"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Il sera toujours difficile de dissocier la carrière actuelle de Blaze Of Perdition de l’événement tragique survenu il y a sept ans. Cet accident sur les routes d’Autriche qui a brisé le groupe polonais, emportant son bassiste 23 et laissant des séquelles au batteur Wizun ainsi qu’au chanteur Sonneillon. Le groupe en demeure marqué, et les marques sont visibles, jusque sur scène où l’on peut désormais retrouver Sonneillon… en position assise, lui qui jusque là avait été remplacé par Destroyer (ex-Hate et Kriegsmaschine), bien qu’il n’ait jamais quitté son poste en studio. Les stigmates demeureront, et la musique restera elle aussi marquée au fer rouge. Depuis son troisième album Near Death Revelations (2015), qui suivait deux bons albums mais communs de Black/Death polonais, où le groupe a puisé tout son ressentiment pour passer à un tout autre niveau d’intensité pour le genre. Un album assez énorme arrivé, hélas, dans d’étranges et tristes circonstances. Mais la carrière de Blaze Of Perdition continue, même si elle a changé à jamais. Est alors arrivé Conscious Darkness (2017), album qui poursuivait l’œuvre entamée par Near Death Revelations mais d’une autre manière, troquant la violence contre une légère introspection. Avec quatre longs morceaux, Blaze Of Perdition était presque passé dans un registre « progressif », à sa manière et toujours pétri de sa véritable expérience de mort imminente. La question de la suite se posait, et l’on a appris bien vite que Blaze Of Perdition avait séduit outre-Atlantique en passant d’Agonia Records à Metal Blade. L’attente aura d’ailleurs été un tantinet longue, pour un groupe comme les autres finalement, mais Blaze Of Perdition n’est pas, ou plutôt n’est plus, un groupe comme les autres… Sa musique, à l’aura très particulière, est attendue, avec une fascination morbide finalement ? Ne laissons pas de place à un quelconque malaise et apprécions ce que ce groupe presque « ressuscité » nous propose avec ce qui est son cinquième album, et son troisième de l’« après », The Harrowing Of Hearts.
Avec Conscious Darkness, Blaze Of Perdition avait en quelque sorte passé l’étape du deuil et s’oriente maintenant vers une forme de paix et de rédemption. D’ailleurs, le line-up a connu un changement important vu que Wizun, touché dans l’accident, n’est désormais plus de la partie, remplacé par DQ (passé par Arkona, Mord’A’Stigmata et Thy Worshiper). Une page se tourne ainsi, même si le groupe n’a toujours pas de bassiste attitré en tant que tel (c’est Wyrd, leur bassiste Live, qui s’en est chargé pour cet album), et quand bien même il s’est doté d’un second guitariste (M.R., de Bloodthirst et In Twilight’s Embrace). Le passé n’est pas oublié mais Blaze Of Perdition se doit d’avancer, jusque dans les paroles qui reviennent à des thèmes plus classiques du Black orthodoxe. Et ne va pas redevenir le groupe efficace mais sans fioritures de Black/Death orthodoxe qu’il était pour ses deux premiers albums. Au contraire, il va encore plus appuyer ce qu’il avait fait pour Conscious Darkness et va même aller au-delà. L’intensité et la fureur de Near Death Revelations ne sont plus forcément de mise à chaque instant, même si l’on sent toujours une certaine tension inhérente dans certaines compos, et notamment dans le chant de Sonneillon (ou S., comme notre camarade chroniqueur), toujours à fleur de peau et possédé comme jamais par sa performance. Plutôt que l’agression du Black/Death, qui reste néanmoins présente par endroits car on a toujours affaire à un pur groupe de la scène polonaise, Blaze Of Perdition va ici se focaliser sur les atmosphères, le côté mélodique et même épique, tout en restant dans un registre très noir et sombre. On part sur les mêmes bases que Conscious Darkness mais au sein de morceaux moins longs pour un The Harrowing Of Hearts très digeste. Voire même un peu trop ? Aux premières écoutes, on peut trouver l’ensemble un peu plat, d’autant que le premier single dévoilé "Transmutation of Sins" était tout bonnement énorme, se situant bien entre les vibes respectives de Near Death Revelations et Conscious Darkness avec des nouveautés surprenantes. Mais il faut se laisser porter et apprivoiser le virage, au départ étrange, au final évident qu’est en train de prendre Blaze Of Perdition, ou qu’il a déjà pleinement pris, toujours à sa manière. The Harrowing Of Hearts est un vrai grower, qui nous amène vers un Blaze Of Perdition proposant un Black-Metal plus classieux et raffiné, inattendu il y a encore quelques années.
Ils sont de plus en plus nombreux les groupes qui, au départ, pratiquaient un Metal extrême, Black ou Death, presque cru ou old-school, et qui ont fini par prendre un virage total et assumé vers quelque chose de plus « gothique » ou « progressif ». Je veux bien sûr parler des Tribulation, Morbus Chron ou Chapel Of Disease, voire Secrets Of The Moon ou les musiciens arrivés dans Grave Pleasures pour le style qui nous intéresse présentement, tous passés d’un Metal extrême à une musique plus connotée Goth, 70’s ou Post-Punk. Vous me voyez venir, mais pas tout à fait : Blaze Of Perdition semble prendre ce virage également. « Semble » seulement car il ne va pas totalement tomber dedans, peut-être The Harrowing Of Hearts sera une transition mais seul l’avenir nous le dira. Il va plutôt, et déjà, trouver un équilibre, comme Tribulation a d’ailleurs pu le faire bien vite, et bien mieux que ne l’a fait Secrets Of The Moon (ou encore Watain sur The Wild Hunt) pour rester dans un domaine Black-Metal à la base. Dès un morceau comme "With Madman’s Faith", on sent poindre des rythmes tendant vers la New-Wave et le Post-Punk, et avec le recul, il y en avait même déjà sur "Transmutation of Sins". Les mélodies proposées sont à l’unisson, plus proche d’hymnes gothiques comme peut le faire Tribulation par ailleurs. Et avec encore plus de recul, Conscious Darkness avait déjà ces prémices, me faisant dire que c’était lui l’album de transition. Mais voilà, The Harrowing Of Hearts reste malgré tout un pur album de Black-Metal, le chant arraché est là pour le prouver de toute manière, de même que les compos les plus offensives, mais Blaze Of Perdition a pris un virage un peu plus enlevé et raffiné avec des influences évidentes. Et d’ailleurs, on ne s’y trompera définitivement plus quand on remarque qu’en bout de course, se trouve une reprise de "Moonchild" de Fields Of The Nephilim, groupe que les non-initiés ont peut-être oublié vu qu’il n’a rien sorti depuis 15 ans et l’exceptionnel Mourning Sun. Voilà à quoi ressemble Blaze Of Perdition en 2020, lavé de toutes ses galères tragiques, et prêt à prendre un nouveau départ sous un jour nouveau, plus rafraîchissant et très intéressant, d’autant que l’inspiration est toujours au rendez-vous.
Après une introduction nous rappelant immédiatement l’ambiance de Conscious Darkness - la production est d’ailleurs similaire et même un peu meilleure - "Suffering Made Bliss" retrouve d’emblée, et malgré tout, une certaine forme d’urgence et d’intensité avec ces blasts soutenus et ce chant libérateur. Mais très vite, on constate que le paysage mélodique sera assez lumineux, sans jamais renier la noirceur du Black-Metal. Un opener assez classique dans l’absolu, qui se fait d’ailleurs très lancinant et même occulte avec des lignes vocales prenantes et hypnotiques, qui annonce une partie de la couleur. Car c’est "With Madman’s Faith" qui lance vraiment The Harrowing Of Hearts et ses particularités, dès les premières secondes avec des mélodies enfumées et mortifères typiques, et l’on retrouve ensuite une ambiance assez gothique qui n’a rien à envier à ce que fait Tribulation, avec quelques patterns de batterie typiques également (et même des lignes de basse), entre des moments de furie de BM polonais (et une partie centrale monumentale avec des écarts de voix impressionnants). L’équilibre est déjà là, et se confirme dès "Transmutation of Sins" qui est au final un énorme hit, tout y est parfait et l’on se surprend même à trouver ce morceau catchy, avec des rythmes accrocheurs entre Post-Punk très metallisé et Black’n’Roll, un refrain ultime, des leads gracieux et un ensemble toujours ancré dans un Black-Metal polonais très mordant malgré tout. Mais le paroxysme du « nouveau » Blaze Of Perdition est ensuite atteint sur "What Christ Has Kept Apart", où l’ensemble des compos est ancré dans un style Goth/Post-Punk bien noir et mâtiné de Black-Metal polonais, on ne s’y trompera pas sur les rythmes proposés qui donnent la bougeotte ainsi que les mélodies enlevées, et à nouveau le groupe se permet d’être particulièrement catchy sur le refrain (et lorgner vers ce qu’a fait Nachtmystium sur ses dernières œuvres également). Et l’équilibre est toujours parfait, Blaze Of Perdition réussissant d’ailleurs à conserver l’intensité qu’il avait mise en place sur Near Death Revelations, même si ce n’est plus ce qu’on retient en priorité de sa musique désormais. Mais beaucoup de groupes qui ont tenté ce « virage » l’ont raté, ou sont allés tellement loin qu’ils ont totalement changé de style, Blaze Of Perdition lui fait preuve d’une fluidité et d’une maîtrise exemplaires de sa mixture et tutoie déjà la perfection.
Reste alors, au milieu de ces hymnes de cave-à-chauve-souris, du Blaze Of Perdition capitalisant très bien sur ce qu’il avait fait sur Conscious Darkness, à commencer par l’assez classique mais enivrant "Królestwo Niebieskie", très mélodique et même franchement épique, avec un chant particulièrement libérateur - intégralement interprété en polonais sur cette piste, et toujours sous le joug d’une certaine intensité qui caractérise Blaze Of Perdition depuis son tragique accident. Et l’on ne pourra pas non plus passer à côté du monumental "The Great Seducer", un hymne assez impressionnant de Black orthodoxe très mélodique, avec toujours ces envolées de leads émaillant la musique de Blaze Of Perdition depuis un petit moment ; avant un break ambiant hérité de Conscious Darkness et un grand final porté par un S. très ritualiste et plus possédé que jamais, accompagné d’un solo très gothique encore. La véritable clôture se fera sur la reprise, très personnelle, de "Moonchild" de Fields Of The Nephilim, qui résume bien à elle seule tout ce que Blaze Of Perdition a voulu faire sur ce très singulier mais totalement réussi The Harrowing Of Hearts. On pouvait craindre beaucoup de choses après Near Death Revelations, que le groupe s’arrête définitivement - ce qui aurait été logique après ce qu’il a vécu - ou qu’il n’arrive pas à tenir l’incroyable intensité dont il avait fait preuve. L’évolution a donc eu lieu, et le nouveau Blaze Of Perdition, repenti et apaisé, est arrivé après le déjà étonnant Conscious Darkness. Un Blaze Of Perdition qui prend donc le même chemin qu’un Tribulation ou qu’un Secrets Of The Moon, avec probablement les mêmes influences mais ses propres codes et ses propres équilibrages. Tribulation avait comme base son Death suédois old-school, Blaze Of Perdition a lui son background Black/Death polonais et les épreuves qu’il a traversé, c’est aussi simple que ça et la réussite est totale. Elle avait mis du temps à arriver et à convaincre pour Tribulation, The Harrowing Of Hearts est quant à lui parfait d’emblée. Même s’il faut du temps pour l’apprivoiser, quand bien même Conscious Darkness montrait la voie sans qu’on s'en rende compte en son temps, cet album se révèle bien vite comme la fusion idéale entre du Black-Metal orthodoxe assez furieux et un style baignant dans des eaux Goth/Post-Punk, avec en sus des morceaux géniaux et des moments forts, semblant toujours marqués par le passé tragique et tumultueux du groupe même si le deuil semble fait. Même si ce n’est pas le mélange le plus original que l’on peut croiser dans le domaine ces dernières années, il est totalement maîtrisé là où certains se sont cassés la gueule. On ne s’attendait peut-être pas à ça après Near Death Revelations, et on ne sait pas jusqu’où Blaze Of Perdition va pousser son évolution, mais The Harrowing Of Hearts est un album particulièrement séduisant, de Black-Metal mélodique et un brin « gothique » si l’on veut rester simple, proposé par un groupe devenu très fascinant de par ses expériences, qui force le respect et qui mérite de devenir une référence.
Tracklist de The Harrowing Of Hearts :
1. Suffering Made Bliss (7:51)
2. With Madman’s Faith (7:19)
3. Transmutation of Sins (5:59)
4. Królestwo Niebieskie (6:54)
5. What Christ Has Kept Apart (8:14)
6. The Great Seducer (9:29)
7. Moonchild (Fields Of The Nephilim cover) (5:42)