scène hermétique, mais très vite la perméabilité entre les deux est devenue évidente tant le post-rock moderne a pour but de faire transpirer les émotions dans les crescendos instrumentaux alors que le screamo exprime cette même intensité émotionnelle par le biais de la voix.

Viva Belgrado a su prouver son intérêt avec des choix artistiques pertinents. Sur leur premier album, "Flores, carne" en 2014, le groupe avait fait le choix d'employer un screamo radical avec un chant saturé en espagnol et qui se développait sur une élégante toile de fond post-rock scintillant. L'ambiance était désespérée mais romantique, avec des lignes de chant mémorables.
Sur ce troisième disque, les Espagnols font évoluer leur son et s'orientent bien plus clairement vers un post-hardcore qui rappelle plus que fortement La Dispute. Le chant n'est plus que rarement saturé (sur le mélancolique et excellent "Un collar" et sur "Lindavista"), on se rapproche d'une scansion en voix de tête, typée emo. Des sonorités synthétiques interviennent même sur "Más triste que Shinji Ikari" qui est le morceau qui s'éloigne le plus clairement des racines du groupe pour aller fouiner du côté du rock indé.
Bien plus mélodique et accrocheur, cet opus n'en est pas pour autant dénué d'intérêt. Viva Belgrado maîtrise véritablement les progressions mélodiques et les hooks dans les phrasés vocaux. La section instrumentale ne manque pas de moments de bravoure et même si on pourrait regretter quelques compos plus lisses, "Bellavista" ne démérite pas et saura parler à celles et ceux qui aiment La Dispute et quand le post-hardcore lorgne du côté de l'indie et de l'emo.

 

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Rotting Out – Ronin
Hardcore – USA (Pure Noise)

Rotting Out fait partie de ce "new youth crew" dont je vous avais parlé dans un précédent article et qui se définit par une musique survitaminée, des refrains débonnaires, une foultitude d'hommages aux scènes old school dans un hardcore nettement référentiel et joueur (les tenants du post-modernisme dans le hxc ?). Plus spécificiquement les Californiens font dans le hardcore de rue, rugueux et efficace, avec çà et là des références au thrash crossover (Suicidal Tendencies n'est jamais loin).

Ça faisait 7 ans que le groupe n'avait pas sorti de LP et 5 ans depuis le dernier EP. Il faut dire que la condamnation à un an et demi de prison du chanteur pour la possession de plus de 300kg de marijuana n'a pas aidé.
Chez Rotting Out pas de constructions alambiquées ou de progressions savantes, tout est aligné pour maximiser l'efficacité, des refrains choraux aux riffs saccadés en passant par les inévitables breaks de voyous. On se retrouve donc tout naturellement avec des tubes de hardcore estival comme "Vessel" ou "Unforgiven" qui donnent envie de faire du skate sur les ballades littorales de LA.
Au milieu de cette pétarade, difficile de se rendre compte que les paroles abordent des sujets sombres ("Unforgiven" et l'enfance avec un parent abusif, "Stones" et la difficulté de grandir dans le ghetto) et loin de l'énergie positive des morceaux.

Rien de nouveau sous le soleil californien, mais parfois il ne faut rien de plus que des riffs à grumeaux et des spin-kicks en pantacourt.

 

 

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Mindforce – Swingin Swords, Choppin Lords
New York hardcore / Crossover – USA (Triple B)

Si le nom de Mindforce ne vous dit rien, je vous envie. Non pas parce que le groupe aurait mieux fait d'être oublié par tout un chacun, mais parce que je me rappelle avec délice de la première fois que j'ai croisé la route des Américains. C'était avec "Excalibur" de leur album de 2018 et le coup de foudre avait été immédiat.

C'est l'histoire de quatre kids de l'État de New York, biberonnés au New York hardcore et au thrash, qui ont décidé de proposer la rencontre explosive des deux styles. Entre hommage et nouvelle proposition juvénile, ils évoluent en plein "new youth crew" avec une énergie sauvage et insolente. Hardcore metallisant aux riffs thrash bestiaux, Mindforce jouit d'une science de l'efficacité et transforme chaque refrain en hymne.
Sur cet EP c'est surtout le cas de "Fratello", espèce de pavé déjà culte au break incendiaire et aux riffs coupe-gorges ; même si le reste ne démérite pas.

Les inconditionnel·le·s de vieux NYHC qui cherchent un peu de nouveauté, ainsi que les fans de Power Trip et de Backtrack prendront inévitablement leur pied.

 

 

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Infant Island – Beneath
Post-screamo ? – USA (Dog Knights)

Je vous avais déjà parlé de mes quelques réticences à l'égard d'une partie de la scène screamo américaine qui avait tendance à devenir un peu trop lisse et à trop se reposer sur des gimmicks de production encombrants. Infant Island est au strict opposé de cet écueil. Screamo rebelle et teigneux, bordaillant l'emoviolence par moments, le groupe utilise toutes ses influences post- pour construire des ambiances cauchemardesques soutenant une voix à l'intensité folle.

Le groupe avait déjà sorti un excellent EP en avril, "Sepulcher", plus frontal et dont le dernier morceau, "Awoken" conjugue les envolées éclatantes du post-rock aux éructations amères du screamo dans une déflagration de maîtrise confinant souvent au black metal atmosphérique.
Ce LP, enregistré avant l'EP, ne va pas suivre la même route et propose une palette plus large et plus immersive. Les deux premiers morceaux évoluent davantage dans un registre noise/ambient qui pave le chemin pour le coup de grisou qu'est "Content". Je vous avoue peiner à trouver les mots justes pour une proposition aussi mature et changeante. Chaque piste évolue intelligemment vers la suivante, poussant systématiquement un cran au-dessus la rencontre entre les techniques screamo, les environnements menaçants du post-metal et la rugosité aigre du black metal.
Sans aucun doute l'album de cette sélection, "Beneath" est une oeuvre sale et saturée, mais bouillonnante d'intensité et dont la proposition sonore fera date dans le style.

 

 

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Xibalba – Años en infierno
Death beatdoom – USA (Southern Lord)

On en connaît tous des groupes patauds, des groupes dont les chroniques ne sont qu'un grand champ sémantique de la lourdeur et du gras auditif. La surenchère dans le neuneu lent et dévastateur a été assez consternante ces dernières années, mais si un groupe émerge bien du tumulte et met tout le monde plus ou moins d'accord, c'est les vilains pépères de Xibalba. Alors, accrochez-vous car c'est l'heure de la Xibalbagarre.

Au début de leur carrière, les Américains trouvaient leurs racines dans le metalcore lorgnant sur le beatdown. Mais de sorties en sorties, ils ont incorporé des éléments death qui ont fini par prendre une place centrale dans leurs compositions. D'abord des éléments deathcore sur leur éponyme puis sur "Hasta la muerte", puis du death metal pur et dur sur "Tierra y libertad". La dernière étape de leur évolution est donc logique : les éléments metalcore ont été purgés et le deathcore n'est plus qu'une ombre distante sur le magma death bouillonnant et implacable. Sur "Santa Muerte", j'ai même eu du mal à ne pas être surpris, tant l'approche est death doom : riffs de nuit sans lune, lenteur claustrophobe, visions d'enfer en slow motion. Même si le groupe s'éloigne de ses origines metalcore, on n'échappe pas aux riffs mid-tempo en chuga chuga comme sur l'intro sur-efficace de "El abismo, pt. 1". Ce diptyque final s'aventure dans des terrains inédits pour le groupe ; croisade death-doom aux relents de souffre et au souffle épique.
"Años en infierno" fait radicalement évoluer le son de Xibalba mais ne démérite à aucun moment et conserve cette mentalité de voyou au surin tout du long, même dans les passages les plus lents. Et une transformation aussi réussie, on ne peut que la saluer.

 

 

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ACxDC – Satan Is King
Powerviolence – USA (
Prosthetic)

Malgré une discographie LP extrêmement maigre (cet album n'est que leur deuxième long format en 16 ans), ACxDC a sorti une quinzaine de démos, EPs et autres splits et est très largement considéré comme un groupe pilier de la powerviolence. Si Nails représente le côté commercial du style, ACxDC incarne un aspect plus classique et en référence à la première vague de PxV. Mais le groupe ne s'arrête pas au pastiche et prend des chemins beaucoup plus groovy entre deux explosions de nervosité ("Gorged" l'exemplifie bien).

De la powerviolence frontale (pléonasme sans doute), quasi archétypale (si le Larousse pouvait mettre des définitions audio, des morceaux comme "Matapocos" serait idéale pour le paragraphe sur le style - en plus d'évoquer Los Crudos -) avec de multiples changements de rythme, les passages obligatoires en mid-tempo, les déflagrations et les éructations sur une production massive. Tout est réuni dans un parfait petit Abécédaire de la powerviolence, mais se fait au détriment de la pertinence du disque. Je n'étais déjà pas fan de "Antichrist Demoncore", leur premier opus, et celui-ci ne me réconcilie pas vraiment avec les Américains. Tous les morceaux se ressemblent et la production s'avère bien trop lisse pour retranscrire les grumeaux et l'âpreté du genre. Certains morceaux parviennent tout de même à maintenir le disque à la surface ("Come Out Fighting" notamment).

Une production pas dénuée d'intérêt pour se familiariser avec la PxV, mais qui peine à nouveau à se transformer en plaisir d'initié.

 

 

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Wake the Dead – Still Burning
Hardcore mélodique – France (auto-production)

Je me permets pour une fois de briser la règle des deux derniers mois, car je n'avais pas encore reçu le disque des Marseillais de Wake the Dead. Ne m'en tenez pas rigueur, il est bien acceptable de faire une entorse pour promouvoir notre scène nationale. On entend trop souvent dire que la scène HxC française manque de vigueur dans ses styles les plus traditionnels, c'est donc normal de mettre en avant les artistes prometteurs pour sortir de l'éternel paradigme Kickback-RotNS.

Le groupe se tourne vers un hardcore mélodique réminiscent des meilleures heures de Counterparts ou Comeback Kid (le nom du groupe étant une référence au deuxième album culte des Canadiens) avec une pincée de positive hardcore. Certes, il ne s'agit pas d'un hardcore qui réinvente la roue, mais pourquoi serait-on prompt à pardonner les Américains qui s'auto-pastichent en permanence et fustigerait-on les groupes français qui osent se lancer dans un style aux codes lourds tout en y apportant une énergie et une sincérité forte ?

D'autant plus que le hardcore mélodique de Wake the Dead est bien plus que convenable. Des titres forts ("All My Flames", "Back for More" ou le morceau de clôture "Own Identity") marquent le disque qui ne contient pas le moindre filler (ce qui est loin d'être rare dans le style). Fort agréablement, le groupe évite aussi tous les gimmicks qui alourdissent beaucoup trop d'albums du style : les breaks ne sont pas des appels au suicide de neurones, les refrains évitent l'écueil du choral facile et les progressions sont solidement composées. Une proposition tout à fait pertinente qui a le grand mérite de renouveler la scène hardcore du sud de la France.

 

 

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Rat Cage – Screams From the Cage
D-Beat – Royaume-Uni (La vida es un mus)

Ça fait longtemps que la scène D-Beat n'est plus aussi vivace qu'à son époque dorée. Il y a bien eu les Scandinaves - et surtout les Suédois - pour mettre des gros coups de rangers dans la fourmilière, mais récemment à part Wolfbrigade, pas grand chose n'est parvenu à faire du bruit. Fort heureusement, il y a encore des petits nerveux et irréductibles qui continuent à propager la crasse et la rapidité. C'est le cas du one-man band britannique Rat Cage, qui ne prend pas la peine de faire les présentations et préfère envoyer une volée de bois vert en guise de bonjour.

Douze morceaux à fond les galtouses, du touka-touka en intraveineuse, avec un type qui nous hurle dessus des insanités sur des rats en perfecto et sur l'immoralité de la politique anglaise. Musicalement, ça puise beaucoup dans le kängpunk suédois (Totalitär et Disarm sont cités) tout en évoquant le speed sous amphet' motorheadien. Impeccable.

 

 

Et comme d'habitude, pour satisfaire les plus voraces d'entre vous, quelques recommandations de rigueur, assez nombreuses car j'ai écouté un paquet de trucs intéressants ces deux derniers mois :

  • Umbra Vitae, le nouveau projet de Jacob Bannon qui après s'être essayé au post-rock quand il ne sortait pas tueries sur tueries pour Converge, se lance dans le deathcore/death metal avec des (ex-)membres de The Red Chord, Hatebreed, Twitching Tongues, Job for a Cowboy.
  • L'excellent split qui réunit les Américains d'Amitié, les Colombiens d'Empatía et les Canadiens de Marée noire : du screamo de très haute volée.
  • Thin et son premier album "Dawn", mathgrind très efficace et pertinent (pour fans de Daughters première période et The Dillinger Escape Plan).
  • Concrete Lawn, sympathique mélange entre hardcore et post-punk/deathrock, feel good et énergique.
  • "What a Wonderful World", le premier EP de Smile, metalcore suisse militant et hargneux.
  • State Faults a aussi sorti un nouvel EP, "Moon Sign Gemini" mais qui s'avère assez dispensable (un seul titre inédit pour deux morceaux du dernier album et une version démo).