Je me souviens des champs de blé recouvrant à perte de vue les plaines de la Thessalie. Je me souviens du travail de la terre sous l'impitoyable soleil caniculaire. Je me souviens de la céramique et des amphores d'argile vendues sur les places de Corinthe. Je me souviens des brises marines de la mer ionienne portées par le vent d'Est. Je me souviens du bruissement des branches des oliviers sur l'île d'Ithaque. Je me souviens des étroits passages montagneux traversant le Péloponnèse. Je me souviens des plages de Marathon où la victoire fut celle des Hellènes. Je me souviens des voyages parmi les îles des Cyclades et de ces longues nuits à veiller et à tenir conseil. Je me souviens des champs de construction qui devaient rendre célèbre la beauté d'Athènes et de son Parthénon. Je me souviens des longues marches aux côtés de l'Eurotas et du Pénée. Je me souviens et des forêts de l'Arcadie et de celles de l'Attique. Je me souviens de l'incendie des cités, ennemies comme alliées. Je me souviens des trirèmes fendant les lames pour aller au combat. Je me souviens des flèches retombant sur les barbares Mèdes à Platée. Je me souviens avoir suivi le plus illustre des Argéades dans le sillon de son ambition. Je me souviens d'être tombé aux côtés des phalanges lacédémoniennes au cœur infaillible. Je me souviens d'être tombé sur la terre qui m'a vu naître et vivre.
Je me souviens de pourquoi je me suis battu.
Je me souviens des Hellènes.
Un album qui peut s’interpréter et s'approcher de tant de façons différentes. Qui ne se sentirait pas déchiré par l'hommage d'un fils à son père ? Qui ne serait pas profondément tourmenté par la menace pesant sur son foyer natal ? Qui ne sentirait pas l'euphorie provoquée par la vue des plages et des montagnes grecques apparaissant dans les brumes maritimes ? Qui ne voudrait pas pouvoir sentir une seule fois la caresse du soleil de ces temps révolus depuis longtemps ? Je n'ai jamais été très à l'aise avec le concept d'âme, sous toutes ses formes, mais est-ce qu'il y a meilleure idée pour représenter ce qui transpire de cet album ? L'âme d'une histoire, d'un peuple, d'un monde lointain avec ses mythes et ses légendes. La beauté d'un pays, la fierté de son héritage et de son impact. L'admiration de sa richesse et de sa majesté. Car tout au long de l'écoute, qu'importe la façon dont on l'aborde, il y a une passion, un amour profond qui transpirent des notes jouées et des chants entamés. Il est terriblement aisé de se laisser voguer et de rêver pendant une bien petite heure, loin des problèmes quotidiens, loin d'une monotonie plate trop bien installée.
Loin de moi l'idée de promouvoir un fade et vide ''C'était mieux avant''. N'importe quelle époque à ses hauts, ses bas, ses moments de gloire, ses moments de honte. Je ne suis que victime d'un groupe qui aura mis à bas les murs du temps pour offrir l'hommage qu'est Gods of War – At War.
Je n'aurai absolument pas peur de dire que c'est l'une des œuvres les plus nobles et les plus épiques que j'ai eu la chance de pouvoir approcher dans ma courte vie. Épique, dans le sens de l'épopée, dans le sens du récit mythologique et intemporel. Celui qui inspire, celui qui s'admire. Celui dont on ne veut rien oublier, parce que c'est important, parce que ça compte et que l'on veut que ça compte.
Et Alexandros, tête pensante de Macabre Omen, passe au travers du spectre de sa musique certains des plus grands récits hérités de la Grèce des époques antiques et archaïques pour illustrer cette volonté de garder en mémoire ceux qui ont un jour foulé la terre.
Le souvenir de deux générations de grands rois Mèdes qui tentèrent d’envahir les côtes grecques et d'incendier l'une de ses plus illustres cités, et de leur ultime défaite. Le souvenir du sacrifice conscient de 300 soldats issus de Sparte qui offrirent leur dernier souffle pour embrasser la destinée des immortels. Le souvenir du descendant des royaumes de Macédoine qui étendit son empire au-delà de tous les horizons rêvés de son époque avant de s'éteindre comme une flamme qui n'aurait brûlé que trop vivement.
Mais l'hommage peut se faire bien plus personnel, bien plus intime. Il, l'album comme Alexandros, se met à nu avec le morceau From Son to Father. On y entend un enregistrement, une personne récitant un poème de sa propre composition. Il s'agit d'Antonis Antoniou, le père du chanteur, mort au mois de mars de l'année 2011. Ce poème, Antonis le dédiait alors à son propre père qui venait de mourir. Et c'est son fils qui le reprendra pour en faire un hommage, pour pleurer une perte, un manque, une disparition que seule la mémoire pourra raviver brièvement, liant intimement trois générations. Et c'est exactement ce que fait cet album pour moi. Il ravive ce qui aurait pu être oublié. Il rend honneur à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à toutes ces années qui sont passées sur ce qui, aujourd'hui, ne sont que les vestiges attestant de leur existence. C'est une ode, un hymne à ce monde disparu mais toujours bien présent dans l'esprit et le coeur de ceux qui revivent ces histoires. Les bannières poussiéreuses et déchirées aux blasons effacés se hissent une fois de plus au dessus des hommes. Les casques fendus et les boucliers brisés aux armoiries oubliées se distinguent au travers des brumes troubles de la mémoire. Les lames et les lances émoussées, avec leur éclat de rouille, retrouvent leur tranchant perdu. Par centaines, par milliers, ils se tiennent silencieux sur les champs d'une bataille à jamais fumante, comme le feraient des sentinelles sans âge. Les dieux embrassent leur cause et les acceptent en leur domaine, où ils veilleront à leurs côtés, semblable à tant de dieux de la guerre.
Le temps perd alors toute son emprise sur le monde et s'efface l'espace d'un instant derrière le rideau d'un passé dont je fais la glorification consciente. Une heure contre des siècles, le combat semble bien trop injuste, et pourtant, l'heure l'emporte. Ce n'est qu'un rêve, un songe dont les vapeurs prennent trop bien forme. Et, bien que je suis loin de connaître parfaitement les événements dont traite Gods of War – At War, sa magie me fait me sentir ailleurs, autre part, dans la peau de quelqu'un d'autre, dans un autre pays, étranger de par l'époque, familier de par la flamme. Il est difficile pour moi de ne pas voir se dessiner sous mes yeux les contours des batailles légendaires et les silhouettes indistinctes de ses hommes illustres. Difficile de ne pas entendre le son lointain des armes qui s'entrechoquent impitoyablement, de ne pas entendre les clameurs oubliées du combat entamé sur terre comme sur mer. Difficile de ne pas admirer cet éloge d'une humanité devenue alors modèle que deux millénaires n'auront su faire disparaître.
Que les empires de jadis qui ont à jamais sommeillé se réveillent, que les chants du combat remplissent de nouveau les airs, que les échos des soldats résonnent une fois de plus sous ce même ciel qui a regardé se dérouler leur légende, que les héros retracent inlassablement leur immortelle épopée et que l'histoire reprenne vie pour les 2000 années à venir tant qu'il y aura la musique et la mémoire de ceux qui s'en souviennent pour chanter et transporter leur récit. Et si l'adrénaline et la fierté imaginée s'étiolent une fois l'écoute passée, jamais leur souvenir ne me quittent.
Passant, va dire à Sparte qu'ici nous sommes morts pour obéir à ses lois.
Simonide de Céos.
Tracklist :
1. I See, the Sea !
2. Gods of War – At War
3. Man of 300 Voices
4. Hellenes Do Not Fight Like Heroes, Heroes Fight Like Hellenes
5. From Son to Father
6. Rhodian Pride, Lindian Might
7. Alexandros – Ode A'
8. Alexandros – Ode B'