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Album

03 mars 2020 - Lien Rag

Aäkon Këëtrëh

The Dark Winter

LabelAutoproduction
styleDark Ambient / Black Metal
formatDémo
paysFrance
sortiejanvier 1997
La note de
Lien Rag
5/10


Lien Rag

Normand qui aime le gris

Le black metal est devenu un genre comme un autre dans les colonnes de Telerama, les Inrocks ou encore Vice. Du fanzine au grand public, quelle ironie quand on y pense. Et parce que je me sens d’humeur, j’ai envie pour la première fois de faire un petit essai de branlette intellectuelle. Cette antinomie m’évoque un paquet de choses dont j’ai quand même envie de pointer le phénomène, que l’on soit un curieux tout à fait ouvert ou un puriste rétro-élitiste.

Aäkon Këëtrëh est un cas vraiment à part et paradoxalement symptomatique de la perception émotionnelle que l’on peut lier au black metal. Quelque part, c’est un débat à lui seul quand on voit son évolution. Rigolez mais je ne plaisante pas. Plus bancal et simpliste, tu meurs, oui. Plus sombre aussi. Le chroniquer est surtout difficile.

Groupe défunt underground au possible, connu de seuls quelques aficionados lorsque les Légions Noires ont fait parler d’elles sur les forums et webzines metal francophones des années 2004/2005, il y a récemment eu un petit retour de leur notoriété depuis la médiatisation nouvelle génération dans les médias dont j’ai parlé plus haut. Je pourrais parler des heures de ce regain très hipster de ce style musical où Xasthur, Burzum ou Peste Noire deviennent d’un coup « hype » après deux décennies de relative et infréquentable confidentialité, renversant pour le black metal toutes ses valeurs, qu’on les juge ridicules ou non. Youtube permet également désormais de tout écouter en deux clics, quand se procurer une démo ou certains albums relevait de la mission impossible à l’époque où je me nourrissais principalement de ce style musical. Mgłaentre du djent et PNL en lecture automatique pendant que l’auditeur pianote sur son téléphone. Le pied. Mais glissons.

Le black metal est une musique qui, bien plus que le death ou le heavy metal, met le paquet sur l’élaboration d’un univers, onirique ou occulte, par le biais d’ambiances immédiatement palpables. De façon plus directe et frontale que le doom metal, style tout aussi émotionnel, on peut dire que le black metal est une machine à atmosphères. Dans bien des critiques ou des discussions, on entendra souvent deux conceptions de la part de puristes, qui se renvoient dos à dos : par exemple, la mécanique parfaitement huilée d’un Dimmu Borgir mais clairement sans âme face aux riffs introductifs nappés de claviers planants du « Hvis Lyset Tar Oss » de Burzum dont la seule écoute envoie l’auditeur au cœur de l’illustration de la pochette. Pourtant, la comparaison technique n’a pas lieu d’être. Une partie d’entre vous ne seront pas d’accord mais cet avis revient souvent. Remportant clairement le duel, Burzum est néanmoins aux limites du simplisme techniquement. Et ça fonctionne.

Pourquoi tu aimes ça ?

Mais jusqu’où aller ? Jusqu’où un amateurisme total, feint ou réel, peut s’associer à ce voyage ? L’un est-il nécessairement adossé à l’autre ? Depuis Hellhammer, le black metal a tant expérimenté que cette logique a été repoussée jusqu’à ses derniers retranchements. En témoigne la discographie du très primitif Ildjarn qui divise encore aujourd’hui, entre « merde inécoutable » et « génie atmosphérique ».
Aäkon Këëtreh est pourtant le jusqu’au-boutisme de cette illustration avec deux démos qui vont dans ce sens : « Dans la forêt... » et « The Dark Winter ». J’irai droit au but en parlant simultanément des deux démos qui sont en apparence interchangeables. Parce que ça a un sens.

Pour définir l’écoute, on peut s’avancer vers une sorte d’ambient / black metal aux structures très très simplistes, le tout enregistré sur 4-pistes d’époque, son dégueulasse et souffle en prime. Sans jamais de percussions, rarement plus de deux instruments en même temps (le plus souvent un seul), et une voix qui psalmodie, chante sans maîtrise ou qui hurle. Un synthé bontempi primaire sur une piste, un riff entendu mille fois sur l’autre. Sur « Dans la forêt... », on a le sentiment assez net d’avoir plutôt à faire avec des bouts d’idées et de riffs enregistrés à l’arrache en guise de mémo. Cela n’a ni consistance ni intérêt légitime. Brouillon au possible, on n’a clairement envie de se plonger dans cet univers adolescent et nocturne de forêt façon xerox. Nul et soporifique, l’anthèse de la consistance sonore achève rapidement l’auditeur.

Le sens de l’écoute comme approche du black metal.

Néanmoins, j’irai désormais dans le sens d’une critique dithyrambique. C’est le jusqu’au-boutisme absolu du black metal de faire un tel voyage émotionnel avec si peu et autant d’amateurisme. En marge des chroniques new-age à la cool que je lis actuellement sur les célèbres canards cités au-dessus qui s’attardent plus sur son image et sa récupération contestataire, le principe du ressenti immédiat qui touche de façon négative un pathos déjà mal au point est de nos jours trop facilement éjecté. Rationalisé à outrance, l’approfondissement de l’écoute mise à mal par un esprit de consommateur, la froideur hermétique et la découverte solitaire propre au genre est évacuée. Je dis ça parce que je ne pense vraiment pas que j’aurais apprécié ces démos de la même façon aujourd’hui, par le biais des pratiques contemporaines d’internet qu’hier, vers 2004 où il fallait fouiner des heures sur des forums mal foutus et des sites dégueus en html (sans parler de ma période sans internet auparavant où je ne tournais qu'à la pochette dans le catalogue Adipocere et consorts). Parce que je recherchais ça, ce type de productions, parce que mon adolescente découverte me l’a commandé. Ce sont deux époques différentes mais qui conditionnent totalement une accroche à ce type de musique.

Parce qu’à l’âge de 17 ans, « The Dark Winter » m’a carrément flingué. Fonctionnant sur le même principe que la précédente production, j’ai néanmoins écouté et réécouté chaque seconde le cœur serré. Indigeste au premier abord et tout aussi primitif dans sa conception, les riffs poignants hérités de Burzum, le synthétiseur prenant, les voix d’outre-tombe m’ont fait littéralement décoller dans un univers onirique et gothique de poésie macabre. L’ambiance est là, parce que ça fonctionne, le dépouillement absolu des cordes permet une approche romantique totale. Le travail sur le son est sommaire, mais cette fois, le souffle de la mauvaise production colle aux atmosphères voulues et c’est tant mieux.

La beauté de la chose, c’est que c’est lié à un état émotif qui n’est pas figé et que ce qui fonctionnait hier n’aura pas le même sel aujourd’hui. Les réminiscences de ces écoutes se sont imprimées en moi. Parce que la découverte s’est opérée dans telles conditions et pas d’autres. Cette demo appartient à un passé que j’ai dépassé depuis fort longtemps, plus limité et plus sectaire, mais le black metal fonctionne énormément à l’énergie de la nostalgie et c’est en ça que si « Dans la forêt... » ne mérite pas plus de 1/10, je mettrai la note maximale à « The Dark Winter » sachant pertinemment qu’objectivement c’est juste nul. Mais c’est la force qu’a le black metal, non ?

 

Tracklist :
1. Untitled
2. Untitled
3. Untitled
4. Untitled
5. Untitled
6. Untitled
7. Untitled
8. Untitled
9. Untitled
10. Untitled
11. Untitled
12. Untitled
13. Untitled