A Thousand Lost Civilizations festival - J2 @ Bruxelles
Atelier 210 - Bruxelles
[Lire le report de la première journée]
Matthias : Les concerts ne débutant que vers la moitié de l’après-midi, je profite de mon temps libre pour déambuler dans les vieux quartiers de Bruxelles et dans ses musées. Quatre ou cinq cents blousons noirs en villégiature dans cette ville à taille humaine ça ne passe guère inaperçu, et c’est assez distrayant de recroiser en journée la même faune qu’au festival. Je suis d’ailleurs agréablement surpris de voir que beaucoup semblent s’intéresser à l’offre culturelle de cette cité chère à mon cœur, et non seulement à son fameux lambiek.
(T.O.M.B.)
S. : On poursuit cette deuxième journée du festival avec en ouverture une nouvelle formation atypique : les Américains de T.O.M.B. Ce projet répand son venin depuis une quinzaine d’années dans la sphère underground. Constituée de 3 membres sur scène, cette curiosité musicale produit un mélange de Black Metal et de Noise, avec quelques sonorités Indus. Elle distille une ambiance lourde et très martiale, notamment grâce à cette boite à rythme assez mécanique et au chanteur/percussionniste qui scande quelques phrases autoritaires. Bien que l’atmosphère soit assez malsaine, la restitution est assez brouillonne, il est difficile de trouver un fil conducteur à ce set. La demi-heure de leur show est alors amplement suffisante.
Setlist :
Non communiquée
(Vortex of End)
S. : Je me souviens encore de la grosse claque reçue lorsque j’avais découvert Vortex of End sur scène, il y a un an à Genève. J’étais donc impatient de les voir de nouveau. Sans réelle surprise, les Français mettent le feu dans l’Atelier 210, grâce à leur Death/Black de haute volée, fort en caractère aux compositions inspirées. Outre l’aspect musical totalement maîtrisé, le jeu de scène des différents membres n’est pas en reste : quand l’un déverse une coupole de sang sur le public, le second descend carrément dans la fosse pour provoquer les spectateurs. Notons enfin l’apparition d’une invitée au micro sur le dernier titre, dont la profondeur du chant guttural impressionne. Encore une sacrée performance du combo.
Matthias : Tout ce qui tourne de près ou de loin autour de la Noise n’étant vraiment pas ma tasse de thé, c’est avec Vortex of End, qui m’est totalement inconnu, que ma journée commence. D’emblée, les torses nus musclés et maculés de sang et les coupes de cheveux très entre-deux-guerres (sans oublier la moustache) annoncent qu’on n’est pas là pour baguenauder dans la lavande. Dès les premiers accords lents et martiaux de la base rythmique, les Français semblent plutôt d’humeur à occuper la Rhénanie ! Le show et bien rodé, et le niveau technique m’impressionne, en particulier les chants : les deux guitaristes et le bassiste sont tous capables de donner de la voix et varient les registres, y compris dans un répertoire presque clair, par moments. Ces gars-là n’hésitent pas à donner de leur personne pour marquer les esprits, et aussi un peu les infortunés aux premiers rangs. Vous voilà prévenus. Dernière surprise, une chanteuse invitée rejoint les gros bras sur scène un micro à la main. Et fait résonner un growl lourd et poisseux à souhait tandis que les autres voix l’accompagnent en clair. Une inversion des registres traditionnels qui n’est pas pour me déplaire. Vortex of End sera une de mes plus belles découvertes de ce festival qui pourtant en regorge !
Setlist :
Goatphalanx
Voracious Egregore
Atomeaters
Fulgur Lux Terror
Winds of Adversity
Transubstantiation
Ov Dancing Snakes and Circling Crows
Black Blood Kapala
Venomous Triangle
Saturnian Ascension
(Adaestuo)
S. : En ce qui me concerne, Adaestuo fait partie des formations les plus attendues de ce festival. Après avoir sorti un EP intéressant en 2016, la formation avait concrétisé tous mes espoirs avec “Krew za krew” paru l’année dernière, à tel point que je l’avais symboliquement érigé dans mon top 5 personnel. Ceci dit, l’atmosphère ressentie sur album n’est parfois pas toujours transposée en version live, alors je suis curieux de voir quelle performance le groupe va réaliser. Déjà, la première chose qui interpelle est le nombre de musiciens : trois sont mentionnés au studio, tandis qu’ils sont cinq sur scène ce soir. Outre VJS, Hekte Zaren et Vainaja, on retrouve 2 membres supplémentaires : l’un au synthé/percussions et le second à la guitare/percussions/violoncelle. C’est sans doute là tout l’intérêt de l’équipe du jour : ne pas se contenter de diffuser les parties Ambient de façon samplées, mais de les jouer intégralement ici, avec fidélité. Le show est en effet structuré de la même façon que sur album, avec l’alternance de Black Metal et de passages ritualistiques. Si le rythme apparaît globalement haché, les titres se succèdent malgré tout avec une certaine fluidité. Evidemment, les morceaux Black Metal sont pour moi les plus captivants, comme “The abyss” ou encore “Shadow pilgrimage”, hypnotiques, grâce notamment à la voix fantomatique de Hekte Zaren et aux riffs acérés de VJS. Adaestuo a répondu à mes attentes ce soir !
Setlist :
Death Transition
Hydra
Abyss
Krew za Krew
Shadow Pilgrimage
Subteranean Fire
Dirge
(Darvaza)
S. : Tout comme Vortex of End, j'ai découvert Darvaza en live l'année dernière à Genève, ce fut la grosse révélation. De nouveau, le quintet met tout le monde d'accord en délivrant une énergie incroyable, répandant dans l'Atelier 210 une atmosphère aussi malsaine que son vocaliste. En plus d'être énervé, le Norvégien de nationalité apparaît complètement possédé. Il dégage une aura phénoménale qui ajoute de la puissance à leur musique. Le public ne s'y trompe pas, la fosse est vite instable au gré des compositions violentes et accrocheuses. Une vraie leçon de Black Metal.
Matthias : Encore une découverte pour moi, mais encore une fois, quelle claque ! Darvaza se nomme ainsi en référence à “La porte des Enfers”, le fameux cratère qui brûle en permanence au Turkménistan. En ce qui concerne le groupe, nul doute qu’il a enfoncé les gonds du Tartare ! Fi de toutes fioritures ici, Darvaza joue du Black Metal dans tout ce qu’il a de plus brutalement primitif et tordu. Même l’encens semble de trop. Une partie de l’audience commence à s’échauffer tandis que Wraath roule des yeux fous et happe de temps en temps un gobelet de bière tendu depuis le public, quand il ne tète pas directement la bouteille. Le Norvégien, brûlant de charisme, semble en transe et nous offre une prestation poisseuse et malsaine comme doit probablement l’être son haleine. Un ami me souffle qu’il semble dans le même état que sa musique et je ne peux qu’approuver, mais c’est bien un compliment !
Setlist :
A Hanging Sword
Derelict Of Passion
Towards The Darkest Mystery
The Barren Earth
Fearless Unfeard He Slept
The Silver Chalice
(Wolvennest)
S. : Changement d'ambiance avec l'entrée sur scène de Wolvennest. Je ne connais quasiment rien d’eux, si ce n’est qu’il ne s’agit pas de Black Metal et qu’ils sont signés chez Van Records. A voir le nombre de musiciens, six, on s'attend à une musique avec de la consistance. C'est effectivement le cas, puisque le groupe produit un mélange de rock psyché, doom, ambiant complètement hypnotique. La projection de vidéos au fond de la scène accentue l’effet captivant de leur musique. On notera par ailleurs la présence d'un instrument peu commun, le thérémine, dont la particularité est de produire une musique électronique sans être touché, en faisant varier la fréquence avec la main. L'association de l'ensemble de ces éléments rendent le tout très envoûtant et immersif, d’autant plus que le groupe semble avoir son propre ingé’ son...enfin de la clarté et un volume raisonnable, merci Didier ! Wolvennest m’a beaucoup séduit ce soir, à tel point que je suis reparti avec leur album.
Matthias : Wolvennest jouit d’une bonne réputation croissante parmi les fan d’Ambient/ Psychedelic, et c’est sans doute amplement mérité. Avec ses riffs dignes des 70’s sans pour autant sonner datés, le groupe s’accorde très bien à la scénographie du festival, composée de bougeoirs et d’encensoirs particulièrement bien alimentés. Dès Silure et ses 11 minutes 45 secondes d’instrumentalisation, l’ambiance oscille entre mélodies aériennes et rythmes moites et oppressants. La setlist faisant la part belle au dernier album, Void, qui vient de sortir, ce n’est qu’à partir du très beau Ritual Lovers que Shazzula fait entendre sa voix avant un déluge de guitares distordues. Je trouve Void plutôt réussi dans un style que j’écoute assez peu, mais ce soir, j’ai quelques difficultés à entrer dans l’ambiance. La voix de la chanteuse me semble encore plus en retrait que sur album, et c’est dommage car elle en perd de la présence sur scène. Mais surtout, il commence à faire terriblement chaud dans cette salle bondée à l’extrême, et je cherche en vain une place assise qui serait plus propice à ce show très introspectif. L’Heure Noire me surprend juste au bon moment avec ses guitares d’une fatalité impitoyable et ce petit air malsain de clavier qui semble tout droit sorti d’une production horrifique oubliée tandis que, derrière le groupe, j'aperçois le ballet malsain de vautours en pleine bombance dans un charnier humain. L’image d’un crâne à la mâchoire partiellement désarticulée qui semble protester vivement alors qu’un rapace le secoue tourne encore dans mon esprit. J’aurais aimé revoir Wolvennest dans des conditions plus confortables, mais ce groupe est définitivement en pleine ascension !
Setlist :
Silure
Ritual Lovers
Unreal
Void
L'Heure Noire
Out of Darkness Deep
(The Ruins of Beverast)
S. : C'est avec beaucoup d'appréhension que j'aborde ce set : la seule et unique fois que j'ai vu The Ruins of Beverast sur scène, c'était au Vormela Fest en 2014, à Lyon. Je n’en ai pas gardé un souvenir positif : une très grande déception du fait d'un ennui profond. Aujourd'hui le constat est malheureusement le même. A l’exception de la lourdeur des compositions, je ne ressens aucune émotion à l’écoute de leur show. Est-ce le choix de la setlist qui est en cause, avec des titres un peu mous ? Est-ce la qualité du son qui laisse à désirer ? Qu'en sais-je. Mais en tout cas c'était poussif. Je réitère les mêmes propos qu’en 2014 à leur égard : pour ce genre de groupe où tout est basé sur les ambiances, rien ne vaut d’écouter leur production tout seul chez soi afin d’apprécier à leur juste valeur la qualité des compositions. En live, ça ne passe définitivement pas. Cela me fend le coeur de devoir l’admettre, moi qui apprécie toute la discographie des Allemands...
Matthias : Alors qu’on m’a très souvent recommandé le groupe, je n’avais pas d’attentes particulière envers The Ruins Of Beverast : j’apprécie le dernier album, sans plus, ce genre de doom planant me laissant généralement assez froid. Mon cœur s’en sort donc indemne, mais je partage l’avis de S. : sans trop savoir pourquoi, c’est très peu prenant. Il fait horriblement chaud, et je présume que sur scène on en pâtit aussi, mais la voix de von Meilenwald me semble quasiment absente. Dommage pour les fans, et ils avaient l’air nombreux.
Setlist :
Exuvia
God's Ensanguined Bestiaries
Between Bronze Walls
Daemon
Mære (On a Stillbirth's Tomb)
(Saturnalia Temple)
S. : Bon, on ne va pas tourner longtemps autour du pot : j’ai quitté la salle après le troisième morceau tant la musique des Suédois était un calvaire.
Matthias : Là pour le coup nous sommes en total désaccord avec S. ! Je n’avais pas d’avis bien défini au préalable sur la formation suédoise mais, après, certes, quelques douloureux larsens, Saturnalia Temple m’a envoyé en pleine face une prestation démente, démesurée, et ô combien difficile à décrire ! Moi qui ne suis d’habitude absolument pas amateur de psychédélisme, je crois avoir expérimenté dès le premier (long) morceau une sorte de transe shamanique. J’ai passé la majorité du concert à m’agiter en rythme sur des riffs lourds comme l’atmosphère avant un orage tropical. J’insiste : j’étais tellement à fond dedans que je ne peux y repenser sans un léger malaise, tant j’ai été pris par surprise par ma propre réaction. Une sorte de mariage contre nature entre Rock&Roll vaudou et haka rituel, les lèvres retroussées. Alors que je trouve Saturnalia Temple intéressant sur album, sans plus, le groupe pourrait tout autant être à sa place dans un événement consacré au Doom qu’au Sludge ou au Stoner. De l’aveu même du groupe, Bruxelles a eu droit à leur plus longue prestation, avec plus de 45 minutes de temps additionnel, tandis que la projection alterne entre des plans de volcan en éruption et d’une partie fine saphique passée au stroboscope assez dérangeante. Je suis sorti de cet interminable concert un peu avant la fin, trempé, complètement vidé, et avec un étrange sentiment de pleine conscience. Effrayant. Et génial.
Setlist :
Mount Meru is Tall
Black Magic Metal
To the Other
Dreaming out of Death
Snow of Reason
Aion of Drakon
Crowned With Seven
To know
Devils Eye
S. : Paradoxalement, ce sont les premiers groupes qui ont su tirer leur épingle du jeu aujourd’hui, en particulier Darvaza, Wolvennest et Adaestuo. Les deux têtes d’affiche, The Ruins of Beverast et Saturnalia Temple, m’ont terriblement déçu. Je ne boude également pas mon plaisir de changer de salle pour les deux derniers jours du festival, tant la chaleur au sein de l’Atelier 210 était difficilement supportable et le son assez moyen.
Matthias : Honnêtement j’apprécie l’Atelier 210 : c’est une salle très agréable et fonctionnelle en plein centre-ville, mais j’admets qu’aujourd’hui elle était arrivée à la saturation la plus complète. Trop chaud, trop de monde, et une architecture interne avec un escalier qui cause quelques embouteillages. Mais je regretterai son équipe compétente et son large choix de bières (oui, nous sommes en Belgique quand même), même s’il me tarde de retrouver le magasin 4, pour lequel j’ai un attachement tout particulier. Quant aux concerts, certains n’étaient sans doute pas appréciables à leur juste valeur, en particulier The Ruins of Beverast, mais la journée fut quand même bien fournie en découvertes. Y compris, d’ailleurs, parmi mes sensibilités les plus personnelles. Ce festival prend véritablement un aspect cathartique.
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