"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Il est difficile de parler de la carrière actuelle de Blaze Of Perdition sans évoquer l’événement tragique qui a eu lieu 4 ans auparavant. En novembre 2013, sur les routes d’Autriche, le groupe alors en tournée a été victime d’un violent accident qui emportera son bassiste 23 et causera de sévères blessures au batteur Vizun ainsi qu’au chanteur Sonneillon qui resta d’ailleurs dans le coma pendant un certain moment. Un véritable drame, qui n’a pas pour autant sonné la fin de l’aventure pour Blaze Of Perdition mais lui aura servi de tournant, humainement comme musicalement. Parti d’un Black-Metal orthodoxe mâtiné de Death polonais pour des deux premiers albums sous le blaze complet Blaze Of Perdition (après s’être simplement appelé Perdition), Towards The Blaze Of Perdition (2010) et The Hierophant (2011), le groupe désormais réduit au trio XCIII - Sonneillon - Vizun et n’ayant plus de bassiste attitré a pris une direction musicale plus assumée après avoir vu la mort de si près, le tunnel blanc, et le noir qui s’en suit. Near Death Revelations (2015), arrivant donc après un « split » d’un an, avait montré un Blaze Of Perdition sous un jour nouveau, renforçant à la fois son côté occulte et sa brutalité pour un album particulièrement intense, qui se permettait même de quasiment rivaliser par moments avec la référence déjà absolue qu’était Enemy Of Man de Kriegsmaschine sortie un an auparavant. Les accélérations salvatrices de "Królestwo Niczyje", le final incroyable et ultime de "Dreams Shall Flesh", les excellents et prenants "Into the Void Again", "Cold Morning Fears" et "Of No Light"… Amputé de quelques longueurs, Near Death Revelations aurait pu être un sacré chef d’œuvre. Blaze Of Perdition a été retourné et s’est servi de son histoire tragique pour rendre son œuvre musicale particulièrement intense. Et là-dessus, le groupe ne semble pas déterminé à rendre les armes et voici seulement deux ans plus tard son 4ème album, Conscious Darkness.
Blaze Of Perdition continue donc malgré tout à évoluer, et après avoir eu des révélations à l’approche de la mort, il est désormais conscient des ténèbres. Oui, je fais des facilités avec le nom des albums, mais dans le cas qui nous intéresse c’est totalement vrai, et jamais l’histoire d’un groupe ne se sera aussi bien mêlée à son concept et ses aspirations musicales, malgré les drames. Blaze Of Perdition a fait son deuil et s’est un peu apaisé, mais son fonds de commerce demeure tout de même le même, avec un Black/Death toujours très polonais et occulte, et l’intensité trouvée sur Near Death Revelations est toujours présente. Mais d’une autre manière… Quand on constate que Conscious Darkness n’est composé que de 4 longs morceaux, on comprend déjà que Blaze Of Perdition va encore davantage travailler son art. Plus Black que Death même si certains moments usent de la force de frappe résolument polonaise, Blaze Of Perdition change un peu. Et s’approche même désormais de la frange un peu plus mélodique du BM polonais, dans le sillage de Mgła et a l’image de formations comme Entropia, Mord’A’Stigmata ou encore In Twilight’s Embrace. Mais Blaze Of Perdition garde sa propre patte, son background Black-Metal évident (qui se traduit d’ailleurs par une production un peu plus abrasive que celle de Near Death Revelations), ses différentes particularités que ça soit dans le chant rocailleux et possédé, les riffs rangés, les leads lumineux, les patterns de batterie salvateurs, les accélérations subites et les ralentissements occultes. Seulement, le groupe laisse exprimer un côté plus mélodique, plus raffiné, plus atmosphérique même, dans un album passionnant qui regorge de surprises, et qui va asseoir Blaze Of Perdition comme une des formations les plus intéressantes en matière de Black-Metal polonais. C’est dit, les révélations ont amené une révélation…
Après un sample tiré de « The Young Pope », "A Glimpse of God" nous fait redécouvrir les éléments caractéristiques de Near Death Revelations mais sous un jour nouveau, les guitares sont mélodiques, les leads libérateurs, le Black/Death est toujours aussi mordant avec un batteur qui en a sous la semelle, mais Blaze Of Perdition est possédé comme jamais par son art, à l’image du chant encore plus à fleur de peau de Sonneillon. Prenant son temps pour mieux développer ses ambiances, le groupe prend donc un tournant relativement épique, et encore plus prenant. Si le seul morceau plutôt mélodique de Near Death Revelations, "When Mirrors Shatter", était assez dispensable, ici ce n’est plus la même musique tant le côté mélodique est bien amené et parfaitement distillé. "A Glimpse of God" offre donc déjà 11 minutes très prenantes, émaillées de quelques légers blasts, de trémolos transcendantaux, de riffs mystiques et de solos perchés, d’écarts de voix étranges, et de breaks presque aériens. Et pour couronner le tout, les compos sont inspirées, et Blaze Of Perdition a fait le taf pour retenir l’attention de l’auditeur pendant ces 43 minutes passionnantes. Et le meilleur est encore à venir, avec le monument de Conscious Darkness qu’est "Ashes Remain", près de 15 minutes au compteur. Le début réussit à retrouver l’intensité de Near Death Revelations, même si la composante mélodique s’installe petit à petit, mais toujours sous une certaine tension qui fait maintenant partie intégrante de l’identité musicale de Blaze Of Perdition. Les compos proposées sont sublimes, le chant de Sonneillon est irrésistible, le jeu de batterie de Vizun exceptionnel, le long pont rythmé et mélodique débutant vers 4’20 est juste incroyable. Et que dire du break central du morceau, où Blaze Of Perdition s’offre un voyage astral dans des contrées limites Floydiennes, à l’image de Nokturnal Mortum sur The Voice Of Steel, avec à la clé un chant récité inattendu (et des chœurs féminins apocalyptiques en fond). Cela finit de confirmer l’aspect plus atmosphérique et même un brin psychédélique de Conscious Darkness, qui est totalement réussi quand il se marie aux capacités et à l’inspiration du groupe polonais quand il s’agit de balancer un Black/Death intense et efficace, qui reprend d’ailleurs ses droits pour le grand final de ce fantastique morceau qu’est "Ashes Remain".
Blaze Of Perdition opère un virage plus mélodique mais n’en oublie pas pour autant ses fondamentaux, ce qui va d’ailleurs être mis en lumière par "Weight of the Shadow", le morceau le plus court (tout est relatif… 8 minutes) et le plus direct de Conscious Darkness, où dès le départ on retrouve la vibe des moments les plus inspirés de Near Death Revelations avec des riffs incisifs et un jeu de batterie technique, et les gros blasts finiront même par repointer le bout de leur nez dans un surplus bienvenu d’intensité. Les trémolos et les leads tirent tout de même leur épingle du jeu (avec à nouveau des moments légèrement Floydiens), mais Blaze Of Perdition montre ici qu’il n’a pas oublié qu’il avait en lui une énorme force de frappe et une certaine agressivité, qu’il doit expédier et libérer. Et après ce léger déferlement de violence, il est temps pour Blaze Of Perdition de viser la lumière avec l’habile conclusion de Conscious Darkness sur "Detachment Brings Serenity", toute en mélodies et lignes de chant épiques et ménageant encore quelques compos cossues et même un gros blast des familles, avant de se finir de manière encore une fois Floydienne et progressive, avec des chœurs clairs entraînants. Une forme de rédemption… pour un album assez somptueux, gorgé de moments de grâce, dans la lignée de Near Death Revelations mais sur une approche bien différente. On regrettera peut-être que le Black/Death polonais furieux ne se taille plus la part du lion, mais Blaze Of Perdition a su garder l’intensité de Near Death Revelations en un album plus aéré, mélodique et lumineux à sa manière, et ceci est un tour de force. Il reste quelques petites longueurs et, paradoxalement, le fait qu’il semble court du haut de ses 43 minutes en 4 morceaux, le chef-d’œuvre à la Enemy Of Man ça ne sera pas non plus pour cette fois ; mais Conscious Darkness est quand même une pépite et, au fur et à mesure des écoutes, mérite sa place parmi les albums remarquables de 2017. Une belle œuvre, pour un groupe qui a subi un tournant dramatique mais a su rebondir en se réinventant musicalement, et tirant une nouvelle force des évènements tragiques pour devenir un groupe assez intense en son genre, que ça soit dans les ténèbres ou la lumière. Ni blasé, ni perdu, Blaze Of Perdition est devenu, par le destin et le travail, une des sensations en matière de Black/Death polonais.
Tracklist de Conscious Darkness :
1. A Glimpse of God (10:59)
2. Ashes Remain (14:48)
3. Weight of the Shadow (7:58)
4. Detachment Brings Serenity (9:18)