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Pénétrer un nouveau monde, le créer, le façonner, l’imager et l’identifier à sa personnalité. Dur pari, improbable exploit irréalisable sur un premier album à l’heure d’aujourd’hui où l’interchangeabilité est devenu monnaie d’échange, conformisme un moyen d’expression et stéréotype un wagon à ne surtout pas manqué. Le temps où les révolutions musicales s’enchainant de telles sortes que l’on en ratait indéniablement est clairement révolu. Mais Sybreed l’a fait, Sybreed a réussi là où tant on échoué, même si ces mêmes échecs amenèrent par la suite des œuvres cultes. Sybreed a créé un colosse en guise de premier album : Slave Design.
Jamais un monde électronique n’avait véhiculé autant de puissance, détruisant littéralement toutes les frontières imaginables en termes de musicalité et d’agressivité. La brutalité d’un Strapping Young Lad, mixée avec la froideur d’un Ministry et propagé par la mécanicité d’un Fear Factory avait laissé exploser un album au final unique, que l’on pensait alors indépassable. L’est-il encore ?
Antares, deuxième opus, avait déçu, malgré une incroyable musicalité, dans sa production lisse et sans âme, rapprochant le groupe d’un quelconque quartet death mélodique, l’electronique et la clod wave en plus.
Sur The Pulse of Awakening repose donc en grande partie l’avenir artistique des suisses. Le visuel se rapproche étonnamment de Slave Design, les illustrations du livret sont malsaines, torturés (des animaux mécanisés, des textes fragmentés), on remarque le retour de Kevin à la batterie, absent sur Antares (remplacé alors par Dirk Verbeuren) et l’arrivée d’un nouveau bassiste, Burn ayant quitté les helvètes en raison d’une instabilité financière de plus en plus grande.
Nomenklatura. Etrange patronyme pour ouvrir l’album. Et pourtant…Sybreed signe ici probablement son morceau le plus abouti, à la progression narrative d’une intelligence rare, envoutant directement l’auditeur. S’ouvrant sur un rythme industriel, le chant de Ben se fait rapidement black pour nous plonger quelques secondes plus tard dans un univers froid, désenchanté et mélancolique. L’électronique prend plus de place, les guitares reviennent, la tension grimpe, les vocaux imposent une solennité rare, et prend à la gorge, tandis que le chant clair se déshumanise mais se veut paradoxalement si sensible et…humain. Et le break…impossible de ne pas penser à l’exceptionnel Bioactive tant la puissance dégagée est phénoménale. La production de Rhys Fulber (Front Line Assembly, Paradise Lost) écrase littéralement l’auditeur, le presse, l’étouffe, les énormes coups de caisses claires résonnant comme l’effroi de notre soumission.
Impossible dès lors de ne pas y rêver. Sybreed, bien que différent, vient peut-être de livrer un colosse qui le dépassera probablement par la suite.
L’espoir perdure sur un A.E.O.N d’un niveau technique hallucinant (Kevin arriverait presque à faire passer le travail de Dirk pour un jeu d’enfant), au chant clair prédominant, trafiqué, froid…trop prédominant…notamment lorsqu’on écoute les incroyables progrès de Ben dans les vocaux extrêmes (dû à son projet black Pavillon Rouge ?). On retrouve une structure similaire à Ego Bypass Generator, mais doté de cette production surpuissante. Les riffs lourds côtoient des arpèges sensibles, la multiplicité des lignes vocales complexifie un mix très riche et le plaisir demeure immense.
Mais jamais la tension de Nomenklatura, ou l’agression continuelle de Slave Design, passionnante et fascinante, ne perdurera sur The Pulse of Awakening, largement au dessus du lot des nouvelles formations dites « modernes », mais restant en deçà de sa propre œuvre.
Sybreed explose de nouveaux horizons, et tente musicalement beaucoup de choses, perdant indéniablement de la cohérence. I Am Ultraviolence impressionne pour la rapidité des blasts se mariant avec des nappes de claviers d’une pureté angélique, avant de sombrer dans des arrangements industriels aliénants où les hurlements de damnés de Benjamin résonnent comme le cri d’une âme en pleine recherche de son propre « soi ». La vision hachée de la musique, tranchante, répondant à un chanteur unique, loin des clichés malgré un chant clair parfois déséquilibré, très cold, et de se fait éloigné des standards métalliques actuels.
Cold wave…In the Cold Night justement effectue un plongeon complet dans ce monde, uniquement électronique, mais presque chaleureux, aux sonorités rondes et sensibles, plus proches de la rêverie que de l’isolement, à l’instar d’une douce litanie interne, courte, mais indispensable, pour mieux respirer.
Relativement long, The Pulse of Awakening passe finalement par beaucoup d’humeurs, probablement trop, croisant même le chemin dansant d’un Pain le temps d’un Doomsday Party sympathique mais plus anecdotique, plus léger mais laissant tout de même une impression très forte de totale maitrise de sa musique. A aucuns moments les suisses n’hésitent, ils savent où ils vont, et pourquoi ils le font ainsi. Ainsi, la dimension quasi symphonique et aérienne que prend KillJoy ou Lucifer Effect semble pousser plus loin le concept entamé avec Dynamic (sur Antares), se rapprochant parfois de Dimmu Borgir. Le refrain poignant et magnifiquement beau du premier, contrebalance la certaine grandiloquence que prend le second. Plus traditionnel des helvètes, Electronegative, aux nappes songeuses, développe de monstrueuses lignes de chants électroniques, où la double pédale est omniprésente, et le chant extrême d’une précision affolante (la palette vocale étant à son paroxysme).
Si Meridian A.D souffre inconsciemment de la longueur du disque, le groupe termine son troisième opus par un From Zero to Nothing évoquant Ethernity dans une forme plus aboutie et lourde, mature. Un dédale de plus de dix minutes, pour terminer en apesanteur, loin de tout…et oublier, malgré la pression continue, les tourments d’une vie profondément matérielle.
The Pulse of Awakening marque un virage. Si l’on ne retrouvera probablement jamais la rugosité jouissive du premier opus, on ressent une innovation constante, une envie d’aller toujours plus loin dans la progression de leurs idées, dans la création d’un monde unique, aussi cybernétique qu’il n’est paradoxalement à fleur de peau. Sybreed est déjà grand, et signe un disque qui pourrait presque s’écouter hors du temps…et alors que la fin semble toujours plus proche, The Pulse of Awakening offre un poison lent, vicieux mais beau…et forcément létal lors de sa finalité.
1. Nomenklatura
2. A.E.O.N.
3. Doomsday Party
4. Human Black Box
5. KillJoy
6. I Am Ultraviolence
7. Electronegative
8. In the Cold Light
9. Lucifer Effect
10. Love Like Blood
11. Meridian A.D.
12. From Zero to Nothing