"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Voyager, c’est un groupe avec lequel il faut voyager… à l’autre bout du monde, en Australie et du côté de Perth plus précisément. Depuis 1999, le groupe s’est fondé une discographie hautement sympathique, en se positionnant dans le registre d’un Metal progressif assez simple et direct, mélodique et très moderne. Même s’il fut proche d’un Ayreon pour ses débuts avec Element V (2003), et qu’on suppose qu’un Dream Theater fait partie de ses influences. Mais patiemment et depuis UniVers (2007), Voyager a développé son Metal progressif efficace et accessible, se modernisant de plus en plus à chaque sortie. Et il a aussi du progresser, surtout après un I Am The ReVolution (2009) très encourageant avec de premiers vrais tubes ("Common Ground", "Lost"…) mais un peu mis à mal par des défauts de forme, notamment une production sonore franchement moyenne. C’est vraiment avec The Meaning Of I (2011) que Voyager a vraiment mis les pieds chez les grands, continuant à acquérir de la reconnaissance même si son succès se fait avant tout chez un cercle d’initiés. De nouveaux hits ("Stare Into the Night", "Seize the Day", "The Meaning of I"…) et déjà une véritable confirmation, de la part d’un groupe qui continue à affirmer sa personnalité et sa modernité, marquée par le très bon chant de Daniel Estrin (uniquement clair) et les riffs qui n’ont rien à envier au rythmiques de Jeff Loomis avec Nevermore. Voyager joue d’ailleurs avec brio la carte du croisement entre un Nevermore moins extrême et un Dream Theater plus simplifié. Et semble déjà être à l’apogée de sa carrière, encore marquée par l’excellent V (2014) qui voyait le groupe atteindre le paroxysme de son côté moderne, marqué par de nouvelles tueries ("Hyperventilating", "Breaking Down", "Season of Age")…
Bref, Voyager c’est du bon et il ne faut pas hésiter à en manger. Même si le groupe est encore en manque de reconnaissance et mériterait franchement d’être signé sur un label avec un bon réseau de distribution. A l’instar de V, Ghost Mile le nouvel et 6ème album de la formation australienne est sorti en quasi-autoproduction avec un format digital favorisé. C’est dommage car le côté accessible et frais de la musique de Voyager peut plaire à pas mal de monde, à la frontière du mainstream mais du bon mainstream. Voyager continue donc son voyage avec ce nouvel album qui ne va pas révolutionner son art mais va voir le groupe continuer à affirmer son style et à varier ses plaisirs. Toujours très moderne et donc sans jouer la carte d’un quelconque retour aux sources (et en laissant bien de côté tout ce qui a pu paraître « kitsch » au long de sa carrière…), Ghost Mile est toutefois un peu plus aéré et mélodique que son prédécesseur, et va gagner en homogénéité ce qu’il perd en force de frappe. On retrouve donc toutes les composantes du Metal progressif des australiens, riffs oscillant entre rythmiques cossues presque djenty et mélodies futuristes, claviers divers et variés qui créent aussi une ambiance particulière, et toujours le chant de Daniel Estrin très maîtrisé, à certains moments de Ghost Mile il n’est d’ailleurs pas loin de livrer ses meilleures performances. On va alors partir à la recherche de nouveaux tubes, mais pour une fois ce n’est pas forcément ce qui fera la force de Ghost Mile. Nous avons finalement affaire au premier album de la carrière de Voyager qui s’apprécie dans sa globalité, même si c’était un peu le cas de Element V à l’époque.
Le départ sur "Ascension" est donc très classique, mais on se laisse déjà entraîner par les riffs inspirés, simples mais accrocheurs, et on se fait aussi emporter par l’emphase mélodique qui est déjà très prégnante. C’est dit, Ghost Mile sera un album qui met l’accent sur l’aspect mélodique de la musique du groupe. Pour le début de l’album, plus on avance, plus on explore les aspirations mélodiques des Australiens. Du refrain de "Misery Is Only Company" au très posé et aéré "The Fragile Serene" (au début peut-être un peu proche de certaines montées de riffs chères à Periphery…) en passant par "Lifeline", on constate que Voyager évolue ici dans un registre très raffiné et lumineux. L’interlude très éthéré "To the Riverside" frôle même le simple piano-voix, et en fin d’album nous aurons aussi droit au très cotonneux "This Gentle Earth (1981)". Bref, Ghost Mile se pose comme un album encore plus accessible que ses prédécesseurs, avec même quelques moments Pop, et s’avère être l’album le plus « gentillet » de Voyager. Ce qui n’est pas un reproche et de toute façon, tout est relatif car Voyager est quand même un groupe qui sait sortir les riffs, et ici ils sont finalement plus mis en valeur vu que l’ensemble est assez aéré. "Misery Is Only Company" est assez dynamique, "What A Wonderful Day" est bien rythmé (avec un chant au top également), de même que "Disconnected" avec ses guitares très incisives et qui se distingue par ailleurs avec des ambiances plus originales (et même un petit passage en growl, enfin il y en avait un dès le morceau d’ouverture si on reste attentif). Et que dire des riffs mortels de "Lifeline", morceau qui est vraiment en haut du panier de Ghost Mile, même si aucun morceau n’est vraiment au-dessus ni en-dessous d’un autre, et rien n’est à jeter là-dedans. Les Australiens sont en forme et livrent encore une bien belle performance…
Et on s’arrêtera encore sur des moments forts comme le formidable morceau-titre, plus épique mais aussi très complet, ainsi que sur le final "As the City Takes the Night" qui jette encore de super riffs ainsi qu’un splendide refrain très enlevé. Avec ses 10 morceaux, ce qui n’est pas beaucoup pour Voyager (malgré ses 44 minutes à la toise, c’est l’album le plus court de leur discographie), Ghost Mile va à l’essentiel et conforte le groupe dans sa simplicité bienvenue, réussissant encore une fois à réunir bon nombre de codes du Metal progressif mais de manière très mélodique et accessible. On ne sera donc pas surpris outre mesure si on connaissait bien le groupe, et le principal défaut de Ghost Mile est finalement qu’il ne fait pas mieux que ses deux prédécesseurs, The Meaning Of I (qui reste pour moi leur meilleur effort) et V. Comme je l’ai dit, il n’y a à mon avis pas de tubes intemporels à la "Lost", "The Meaning Of I" ou "Breaking Down" là-dedans, le groupe ayant opté pour un album plus homogène mais peut-être qu’on recherchait aussi des gros hits même si "Lifeline" et "Ghost Mile" se défendent bien. Qu’importe, Voyager est en bonne forme et se défend bien, ne montrant aucune baisse de régime, et ayant choisi ici de se concentrer sur son spectre le plus mélodique pour faire de Ghost Mile un album assez frais et enlevé. On continue donc à apprécier les riffs mordants, les beaux moments éthérés, la douce voix de Daniel Estrin et leur apparat moderne à la limite du futurisme. Son côté exotique et son indépendance assumée ou forcée font toujours que Voyager n’a peut-être pas encore assez de reconnaissance autre que chez les mordus de tout ce qui se fait en Metal progressif moderne, et il mériterait sincèrement de faire partie des plus grands tant sa discographie est irréprochable et démontre bien sa savante évolution au fil des années. Ghost Mile n’est peut-être pas le meilleur album de Voyager et le groupe risquerait de stagner, mais une nouvelle fois si on cherche un album de Metal progressif direct et entraînant, c’est du côté de l’Australie qu’il faut aller voyager…
Tracklist de Ghost Mile :
1. Ascension (5:22)
2. Misery Is Only Company (5:01)
3. Lifeline (4:45)
4. The Fragile Serene (4:55)
5. To the Riverside (2:09)
6. Ghost Mile (4:18)
7. What A Wonderful Day (3:12)
8. Disconnected (4:52)
9. This Gentle Earth (1981) (3:28)
10. As the City Takes the Night (6:25)