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Le futur. La symbolique de l’après, du prochain, de la dernière branche de la trinité temporelle régissant le monde. Une trinité qui devient conceptuelle dans le cas de la carrière solo dans laquelle Ihsahn s’est embarqué après avoir mis terme à l’un des plus grands seigneurs du black métal symphonique : Emperor.
Si le fond, cette envie insatiable de proposer une musique toujours plus originale et évolutive, lorgnant vers l’expérimental, n’a pas changée, la forme qu’elle revêt n’a plus rien de comparable. Là où The Adversary gardait des racines ancrées dans le black, Angl s’enfonçant dans des sphères moins obscures, mais plus tortueuses et avant-gardistes, laissant libre cours à une inspiration sans borne et surtout une éthique profondément subtile, voué à retranscrire sa personnalité intime, et non ce que l’on pouvait attendre du personnage.
Afin de donner une fin et de débuter une nouvelle ère scénique sous son propre patronyme, le norvégien continu sur la même voix fondamentale…expérimente et rejette toutes formes de conventions pour offrir un After qui risque de décontenancer la plupart des auditeurs. Non pas que After soit mauvais, mais son accessibilité se fait encore plus limitée et difficile tandis que paradoxalement, on ne peut plus du tout parler de black métal ici, ni même de métal extrême. Extrême il l’est dans la recherche de sonorités diverses, dans les pérégrinations d’un saxophone fou et schizophrène (celui de Jorgen Munkeby, du Shining Norvégien), dans l’épaisseur si particulière de ces huit cordes (Ihsahn se targuera d’être le premier « groupe » disposant de trois huit-cordes sur scène) qui s’évertuent à distiller des riffs des plus tordus et malsains, vicieux.
Vicieux. Oui…probablement le mot définissant le plus cet album…After est un poison latent qui s’infiltre partout, d’abord anecdotique puis aliénant pour devenir à long terme létal. Propulsées par la puissance de la base rythmique de Spiral Architect, les morceaux s’éloignent des structures habituelles, se jouent des stéréotypes, notamment dans le son…une production limpide et claire mais lointaine, étrange, fantomatique et spectrale, alourdie par des guitares omniprésentes.
L’intense et dérangé A Grave Inversed représente parfaitement une faction de la personnalité d’After. Un blast effréné voit le jour suite à un riff extrême et hypnotique, très rapide. Ihsahn hurle comme à son habitude, de ce chant tranchant et écorché, comme s’il s’agissait de ses derniers mots…mais sur ce blast, sur ce riff prenant la forme d’une déferlante pesante (mais non ostentatoire) de note, c’est ce saxophone qui dérange, qui annihile l’espoir et apporte la noirceur. Ce saxophone fou qui suit le riff à la même vitesse, qui se fait halluciné et schizophrénique, qui, loin d’une apparition d’invité, s’intègre complètement au corps du morceau pour devenir le fer de lance de son intensité, qui trace une voie déséquilibré et malsaine, qui fait perdre le contrôle et sème le doute. Pourtant, le titre éponyme relâche considérablement la pression pour offrir le visage le plus mélancolique et contemplatif du norvégien, le plus introspectif et sentencieux, aux arpèges clairs, qu’un magnifique chorus de guitare sublimé par des vocaux clairs loin d’une quelconque perfection technique mais réellement troublants.
Le trouble. Oui Ihsahn sème le trouble simplement car aucunes des huit compositions ne se ressemblent, et aucune ne laisse présager la suite. Undercurrent, s’ouvrant sur un riff pachydermique, ouvre les portes, pendant près de 10 min, d’un horizon musical prenant presque la forme d’un absolu dans la carrière du chanteur/guitariste. Une évolution narrative passionnante, passant d’un climat lumineux mais emplie de subjectivité (ces sonorités sombres de cuivres en superpositions d’arpèges si sensibles et du chant chuchoté d’Ihsahn) à un univers saccadé et menaçant, tapissant dans l’ombre une attaque sournoise à venir. Le saxophone revient, apparition chimérique d’une âme en perdition dans toute sa perte…les vocaux se font de plus en plus rugueux, le rythme s’emballe, les cordes hurlent, le clavier devient angoisse. Puis Ihsahn se fait le chantre du temps qui passe (tic tic tac), les frissons sont partout, recouvrent le corps alors que le chant plus écorché que jamais rejoint un saxophone curieusement serein, sain d’esprit mais aussi plus présent, la multitude d’instruments se retrouvant dans une production limpide.
Une production mettant complètement à l’honneur l’ouverture mélodique de Frozen Lakes On Mars, rapidement égorgée par un riff imparable et cruel, vicieux et désignant réellement les capacités de son d’une huit cordes (l’importance est cruciale). Un solo résonne, tourmenté et tordu, alors que les hurlements se font plus animaux que jamais, dans une cacophonie sonore parfaitement maitrisée, d’où ressort un refrain clair comme tombé du ciel, aussi touchant que superbe.
Est-ce l’album du siècle ?
Clairement non…car dans cet avant-gardisme permanent, Ihsahn semble avoir oublié d’y inclure une si importante homogénéité, certes présente dans le son, mais manquante dans la composition. Ouvrir le disque avec le morceau le plus faible et le moins inspiré (The Barren Lands) n’est probablement pas la meilleure idée non plus, alors que la suite côtoiera pendant quelques fugaces instants des dieux se voulant création. Le final complètement jazz de Heavens Black Sea, superbe, contrastera avec un départ plus colérique mais ordinaire, alors que ce final, ce saxophone une nouvelle fois, martelé par-dessus la caisse claire, provoque ce si fabuleux alliage des genres qui fait de After un disque des plus osés et mature. On the Shores clôture le disque en évoquant parfois les mélodies vocales d’un Queen, entre mélancolie humaine et introspection fantomatique (ce saxophone si déstabilisant et génial…) pour atteindre une force émotionnelle rare, retranscrite par un paysage musical unique. L’accélération du morceau en son centre, alors que le saxophone redevient démence, comme une ellipse au passé, est si impériale que l’on en oublierait ce que l’on vient d’écouter.
Oui After est grand, mais il n’est pas dénué de défauts, notamment la voix de Ihsahn si typique mais parfois peut adapté, si tant soit est que l’on accepte son timbre si particulier. On a parfois, même si l’effet est probablement volontaire, de voir un vocaliste au bord du gouffre, près à s’arracher ce qui reste d’âme dans un ultime hurlement, hurlement devenant nasillard et au final peu agréable. Mais passé ce détail et un morceau introducteur en décalage avec l’inspiration sacré du reste de l’opus, After démontre ses lettres de noblesse. After continu de tracer la voix unique d’un artiste continuant inlassablement d’avancer dans les méandres de l’art, dans les tourmentes de ce que son esprit lui offre artistiquement, dans les tréfonds d’une vision musicale plus adulte et folle, perdant de sa grandiloquence pour gagner de la terreur…oui After est grand, mais After est avant tout humain…
1. The Barren Lands
2. A Grave Inversed
3. After
4. Frozen Lakes on Mars
5. Undercurrent
6. Austere
7. Heavens Black Sea
8. On the Shores