"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Bonjour, et rebienvenue dans l’univers de la musique assistée par ordinateur. Nous revoilà donc avec The Algorithm, deux ans après l’excellent Brute Force et alors que ce 4ème opus longue-durée de Rémi Gallego nous arrive un peu par surprise, annoncé à peine un mois avant sa sortie. Exit le label FiXT, pas de retour à Basick Records à l’époque où The Algorithm était assimilé au mouvement Djent, revoilà le projet dans le monde de l’autoproduction, bien qu’Apathia Records seconde la sortie de Compiler Optimization Techniques pour un peu de promotion. Du coup, cet album attendu mais inattendu ne sortira pas au format CD, ce qui sera pour ma part un des seuls vrais regrets de cette sortie. Car The Algorithm ne va pas décevoir, et ce qui pouvait apparaître comme un album concept sorti dans des conditions particulières va s’avérer être du pur The Algorithm, et peut-être sa sortie la plus aboutie. Remontons alors un peu le passé pour voir où nous en sommes. Dès la démo The Doppler Effect (2009), The Algorithm s’était posé un peu à part du mouvement Djent auquel il a cependant été logiquement rattaché. C’est avec Critical.Error (2010) que le projet a commencé à vraiment poser sa personnalité, sous un joug précis, celui de l’électro, et ce dans de vastes sous-genres (Breakcore, Chiptune, Dubstep, Trance…). Son premier véritable album, Polymorphic Code (2012), lui avait permis de déjà affirmer son style de « mashup » Metal/Electro, même si au passage, la musique devenait plus « soft », moins offensive que les accès de riffs passés. Cela a d’ailleurs abouti à Octopus4 (2014), un album nettement plus électro. The Algorithm, ce n’était plus du Metal alors ? Pas grave, Rémi a su faire évoluer ses dosages pour nous livrer un Brute Force (2016) particulièrement efficace, blindé de tubes, et toujours détonant dans sa faculté à livrer de l’électro très riche, qui ne part jamais dans tous les sens malgré le côté un peu barré du projet. Et bien sûr, le Metal y a toute sa place, avec des riffs simples mais bien sentis, et pourtant Brute Force se laissait aller à quelques leads et mélodies bien placés. La machine s’est remise en route et The Algorithm, qui a suivi un chemin particulier, semble donc avoir repris la route du pur Electro-Metal.
Et, entrons dans le vif du sujet, Compiler Optimization Techniques va presque se poser comme le disque le plus Metal de The Algorithm, encore plus que Brute Force. Pas en revenant aux sources des deux démos, plutôt en se nourrissant de tout ce que le projet a produit depuis. On retrouve dans Compiler Optimization Techniques tous les ingrédients que l’on avait pu déguster dans Polymorphic Code, Octopus4 et Brute Force, le tout formant une mixture complète mais encore une fois très efficace. Compiler Optimization Techniques se pose tout simplement comme l’aboutissement de ce que Rémi essaie de faire depuis presque 10 ans, c’est même comme cela qu’il le présente, comme l’album de sa maturité musicale. Et toujours en prenant des chemins tortueux et en surprenant dans la forme. Car si Brute Force était composé de brûlots au format direct et tubesque ("Floating Point", "Pointers", "Rootkit"…) dans la lignée d’un "Tr0jans", Compiler Optimization Techniques lui va se présenter de manière sensiblement différente. D’une durée de 43 minutes, il n’est composé que de 5 morceaux, qui vont d’un peu moins de 7 à plus de 11 minutes. On est aux antipodes d’un enchaînement de hits à la Brute Force, mais le tour de force de The Algorithm, c’est d’en avoir fait un album redoutablement efficace malgré tout, grâce à des compositions tonitruantes. S’il faudra certes aborder cet opus comme un tout, même si on peut trouver ses propres favoris dans ces 5 longues pistes, il y aura de quoi pulser sur le dancefloor, et c’est tout l’album qui sera un « tube » à lui seul. Et The Algorithm est inspiré et continue d’ailleurs à élargir son spectre électro, tout en proposant ses meilleures compos Metal. On va donc trouver dans Compiler Optimization Techniques un étalage très bavard d’Electro-Metal très jouissif, qui ne lasse pas une seconde. Et nous entraîne dans son univers si particulier, rétro-futuriste comme jamais, on a vraiment l’impression d’être au cœur d’un ordinateur avec des informations qui fusent à toute vitesse, se révélant à nos yeux comme des flashs de lumière bleue partant dans toutes les directions mais suivant un contrôle et une cohérence de tous les instants. Et c’est ce sentiment qui fait aussi partie de l’aboutissement de la musique de The Algorithm.
Et avec encore des noms de morceaux empruntant au langage informatique, on ne s’y trompera pas, c’est du 100% The Algorithm. On démarre Compiler Optimization Techniques avec "Cluster", le plus long morceau de l’album (presque 12 minutes), sur une intro électro futuriste absolument formidable et déjà entraînante. Les riffs ne tardent pas à prendre place, et The Algorithm fait déjà headbanguer comme pendant les meilleurs moments de Brute Force ; mais pas seulement avec les guitares, grâce aussi aux sons électro attenants, car "Cluster" démontre déjà que la mixture de The Algorithm est devenue totalement parfaite, avec d’ailleurs un mixage aux petits oignons qui met les guitares en valeur, bien qu’elles restent finalement au même niveau que l’électro. Offensif mais aussi raffiné, "Cluster" passe par toutes les humeurs, avec toujours ces sonorités variées (leads de guitare sur fond de percus Drum’n’bass, break tout en basses, grattes façon Breakcore, synthés virevoltants) et on ne s’ennuie pas une seconde malgré la longueur de l’œuvre. Un véritable catalogue, addictif et jamais démonstratif, avec des compos guitaristiques bien plus étoffées que par le passé (même si les gros rythmes djenty se taillent toujours la part du lion), qui rendent l’art de The Algorithm encore plus accrocheur. Un Algorithme plus en forme que jamais, qui en profite alors pour élargir son domaine électronique. C’est ainsi que "Fragmentation" laissera la part belle à des synthés en mode Synthwave. S’il y a déjà eu un peu de Synthwave sur des compositions passées du projet, c’est la première fois que le genre ressort vraiment. Cet écart stylistique est peut-être un peu facile vu l’engouement du genre ces derniers temps, mais avec la moulinette de The Algorithm, ça sera réussi à n’en pas douter. Plus dark, et encore plus monumental (avec des riffs à l’unisson), "Fragmentation" convainc sans mal et s’avère être la piste la plus singulière de Compiler Optimization Techniques, qui n’oublie cependant pas les cavalcades électro bien couillues et les envolées de synthé bien perchées.
Et nous voici en place pour le meilleur moment de l’album qu’est le début absolument génial de "Superscalar", avec ses notes électro folles totalement irrésistibles. Ce qui nous donnera d’ailleurs au bout le meilleur morceau de l’album pour ma part, prouvant que malgré son architecture particulière Compiler Optimization Techniques arrive à accoucher de morceaux forts qui ont leur identité. Entre trémolos/leads et enchevêtrement d’électro et de synthés divers, "Superscalar" est encore une fois passionnant et jouissif à souhait, rajoutant au tour de force de Compiler Optimization Techniques et son inspiration qui ne faiblit jamais, pas plus que le rythme effréné, engagé sur l’autoroute de l’information à flux tendu. Et pourtant, "Superscalar" se laisse aller à une partie centrale plus atmosphérique, avec des synthés lumineux et envoûtants sur fond de Drum’n’Bass/Glitch. Mais la cohérence de l’ensemble est encore saisissante, faisant de ce morceau central une pièce vraiment magnifique, qui se termine avec des riffs simples mais mortels. "Binary Space" va encore trancher et montrer toute la richesse de l’œuvre de The Algorithm, avec un départ dès plus brutaux vite suivi d’électro bien remuante. Assurément le morceau le plus « Metal » de l’album (et le plus court, même si tout est relatif) avec des sonorités très proches de celles de Brute Force, et pourtant The Algorithm surprend encore de par la variété de son spectre musical, car nous aurons ici le droit à un long break d’obédience Psytrance, qui s’insère pourtant de manière parfaitement fluide entre ces riffs et ces blips blips (le final du morceau n’en sera que d’autant plus percutant, et nous aurons en sus le droit à un solo mirifique). C’est définitivement sûr, The Algorithm maîtrise parfaitement ce qu’il appelait il y a deux ans sa « Heavy Computer Music ». La grande classe, monsieur Gallego.
Compiler Optimization Techniques s’achève (déjà ?) sur "Sentinel Node", qui retrouve un peu le côté Synthwave de "Fragmentation" mais cette fois-ci dans une version plus lumineuse et épique, avec des fabuleuses montées de synthé sur un fond rythmique de guitares, pour ce qui sera un des morceaux les plus « construits » de The Algorithm finalement. On se laisse donc emporter une dernière fois par cette musique électronique agrémentée de Metal, ou par ce Metal agrémenté de musique électronique parce que la fusion est désormais parfaite, à la fois si raffinée et si efficace. Un beau générique de fin, avec d’ailleurs une partie finale de toute beauté, même s’il constitue plus d’un cinquième de l’album. Devant tant de perfection de la part de The Algorithm, plusieurs questions peuvent être posées après la digestion de Compiler Optimization Techniques. Rémi peut-il faire mieux ? Devra-t-il se renouveler ? En tout cas, il ne fait nul doute que ce 4ème véritable album signe facilement l’aboutissement de ce qui avait été fait sur les 3 précédents opus en suivant une ligne directrice claire. Aussi, si quelques passages sont surprenants de même que la forme globale de cet album avec ces morceaux longs, il apporte peu si ce n’est quelques nouvelles sonorités comme les passages Synthwave, et se pose surtout comme une synthèse et une conclusion de tout ce qui a été fait depuis Critical.Error - même si c’était un peu le but. The Algorithm a aussi laissé de côté sa folie qui faisait aussi son charme, il n’y a aucun sample présent dans l’album d’ailleurs, même si ce Compiler Optimization Techniques n’est pas aussi « sage » que pouvait l’être Octopus4 et même Polymorphic Code. Mais il ne fait nul doute que Compiler Optimization Techniques est, de facto, le meilleur album de The Algorithm, tant il pousse à bout tout ce qui a été fait auparavant et l’amène à un niveau assez définitif de maturité et de cohérence. Rien ne surprendra tellement les fans de la première heure, certains seront avant tout ravis que le projet s’est redirigé vers du « Metal », mais de par sa maîtrise sans faille, Compiler Optimization Techniques est une tuerie en bonne et due forme. Passionnant, inspiré, efficace, fluide, beau et sombre, ambitieusement futuriste et délicieusement rétro, Compiler Optimization Techniques est une réussite totale, signant la pleine maturité artistique de The Algorithm et l'aboutissement de son style. Je regrette encore qu’on ne va pas pouvoir apprécier cette perfection sur CD (peut-être plus tard ?), mais en attendant, la conclusion sera logique : Oui.
Tracklist de Compiler Optimization Techniques :
1. Cluster (11:42)
2. Fragmentation (7:28)
3. Superscalar (7:28)
4. Binary Space (6:43)
5. Sentinel Node (9:24)