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Bilan 2019 - Raton

jeudi 16 janvier 2020
Raton

Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.

2019 a été une année un peu off pour moi. Entre la fin des études, l’incursion dans le monde professionnel et les projets perso, l’écoute d’albums en a été quelque peu remuée. Néanmoins, cette pagaille m’a permis de véritablement déterminer ce que je voulais écouter, et de maintenir mon spectre d’écoute aussi large que possible afin de pouvoir profiter au mieux de l’extraordinaire variété d’albums majeurs sortis cette année.

Renouveau du death cradingue, grand cru pour le hip-hop aventureux, retour en force du screamo et de l’emoviolence, adoubement critique de la pop, appétence pour les scènes expérimentales ; il est possible que 2019 reste dans les mémoires comme une année charnière dans la création musicale, tant les albums ayant marqué leur genre sont nombreux.

Avec plus de 23,000 morceaux et une petite centaine d’albums de l’année écoutés, je vous partage mes meilleures surprises, mes plus beaux moments de musique, dans l’espoir que vous y trouviez quelque chose qui vous accompagne autant qu’ils m’ont accompagné.

Cette année, qui a été également marquée par la sortie du premier Raton et la bagarre, ma nouvelle rubrique sur les sorties de la scène hardcore, j’ai décidé de ne pas partager un seul top mais bien trois. Un sur mes albums metal, un autre sur les sorties hardcore et un dernier sur tout ce qui évolue hors des sphères bourrines usuellement chroniquées dans ces pages.

 

TOP ALBUMS METAL

1. Nacht und Gnosis - Det warder sådt i skröplighet och skal upstå ur kraft (Solstice Rex)
(je triche un peu pour celui-là, la version originale étant sortie très discrètement chez Solstice Rex à la toute fin de 2018 ; l’album a été réédité en 2019, malheureusement par un label NS)
Découvert par l’entremise de notre rédac chef Nostalmaniac, ce curieux premier album du mystérieux groupe suédois Nacht und Gnosis a été immédiatement propulsé à la première place de mon classement personnel. Le groupe propose une hybridation extrêmement enthousiasmante entre black metal râpeux et dark ambient insidieuse. Parfois le mélange se fait harmonieusement, mais parfois le groupe décide de brutalement couper leurs élucubrations black metal pour laisser une plage ambient se dérouler, mystérieuse et sinistre. L'album tisse une toile menaçante mais définitivement inspirée, où l'intensité ne faiblit jamais et qui offre une délicieuse introspection dans les tréfonds de la sombre psyché des membres.

2. Cult of LunaA Dawn to Fear (Metal Blade)
Cult of Luna n’est pas vraiment du genre à décevoir, mais il faut aussi admettre que leurs deux derniers albums avaient placé la barre extrêmement haute. « A Dawn to Fear » revient aux fondamentaux du groupe, mais avec une maîtrise et une sincérité absolues. Le tact du groupe propulse leurs compositions dans la stratosphère, leur habileté à gérer les pauses et les silences, à étirer le calme jusqu'à son point de rupture, à jouer sur l'attente, à la repousser pour y céder éventuellement, confirme leur statut de meilleur groupe de post-metal encore en activité.

3. MisþyrmingAlgleymi (Norma Evangelium Diaboli)
Encore un album qui frôle la perfection pour ceux qui ont mis sur le devant de la scène les prouesses du black islandais. Chargé d'orages, de ténèbres et de percées flamboyantes, « Algleymi » porte très haut l'étendard de la tempête en musique en se permettant le luxe d'être formidablement digeste tout en durant plus de trois quarts d'heure (il faut m'excuser, avec le hardcore je ne suis plus habitué aux disques de plus de 25 minutes).

4. Villagers of Ioannina City – Age of Aquarius (Mantra Records)
Villagers of Ioannina City était parvenu, à l'aide d'un seul album, à capturer mon cœur (d'alors) monomaniaque de musiques lourdes. «Riza » était un savant mélange de stoner poussiéreux et de dimotika (musique traditionnelle populaire grecque) ; les clarinettes du second s'accordant merveilleusement bien avec les guitares du premier. « Age of Aquarius » arrive donc 5 ans plus tard en purgeant une bonne partie des éléments traditionnels pour se concentrer sur l'approche stoner psychéïsante. Et là encore, le groupe ne déçoit pas. Il garde cette intensité qui m'avait charmé sur le premier opus, s'étend plus longuement sur des plages influencées par le post-rock et le space rock, et tricote à nouveau ces mélodies fiévreuses mais pourtant tellement mémorables (même si j'aurais bien aimé le retour en force des clarinettes).

5. Dauþuz –Monvmentvm (Naturmacht Productions)
On connaissait déjà le black metal pour être incontestablement le sous-genre le plus intense (pour le meilleur et pour le pire) de la sphère metal (si ce n'est de la musique en général), mais je parviens encore à être surpris par le délire de certains groupes. Les Allemands de Dauþuz signent là leur troisième album, via les génies de Naturmacht (meilleur label pour le black atmo/nature/paysageux), et leur obsession thématique c'est... les pratiques minières traditionnelles en Allemagne et en Europe. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'en ajouter beaucoup donc je vais faire court : c'est de l'excellent black metal, mélodique et grandiose sans être vainement épique. Et la pochette claque.

6. Mo’ynoq – Dreaming in a Dead Language (auto-production)
Ma toute première écoute de 2019 aura été suffisamment convaincante pour se hisser à la sixième place de ce classement. Aussi dense qu'un album d'Ulcerate, « Dreaming in a Dead Language » pousse dans une sphère redoutablement surréaliste le USBM tel qu'on le connaît. Bien qu'extrêmement compact et inhospitalier, le black de Mo'ynoq ne s'interdit pas des riffs énergiques et fédérateurs avec des passages rythmiques dévastateurs irréprochables. On assiste parfois à des envolées assez grandioses et mieux maîtrisées que 90% des groupes d'atmo pur. J'en tiens pour exemple « Carve My Name », absolument exemplaire dans sa démarche. Extrêmement varié et riche, ce premier album révèle de nouvelles prouesses à chaque écoute et ne peut que se bonifier avec le temps.

7. Waste of Space Orchestra – Syntheosis (Svart Records)
Ça faisait des années que je me demandais si le post-doom était un micro-style qui ne pouvait exister que dans le monde des idées ou si un groupe allait un jour le matérialiser. C'est désormais chose faite avec l'alliance finlandaise des hurluberlus tendance black psychédélique de Oranssi Pazuzu et des croisés du stoner/doom Dark Buddha Rising. À l'origine destiné pour être une "simple" collaboration à l'occasion du Roadburn 2018, le projet se prolonge pour livrer un album sourd et tempétueux comme on en fait rarement. Lancinante et inquiétante, la musique du Waste of Space Orchestra se pare de toutes les influences des deux groupes sans jamais tomber dans l'indigeste ou le cacophonique. L'hypnotisme des musiques psychédéliques se mêle parfaitement à la menace sonore du post-metal, au pesant orage du doom, au contemplatif du space rock et à l'agressivité occulte du metal extrême. Une proposition difficile d'accès mais unique et admirable.

8. Full of Hell – Weeping Choir (Relapse)
Full of Hell a beau être un groupe incontournable des scènes les plus abrasives du metal extrême, je n’avais écouté que leur premier disque, datant de leur époque powerviolence/metalcore bien basse du front. En 2019, deux ans après leur dernier album solo et leur dernière collab avec The Body, ils sont revenus en grandes pompes pour mettre des coups de tatane dans la fourmilière. Cette fois-ci plus de powerviolence, mais plutôt un grindcore méchamment influencé par le death metal dans le chant et les riffs (sans jamais trop sonner ni suédois, ni américain). L'album enchaîne les parpaings sans plus d'explications avec ici ou là un interlude noise pour plus de caillots de sang dans le canal auditif.

9. Tanith –In Another Time (Metal Blade)
Si vous aimez cette frange onirique et fantasy du hard rock qu'incarnait déjà Ashbury et qui se voit prolongée aujourd'hui par des groupes comme Hällas, il est très probable que Tanith vous séduise. Le groupe tisse une musique subtile, tout en retenue, où les guitares se répondent avec malice et où les voix s'entrecroisent tendrement. Bien que l'amateurisme se fasse parfois sentir sur les morceaux les moins maîtrisés de l'album, l'écoute n'est jamais désagréable. Au contraire, sur des morceaux comme « Citadel » ou l'exceptionnel « Dionysus », on se retrouve transporté dans le monde crépusculaire de la pochette, où les leads de guitare dessinent l'horizon et où les deux voix emplissent le cœur d'une épique sérénité.

10. Zaum – Divination (Listenable Records)
Je suis très friand du doom des Canadiens de Zaum qui sont revenus cette année avec un troisième album studio, encore lourdement inspiré par les paysages exotiques et évoquant indéniablement le doom mantrique de OM. Le premier album se focalisait sur les steppes moyen-orientales alors que le second se tournait plus vers la forêt amazonienne et ce troisième opus semble poursuivre la démarche du précédent. L'effet de surprise est donc passé mais l'ensemble reste très cohérent avec des idées de composition fortes et une atmosphère toujours aussi humide et suffocante.

 

TOP ALBUMS HARDCORE

1. Knocked Loose – A Different Shade of Blue (Pure Noise)
Comment passer à côté de la colossale déflagration qu’a été la sortie du deuxième LP de Knocked Loose ? Knocked Loose c'est ce groupe qui te donne envie de tout écrire en majuscule ; du metalcore de gros sagouin, fortement inspiré par la scène metalcore sludgy de la fin des années 90 (à la Disembodied), urgent et impérieux. Mais dans ce second album, et après un EP et un album plus typés beatdown moderne, Knocked Loose décide d'incorporer dans son metalcore de bagarre des gros riffs de death metal très buzzsaw-Entombed dans l'esprit. Autant vous dire que lorsqu'on mélange du béton avec du mortier, on ne se retrouve pas avec un matériau fin et délicat. Cet album repousse donc les limites de l'efficacité et des mandales dans le minois avec une production moderne irréprochable et des idées de composition toutes aussi sauvages les unes que les autres.

2. La Dispute – Panorama (Epitaph)
J'ai l'impression que la musique de La Dispute va là où personne n'est encore jamais allé ; dans une clairière nimbée de soleil où la poésie se mêle à la rage et où tout semble sur le point de se briser. C'est sur cette fine crête que le groupe chemine ; entre violence et pudeur toujours dans l'élan sans jamais être dans le déferlement. La musique est écorchée, rêche mais toujours dans la retenue ; en permanence proche de la rupture mais sans jamais céder. « Panorama » se rapproche de l'expérience sensorielle tant la sensibilité transpire à chaque accord, chaque phrase, chaque soupir. Je me permettrais juste de lui reprocher un manque de variation, sans lequel il aurait pu atteindre des sommets insoupçonnés.

3. NuvolascuraS/T (Zegema Beach)
Nuvolascura (connu sous le nom de Vril de 2015 à 2019) fait partie de la bouillonnante nouvelle scène screamo américaine que je mentionnais en introduction. Deux des membres du groupe sont également dans les excellents Letters to Catalonia (écoutez « Fragmentary » par pitié) et les inévitables SeeYouSpaceCowboy. Pour ce premier LP de seulement 19 minutes, Nuvolascura ("Nuage sombre" en italien) envoie une volée de plombs émotionnelle, une tornade de clous torturée qui propulse le groupe parmi les groupes les plus prometteurs du screamo moderne.

4. SeeYouSpaceCowboy – The Correlation Between Entrance and Exit Wounds (Pure Noise)
J’en ai parlé ci-dessus, SeeYouSpaceCowboy est le groupe incontournable de la nouvelle scène DIY US. Les démons anarchistes nous avaient déjà régalés d'une compilation avec l'intégralité de leurs morceaux publiés en début d'année, mais c'est avec un album complet - brûlot de 28 minutes - qu'ils nous reviennent. Et quelle pétarade ! Intense, puissant, avec toujours cette impertinence sasscore (bien que moins présente que sur la compil), cet album renoue avec joie avec la tradition du metalcore/post-hardcore chaotique avec des parties en spoken word et des breaks nerveux. Malgré un milieu de disque un peu plus timide, les Américains nous servent des généreuses rasades de violence avec des passages mid-tempo ravageurs évoquant les meilleurs moments du mathcore.

5. Ithaca The Language of Injury (Holy Roar)
Vous commencez à comprendre : en 2019, on a été gâté avec les sorties de bagarre-core. Dans la catégorie mathcore moderne ultra nerveux, gonflé aux stéroïdes, perclus de breakdowns hystériques, Ithaca enchaîne les dissonances, les interludes intenses et les lignes de chant infernales. Tout n'est pas absolument mémorable mais les morceaux de bravoure font la taille d'une planète : le destructeur « Impulse Crush», l'intro cataclysmique de « New Covenant » ou l'outro de gros barbare sur « Better Abuse » notamment.

6. Senza – Even a Worm Will Turn (Zegema Beach)
Les noms italiens sont à la mode dans le screamo et ce n’est pas Senza qui va venir hurler le contraire. Le groupe de l’Oregon débarque en beuglant, sans crier gare et en marchant sur les plates-bandes. En plus d'écraser deux-trois pivoines, Senza écrase notre canal auditif en ajoutant à son identité sonore déjà radicale des soupçons de mathcore et de black metal. Donc niveau hospitalité, on n'est pas vraiment sur l'abbé Pierre. Sinon, c'est très bien composé bien qu'un poil monolithique par moments (probablement à cause d'une production un peu trop compressée).

7. Fluoride –Disentanglement (Nerve Altar)
À l'ombre des grandes stars du sous-genre (Nails, Full of Hell ou Cloud Rat surtout), il est aujourd'hui difficile de percer en étant un groupe de grindcore/powerviolence. Fluoride a pourtant réussi à réunir une fanbase solide en seulement deux albums. Concis, précis, rugueux et (évidemment) véhément, le groupe mené par une chanteuse électrique, déroule le tapis noir piste par piste avec des influences sludge et emoviolence parsemées. Plus que conseillé pour tous les fans d'ultra-violence.

8. Pen Name –S/T (Papercrane Recordings)
Surprise midwest emo de l’année, je vous en avais déjà parlé dans le premier numéro de Raton et la bagarre, que vous pouvez retrouver juste ici !

9. Vespérine – Espérer sombrer (Apathia)
Typique produit de l'explosion de la post-musique dans les scènes extrêmes, Vespérine est un groupe lyonnais qui a dévoilé en 2019 son premier album. Ancré dans les ambiances et paysages du post-hardcore et du post-metal, Vespérine y apporte une touche toute française avec un chant écorché, dans la langue de Molière, évoquant directement notre scène screamo nationale (Daïtro, Sed Non Satiata, Amanda Woodward). Encore un peu vacillant parfois, on sent néanmoins toute la sincérité et l'intensité du groupe avec des compositions qui font parfaitement mouche comme « Nous, si photosensibles » ou le final « Celui que l'ombre pénètre ». À suivre de près !

10. Drei Affen –Seguimos Ciegxs EP (Pifia)
On finit avec un EP d’emoviolence espagnole. Drei Affen est une sensation montante du screamo espagnol, et qui sur cet EP propose de l’emoviolence rugueuse qui évoque directement les pionniers du genre, Orchid. Parfois un peu trop rigide pour convaincre pleinement, le groupe y prouve malgré tout une grande maîtrise de l’intensité.

 

TOP ALBUMS NON-BOURRINS

1. Lingua Ignota Caligula (Death industrial / Neoclassical darkwave) - Profound Lore
2. Lana del Rey Norman Fucking Rockwell! (Art pop / Dream pop) - Interscope
3. Fire! Orchestra Arrival (Big band expérimental) - Rune Grammofon
4. Tinariwen – Amadjar (Tishoumaren / Blues rock) - Wedge
5. Billie Eilish When We All Fall Asleep, Where Do We Go? (Electropop) - Interscope
6. Mdou Moctar – Ilana: The Creator (Tishoumaren / Rock psychédélique) - Sahel Sounds
7. Altin Gün – Gece (Rock anatolien / Rock psychédélique) - Glitterbeat
8. Big Thief – Two Hands (Indie rock / Indie folk) - 4AD
9. Tryumf –Hymns of Power EP (Dungeon synth / Synthwave) - auto-production
10. A Swarm of the Sun –The Woods (Post-rock) - Version Studio

 

Déception(s)

Saor – Forgotten Paths (Avantgarde Music) : beaucoup trop propre et manquant de l’authenticité des premiers opus.

Cigarettes After Sex – Cry (Partisan Records) : chiant à mourir, alors que le premier avait quand même deux-trois choses pour lui.

Candlemass – The Door to Doom (Napalm) : je fais pourtant partie de ceux ayant adoré « Psalms for the Dead », mais là c’est trop poussif pour moi.

The Callous Daoboys – Die for Mars (Dark Trail) : l’album qui a fait exploser l’action d’Aspirine cette année. Et pourtant j’adore le mathcore…

Elder – The Gold & Silver Sessions (Blues Funeral) : pas grand-chose à grignoter pour le soi-disant meilleur groupe de stoner moderne.

Russian Circles – Blood Year (Sargent House) : pas vraiment surprenant de la part du groupe de post-metal le plus ronflant de la planète.

Angel Du$t Pretty Buff (Roadrunner) : au moins le premier était marrant, ici à part « Want It All » c’est pas la joie.

Völur / Amber AsylumBreaker of Rings / Blood Witch (Prophecy) : deux artistes aux ambiances fortes et immersives, un split incohérent et mou du bulbe.

 

Top concerts

1. Lingua Ignota @ Espace B (Paris)
2. Magma @ Philharmonie (Paris)
3. Tinariwen @ Temps Machine (Joué-lès-Tours)
4. Amenra @ Bataclan (Paris)
5. Backtrack @ Gibus (Paris Hardcore Fest)

 

Playlist récapitulative