"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Ces derniers temps, dès que Monolithe sort quelque chose, il faut faire chauffer sa calculette… Récapitulons. Après 4 albums sortis entre 2003 et 2013 constitués chacun d’une unique piste de près de 50 minutes, après deux EPs dans la même veine de la piste unique (même si Interlude Second était constitué de deux mouvements), après deux albums (Epsilon Aurigae et Zeta Reticuli) liés et tous deux constitués de 3 morceaux de 15 minutes tout pile, et après un septième album (Nebula Septem) constitué de sept pistes de sept minutes… voilà Okta Khora, huitième album qui aura à nouveau une structuration particulière autour, logiquement, du chiffre huit (d’où le terme grec « Okta », déjà). Huit pistes de huit minutes alors ? Cela aurait été logique mais un peu trop facile, et l’album aurait été long (64 minutes, bien que ça reste raisonnable pour du Doom). Non, Monolithe a plutôt opté pour… six pistes de huit minutes, tout pile à nouveau. Mais pour que ça colle un peu mieux, deux morceaux, "Okta Khora" et "Ignite the Heavens", ont été découpés en deux parties de 4 minutes chacune, et savamment intercalés entre les « vrais » morceaux de huit minutes (en intro et outro pour "Okta Khora", au milieu de l’album pour "Ignite the Heavens"). Cela nous fait donc huit pistes, et voilà le travail une nouvelle fois bien achalandé. Monolithe, ou les mathématiciens accrocs à la précision du Metal français ? On peut le croire mais on retiendra de toute façon l’ambition et la singularité du groupe, qui ne les ont jamais quittés depuis leur premier album en 2003. Une carrière qui commence d’ailleurs à être conséquente, même si une pause assez longue a eu lieu avant la sortie de Monolithe III en 2012. Et après les œuvres monolithiques de départ, Monolithe a un peu changé ses méthodes de composition. Après la structuration particulière de Epsilon Aurigae et Zeta Reticuli, le groupe avait fait l’effort pour Nebula Septem de proposer un album un peu plus classique dans la forme, avec des morceaux plus identifiables et mémorisables, sans perdre son identité sonore qui est ce Doom résolument cosmique, sombre et Kubrickien. Mais Monolithe ne sera jamais un groupe comme les autres. Okta Khora va le prouver en se plaçant à la fois dans la continuité de Nebula Septem mais en retrouvant l’esprit de ses œuvres plus denses…
On aurait donc pu penser qu’avec le temps, Monolithe allait de plus en plus raccourcir ses morceaux vu qu’on est passé de 50 minutes à 15 puis à 7… mais Okta Khora revient un peu en arrière pour coller à son concept toujours très étudié et fignolé. Ce sont donc 6 compositions qui nous sont proposées, enfin 8, ou plutôt 7 ou même… une seule, vu que Okta Khora va retrouver une certaine continuité entre morceaux qui nous rappelle les très (très) longues compositions de son début de carrière. Et si finalement, depuis le début, il n’avait pas fallu couper les compositions en mouvements distincts pour rendre le tout plus malléable ? C’est la question qu’on peut se poser mais les auditeurs experts de Monolithe le savent, il y a toujours eu des cassures et des moments forts au sein des morceaux du groupe peu importe leur durée. Quoi qu’il en soit, Monolithe est devenu plus accessible sans trahir ce qu’il a fait depuis ses débuts, et tout le monde peut s’en contenter. Okta Khora ne va pas déroger à la règle, suivant un Nebula Septem très réussi qui proposait pour la première fois des morceaux vraiment mémorables comme "Burst in the Event Horizon" ou "Engineering the Rip" (même si un "The Barren Depths" sur Zeta Reticuli valait déjà le coup). Et pour bien démarrer, Monolithe va choisir cette fois-ci de bien nous plonger dans l’ambiance, avec la première partie du morceau-titre, instrumentale. On retrouve immédiatement l’atmosphère si particulière du Doom Metal de Monolithe, ses mélodies sidérantes, ses riffs lourds quelque peu dissonants, sa batterie froide et dure, ses claviers stellaires. Une introduction qui prend vite des accents très épiques, comme une sortie de l’atmosphère et une montée vers les astres, une évocation cosmique si chère à Monolithe depuis toujours finalement. La transition sur "Onset of the Eighth Cycle" sera ensuite le seul moment de cassure de cet album qui sera extrêmement fluide jusqu’à sa fin désormais. Les choses sérieuses peuvent donc commencer et on notera déjà une première surprise : bien que Rémi Brochard, nouveau vocaliste intronisé avec Nebula Septem mais trop à la hâte pour qu’il puisse prendre part à la totalité de l’album, fasse désormais bien partie du line-up du groupe ; c’est Sébastien Pierre (Fractal Gates, Cold Insight, Enshine), chanteur « de session » sur Nebula Septem, qui est à nouveau de la partie ! Et il a même été convié sur deux morceaux, celui-ci et "The Great Debacle". Monolithe est donc un collectif et n’oublie personne. Et avec une foultitude d’invités pour diverses instrumentations en sus, cela va nous annoncer un album encore une fois très riche…
Mais Monolithe reste Monolithe, ne surprenant pas vraiment sur les éléments de sa musique. "Onset of the Eighth Cycle" ouvre le cycle avec tout ce qu’on aime chez lui, ces riffs mystérieux, ces mélodies astrales, cette ambiance futuriste amenée par le tapis de synthés, ces growls bien appuyés, et cette-fois ci une basse bien chaude. L’inspiration est au rendez-vous et l’on flotte à nouveau dans le cosmos imaginaire aux côtés du Monolithe, pour une séance d’hypnose délivrée par une seconde partie de morceau aux leads plus aliénants amenant à des lignes vocales complétées de chœurs très monumentaux. Une transition toute trouvée au morceau le plus marquant de Okta Khora, "Dissonant Occurence". Qui démarre de manière bien lourde et dynamique, Rémi Brochard succédant avec brio aux growls de Sébastien Pierre, avec efficacité et inspiration, mais ce n’est que pour mieux nous surprendre ensuite. L’agressivité des guitares et des chants s’estompe bien vite pour partir dans une atmosphère onirique et cotonneuse, avec des mélodies presque psychédéliques, et alors qu’un chant clair envoûtant fait son apparition, que l’on n’avait pas entendu chez Monolithe depuis l’excellent "The Barren Depths". Une partie centrale de morceau hyper épique très rafraîchissante nous est donc proposée, et Monolithe nous montre ainsi qu’il a encore d’autres cordes à son arc, pour un des morceaux les plus lumineux et contrastés de sa carrière, growls et riffs pesants revenant bien vite pour s’entremêler aux mélodies cosmiques dans une certaine apothéose. Et ce n’est pas fini car ce morceau de huit minutes (donc) se termine avec d’étranges chœurs incantatoires, qui assurent la transition parfaite avec "Ignite the Heavens (Part 1)" où ils mènent la danse de manière à nouveau très surprenante, en plus de lignes de saxophones bienvenues. Monolithe sait donc encore varier les plaisirs comme il avait su le faire sur certains de ses 4 premiers albums, et le résultat est assez bluffant, ce morceau en forme de super-interlude étant le moment fort de Okta Khora, le plus accrocheur finalement ; avec un final flamboyant nous amenant directement à la "(Part 2)", nous abreuvant d’une montée très intense de mélodies sur riffs rangés, avant un passage très apocalyptique agrémenté de cordes, là encore digne de certains moments forts des Monolithe I à IV. Monolithe semble donc avoir retrouvé la créativité dont il faisait preuve dans ses plus longues œuvres, réussissant à diluer tout cela dans un album à la structuration plus abordable, faisant ainsi le pont entre la simplicité apparente de Nebula Septem et le côté éminemment monolithique et impressionnant de ses 4 premiers albums.
Le tour de force n’est donc pas loin, mais après une première partie d’album riche et inspirée et comportant donc son lot de vraies surprises, la suite d’Okta Khora sera plus terre-à-terre, enfin façon de parler… "The Great Debacle" sera donc un mouvement plus classique, plus centré sur les éléments habituels de la musique du groupe, riffs appuyés et dissonants, leads enlevés, growls rauques, synthés Kubrickiens et ainsi de suite. Les mélodies sont enivrantes mais sinon il y a peu ou pas de surprises, malgré une cassure prenante à 5 minutes, amenant à un final en forme de lente descente vers un trou noir, en tournoyant dans la distorsion temporelle. Et une fois rentré dedans, on se retrouve non pas dans un espace à 5 dimensions mais dans "Disrupted Firmament", un morceau bien pesant et sombre qui sera néanmoins très contrasté car agrémenté d’un chant dans un premier temps exclusivement clair, toujours dans la lignée de celui de "The Barren Depths" finalement. Les leads épiques reprendront néanmoins leurs droits, pour un morceau inspiré et passionnant mais qui se digère vite malgré tout, avec un final un peu redondant peut-être. Okta Khora se clôture sur la seconde partie très enlevée et presque symphonique de son morceau-titre, avec de formidables mélodies, un générique de fin d’un album encore une fois très fignolé et surtout dans les détails ; mais un peu inégal au bout, car tout est dit sur les 5 premières pistes et le reste est parfois trop classique, malgré le chant clair toujours appréciable sur "Disrupted Firmament" qui amène ce petit plus de singularité. Sur certains points, Monolithe ne surprend plus vraiment, mais arrive encore à amener quelques variations saisissantes, avec à la clé de nouveaux moments marquants comme sur "Dissonant Occurrence" et "Ignite the Heavens". Et parvient avec Okta Khora de retrouver la verve de ses premiers albums monolithiques tout en l’appliquant à un « format » plus proche de celui de Nebula Septem, facilitant l’approche de ce Doom toujours aussi sidérant à sa manière. Okta Khora n’est pas encore l’œuvre ultime de Monolithe, ni même son meilleur album jusque-là, ne surprendra pas tellement ceux qui ont suivi leur carrière depuis Monolithe I ou même un peu après ; mais sa musique est toujours aussi riche, unique en son genre, pétrie de qualités et d’inspiration, et particulièrement travaillée dans le fond comme dans la forme pour que Monolithe reste un nom à suivre dans le domaine du Doom qui sort des sentiers battus. Okta Khora demeure donc un album réussi, qui en sus a vu son livret illustré par l’illustre Abalakin, auteur des pochettes des deux albums de Progenie Terrestre Pura. Fans de cosmos et de Doom Metal monolithique, il ne vous reste plus qu’à compléter votre discothèque !
Tracklist de Okta Khora :
1. Okta Khora (Part 1) (4:00)
2. Onset of the Eighth Cycle (8:00)
3. Dissonant Occurrence (8:00)
4. Ignite the Heavens (Part 1) (4:00)
5. Ignite the Heavens (Part 2) (4:00)
6. The Great Debacle (8:00)
7. Disrupted Firmament (8:00)
8. Okta Khora (Part 2) (4:00)