La caution grunge du webzine.
Quelle qu'en soit la cause, le fait de perdre un être cher est de toute façon un événement tragique et bouleversant qui, parfois, remet en cause notre propre existence. Mais quand cette personne-là joue un rôle dans un groupe et qu'elle tient une place importance dans la vie privée d'un de ses membres, on imagine sans difficulté la douleur que cela doit représenter. Aleah nous a quittés il y a trois ans, au point culminant de sa carrière, alors que le public metal la découvrait, non plus sous les traits d'une guest (de Swallow The Sun à Amorphis), mais sous ceux d'une frontwoman discrète, à la voix fantomatique. Ainsi, elle n'aura jamais vécu la sortie de l'album sur lequel elle travaillait depuis 2013 avec son projet de doom atmosphérique Trees Of Eternity, ni même la mise en chanson des poèmes qu'elle a elle-même écrits et soigneusement conservés dans ses blocs-notes. A titre d'hommage, Swallow The Sun samplait sa voix durant certains concerts (le passage de Heartstrings Shattering, notamment) tandis que de son côté, Juha Raivio avait fondé un supergroupe il y a deux ans, mettant en exergue les sublimes textes d'Aleah Stanbridge. Derrière Hallatar se cachait un line-up 100 % finlandais, à la musique infiniment plus sinistre que certaines formations de metal extrême.
C'est un fait. L'écriture et l'ambiance générale du disque empruntent davantage à Hallatar qu'à n'importe quel album de Swallow The Sun. Ceux qui n'ont pas été touchés par la mort d'Aleah ne le seront pas plus en écoutant cet opus, pour la simple et bonne raison qu'indirectement, il parle d'elle ("And the lake glimmers silver, like the tears from your eyes / But there are no goodbyes / Just light between the stars"). L'émotion qui traverse l'oeuvre est forcément amplifiée par le souvenir que l'on garde de cette chanteuse hors pair. Par conséquent, on se doute que l'auditeur non-familier avec son parcours musical n'en percevra qu'une infime partie. Il plongera dans une certaine forme de mélancolie, mais se sentira moins impliqué dans cette histoire, aux contours romanesques, que nous conte le groupe. Plus on avance dans le disque, plus les morceaux semblent progresser vers la lumière. When a Shadow Is Forced into the Light se divise en deux parties, relativement inégales d'un point de vue quantitatif. La première s'étend de la piste un à la piste quatre (ou trois ; les limites de ce "chapitre" pouvant être discutées). Pensé comme un exutoire, il renferme une noirceur difficilement qualifiable - tant elle est exprimée de façon naturelle -, qui se traduit par exemple par l'intégration d'un passage black metal sur le pont de Firelights. A la fin du solo, un changement de rythme radical s'opère. Pour autant, l'ambiance ne s'éclaircit pas. La ligne de clavier morbide posée par le successeur d'Aleksi Munter, accentue les propos glaçants du chanteur. Cet univers funeral doom qu'avait exploré Swallow The Sun sur le troisième disque du coffret Songs from the North, prend ici tout son sens (les renvois à ce sous-genre du doom sont rares mais néanmoins très intenses). Fut un temps, ce côté dark dans la musique des Finlandais n'était qu'artistique. Quatre ans plus tard, il fait partie de leur ADN, leur voix féminine s'en étant allée, trois mois avant son quarantième anniversaire. Afin de lui rendre hommage, le groupe s'est offert les services d'un petit orchestre à cordes (When a Shadow Is Forced into the Light, Firelights). Le jeu est différent et la manière de les incorporer dans le mix final aussi, mais de la même manière que chez My Dying Bride, les orchestrations agissent comme des amplificateurs d'émotions et renvoient à bien des aspects du mouvement romantique (sensibilité exacerbée, volonté d'évasion, tristesse, etc.). Le titre-éponyme a une approche si théâtrale qu'il fait penser à une sorte de tragédie grecque moderne. Aux alentours des cinq minutes, des influences néo-classiques commencent à poindre, soutenues par une répétition terrifiante du mot "dark", entre cris aigus et growls très gras. A la clôture de cet incroyable morceau, ne reste qu'un chant guttural, et aucune instrumentation pour le couvrir.
Swallow The Sun continue à pleurer l'artiste sud-africaine. En y réfléchissant bien, l'hommage à Aleah est - semble-t-il -, plus poussé sur la seconde partie de l'album, que sur la première, les ambiances atmosphériques y étant pour beaucoup. L'introduction d'Upon the Water possède même quelques relents de Trees Of Eternity. La petite mélodie à la guitare est aussi douce que la brise et quand un son acoustique vient l'enrichir, on a tendance à se dire qu'il y a là plus qu'un simple clin d'oeil. Plus étonnant. Dans le livret de l'album, le nom d'Aleah est associé à une piste (Clouds on Your Side). Au terme de la chanson, une narratrice (dont on ignore l'identité) récite un poème d'une quinzaine de vers dans un français irréprochable. En voici les dernières lignes : "À travers ton océan de douleur / Le soleil de nouveau percera / Et tu verras un autre jour". Un amour des mots et des langues, conforme à ce que nous avait déjà présenté Starbridge par le passé. Le contexte de sortie de cet album était loin d'être favorable aux Finlandais, entre le départ de la moitié de leur line-up depuis 2014, et la disparition d'Aleah en 2016. Contre toute attente, le sextet a su aller de l'avant et adapter son style et ses compositions en fonction des particularités des nouveaux membres. En recrutant Jaani Peuhu aux claviers (bassiste et producteur d'Hallatar, musicien studio/session pour Before The Dawn...), le groupe n'a pas perdu au change. Le temps où Mikko Kotamäki chantait seul, tous les textes écrits par le guitariste-fondateur semble révolu. En s'imprégnant du disque, on rencontre quelques choeurs et harmonies vocales de fort bon aloi, mais aussi et surtout des passages où le musicien assure le chant principal (The Crimson Crown ou Stone Wings, pour citer les exemples les plus frappants). Grâce à ses interventions en voix claire, il permet à la formation de ne pas s'enfermer dans le schéma pré-établi, qui consiste à créer une ambiance sombre à la fois générique et très attendue. Son chant ramène le groupe vers la lumière, créant de sympathiques gimmicks sur Firelights ("The phantoms, the nightmares") ou entraînant Swallow The Sun sur des terrains inconnus (Stone Wings).
When a Shadow Is Forced into the Light est un album qui se vit. L'écouter avec trop de recul, en se disant qu'après tout, il n'est question que de musique et d'une oeuvre "fictive" vous éloignera sûrement ce que qui fait son intérêt. C'est dans les détails que l'on se rend compte de la beauté d'un disque. Swallow The Sun ne se contente pas d'opposer, comme sur SFTN, les différents aspects de sa musique (obscurité/lumière). Sur le morceau final, censé appartenir au chapitre le plus "léger" de l'album, le guitariste laisse traîner un riff lugubre sur une minute, tandis que les violons, tels des âmes en peine, s'avancent lentement.
Tracklist :
- When a Shadow Is Forced into the Light (07:26)
- The Crimson Crown (07:56)
- Firelights (05:40)
- Upon the Water (06:16)
- Stone Wings (06:55)
- Clouds on Your Side (04:46)
- Here on the Black Earth (05:38)
- Never Left (07:49)