"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
20 ans de carrière et 7 albums. C’est le temps et la matière qu’il aura fallu à Voyager pour vraiment se faire reconnaître et signer sur un label de grande portée, à savoir nos nationaux de l’étape Season of Mist. Cela fait un moment que le groupe australien tente de répandre sa parole de son coin du monde, avec un Metal progressif mélodique et moderne qui pendant longtemps n’a été apprécié que d’un cercle d’initiés. Passé par un label allemand (Dockyard) puis américain (Sensory), Voyager était ensuite quasiment reparti dans l’autoproduction, avec son propre label IAV Records. Ghost Mile (2017) avait d’ailleurs été financé par Pledge Music, et il est dommage de voir que le groupe a du repartir d’aussi « bas » alors qu’il n’a cessé de progresser depuis I Am The ReVolution (2009). Mais maintenant, il va enfin pouvoir se mesurer à un plus grand auditoire potentiel. Il faut dire que son Metal plutôt accessible a de quoi plaire, Metal « progressif » peu complexe mais efficace, mélodique sans être pop, et porté par la voix de Daniel Estrin souvent comparé à Morten Harket de A-Ha. Depuis l’excellent The Meaning Of I (2011), Voyager a pris un tournant plus moderne, notamment dans les riffs de guitare qui flirtent désormais avec le Djent, lui qui pouvait être grossièrement comparé à une époque à une mixture entre Ayreon, Dream Theater et Nevermore. Ce revirage plus direct lui avait déjà permis de gommer pas mal de ses défauts de jeunesse, entre le côté kitsch des débuts sur Element V (2003) et UniVers (2007), et la forme sonore un peu juste de I Am The ReVolution. Depuis, Voyager a ainsi enchaîné les très bons albums, avec notamment V (2014) qui avait entériné son évolution moderne, et il commence maintenant à avoir avec lui une belle collection de tubes ("Common Ground", "Lost", "Stare Into the Night", "Seize the Day", "The Meaning of I", "Hyperventilating", "Breaking Down", "Seasons of Age"…). Le groupe australien restait pourtant sur un Ghost Mile plutôt avare en ce domaine (malgré peut-être "Lifeline" ou le morceau-titre), et Voyager continuait à évoluer en affinant son son et le rendant toujours plus accessible. Maintenant qu’il a enfin signé sur un label à grande exposition et distribution dans le domaine, il est temps pour Voyager de vraiment exploser et de finir de montrer de quoi il est capable.
Colours In The Sun sera donc, logiquement, un album coloré et chatoyant. Voyager va donc y poser toute sa palette, revenant un peu en arrière après un Ghost Mile 100% moderne (voire même un peu trop). Colours In The Sun évolue donc entre une certaine tradition prog’, notamment grâce aux synthés typiques ou encore à quelques éléments Metal comme des solos léchés voire même certaines lignes vocales ; mais aussi et toujours une certaine modernité grâce à quelques sonorités plus « futuristes », et bien sûr de par les guitares légèrement djenty et hyper modernes. Du Voyager qui reste dans la lignée de V, mais qui n’hésite pas à lorgner aussi un peu vers ce qu’il faisait « avant », histoire de se présenter à nouveau et reposer son identité et son histoire suite à sa signature sur un nouveau label. Si vous ne connaissiez pas encore Voyager, vous n’aurez finalement plus aucune excuse. La revue est presque complète et totalement pertinente, quitte à ce que parfois nous nous rapprochons à nouveau de la frontière du kitsch… Il faudra donc, malgré tout, aimer ce spectre du Metal « prog’ » dans lequel Voyager évolue. Mais les Australiens font toujours un Metal résolument moderne, un peu à l’image des polonais de Disperse signés chez le même label, qui évoluent aussi à la frontière entre Djent et Metal prog’ accessible et moderne. Season of Mist cherche toujours des formations du genre après avoir raté Stealing Axion il y a quelques années, et Voyager profite de la chance qui lui est donnée. Pour ceux qui avaient suivi la carrière du groupe australien auparavant, nous restions donc sur un Ghost Mile toujours très plaisant mais peu tubesque, alors que c’était une des forces du groupe jusque là. Colours In The Sun, entre ses autres facéties, va tenter de corriger cet oubli. Et cela commence d’ailleurs par un "Colours" déjà très accrocheur, où l’on retrouve de suite l’univers de Voyager et ses particularités, synthés guitares puis vocaux arrivant très vite en force. Le couplet est posé et entraînant, l’assise rythmique simple et efficace, des riffs bien mordants se font déjà entendre après le refrain, un refrain déjà lumineux et fédérateur. Voilà, Colours In The Sun est lancé depuis à peine 4 minutes et nous avons déjà un nouveau tube. Et ça ne fait que commencer.
On s’apprête donc à rajouter, dans le carnet des hits intemporels de la carrière de Voyager, le sublime "Brightstar", certes très cotonneux mais avec un refrain déjà inoubliable, Daniel Estrin étant toujours en grande forme, et ses guitaristes sont à l’unisson avec des riffs qui régalent (l’assaut djenty passé 3 minutes est irrésistible). Et aussi, voire même surtout, le final flamboyant qu’est "Runaway", avec un refrain colossal absolument génialissime, concluant l’album dans une débauche inattendue d’énergie. Mais Colours In The Sun ne se résume pas qu’à ces nouveaux tubes, et heureusement, il y a de quoi faire même si c’est à nouveau l’album le plus court de la carrière de Voyager (43 minutes, battant d’une petite unité son prédécesseur Ghost Mile). A l’image de I Am The ReVolution et The Meaning Of I en leurs temps, Voyager va à nouveau s’offrir un quasi premier tiers d’album imparable. "Severomance" est tout à fait excellent, certes gentillet avec même des chants clairs supplémentaires, mais des riffs monumentaux se font entendre pour bonifier l’ensemble, là aussi presque tubesque. "Saccharine Dream" ensuite confirme la forme et l’inspiration de Voyager, l’ensemble est très cool et même relativement posé, mais on se laisse porter par les vocaux passant par différentes humeurs et ces belles lignes de basse bondissantes, pour au bout un beau morceau de Voyager, toujours dynamique grâce aux riffs cossus. Colours In The Sun oscille entre les différentes facettes de Voyager en sautant d’un morceau à l’autre, et l’on se laissera ensuite surprendre par un "Reconnected" très rythmé voire même assez gras (on aura même le droit à un tout petit growl), et bardé de synthés plus originaux et de compos un chouïa plus complexes ; et "Water Over the Bridge" qui démarre direct par du riffing Djent très jumpy (!) propice au headbang synchronisé façon Deathcore sur scène, avant que du Voyager plus ou moins doux ne reprenne ses droits, ponctué par un refrain assez singulier lui aussi et des passages plus épiques. C’est tout ce dont Voyager est capable et si vous n’aviez pas été prévenus, le collectif australien pourrait bien vous surprendre et vous conquérir.
Et pour cela, Voyager n’a pas non plus hésité à attirer le chaland en invitant Einar Solberg de Leprous sur "Entropy". Dommage que ce morceau, plus proggy et plus sautillant, a tendance à justement trop ressembler à du… Leprous, enfin le plus couillu au moins. Un morceau qui n’apporte finalement pas vraiment de plus notable pour du Voyager, tout comme le plus classique "Sign of the Times" aux synthés très cristallins mais qui souffre de longueurs. On ajoute un interlude habituellement semi-acoustique, "Now or Never", avec à nouveau une des curiosités du groupe qui est un peu de chant en allemand, et on est au complet pour ce 7ème album de Voyager. 7ème album qui lui permet de prendre un nouveau départ tout en faisant un bilan de sa carrière, sans renouvellement aucun mais ce n’est de toute façon pas ce qu’on attendait de lui. On se délecte encore de ce Metal progressif simple et accessible, moderne et efficace, qui nous propose de bons petits hits et de nouveaux vrais bons tubes qui seront à retenir dans le catalogue du groupe ("Colours", "Brightstar", "Runaway"). Et, en dépassant facilement le plus anecdotique Ghost Mile, Colours In The Sun se pose aisément comme le meilleur album de Voyager depuis The Meaning Of I. Pas encore son manifeste définitif, il y a peu de surprises si ce n’est quelques sonorités plus originales, à défaut de compos Metal plus étoffées que de raison (certains riffs djenty ayant un fort air de déjà-entendu, pour "Water Over the Bridge" notamment), et tous les morceaux ne sont pas parfaits. Mais le style finalement très personnel du groupe, forgé patiemment disque après disque depuis la sortie de Element V il y a 16 ans, fait toujours mouche, et cet excellent Colours In The Sun va lui permettre je l’espère d’enfin confirmer sous la bannière d’un label à grande distribution. D’autant que ce Metal frais et léger demeure susceptible de plaire à tout le monde, à condition bien sûr de ne pas être allergique à ce Metal prog’ tout de même gentillet et aux divers synthés particuliers, au chant si singulier et aux riffs modernes un peu cliché par moments. Mais pour qui sait apprécier tout cet ensemble bien fignolé, c’est du bonheur et ce très complet Colours In The Sun se glisse sur le podium des meilleures sorties de Voyager, digne de toutes les qualités qu’il montre depuis un bon moment. Il est temps de suivre la destinée du voyageur australien !
Tracklist de Colours In The Sun :
1. Colours (4:05)
2. Severomance (4:23)
3. Brightstar (4:32)
4. Saccharine Dream (5:27)
5. Entropy (4:43)
6. Reconnected (4:48)
7. Now or Never (1:39)
8. Sign of the Times (3:47)
9. Water Over the Bridge (4:42)
10. Runaway (4:38)